Plaignant
Mme Line Légaré, directrice des affaires corporatives et des communications par intérim
Collège de Maisonneuve
Mis en cause
Mme Gabrielle Duchaine, journaliste
M. Vincent Larouche, journaliste
La Presse+
Le site Internet lapresse.ca
Résumé de la plainte
La plaignante dépose une plainte le 26 avril 2016 contre un article et un encadré publiés le 19 février 2016, sur lapresse.ca et dans La Presse+, par Gabrielle Duchaine et Vincent Larouche. Ces textes font état d’incidents violents survenus dans les mois précédents au Collège de Maisonneuve, à Montréal.
La plaignante estime que les journalistes traitent d’une manière sensationnaliste et discriminatoire les faits entourant une bagarre survenue en décembre 2015 et qu’ils prétendent qu’un climat « de peur et d’intimidation » règne dans l’établissement. Selon elle, les textes se fondent sur des informations inexactes.
Il est aussi reproché au média d’avoir refusé de rectifier les informations publiées et d’avoir supprimé certains commentaires partagés sur la page Facebook de La Presse.
Analyse
Grief 1 : sensationnalisme
La plaignante, Mme Légaré, considère que les mis en cause ont déformé la réalité et fait preuve de sensationnalisme. Elle estime que le titre « Des élèves font régner un climat de peur et d’intimidation » suggère qu’une tension généralisée est perceptible dans l’ensemble du Collège de Maisonneuve. Selon elle, l’article exagère la portée d’une situation marginale à partir d’événements isolés et distincts : une bagarre à l’extérieur du collège en décembre 2015 et le fait que cinq étudiants du Collège, jugés radicalisés, ont quitté le Canada pour se rendre en Syrie et en Irak.
Le caractère sensationnaliste du traitement journalistique a aussi été dénoncé par le Syndicat des professeurs du collège et par la Société générale des étudiantes et étudiants. La plaignante soumet des preuves à cet effet.
De plus, selon la plaignante, les intertitres « Bataille et couteau », « Intimidation à la bibliothèque » et « La loi du silence » accentuent l’impression de peur campée dans le titre de l’article.
Dans sa réplique, Me Bourbeau, représentant de La Presse, soutient que le titre « Des élèves font régner un climat de peur et d’intimidation » n’est pas sensationnaliste et que l’identification « Collège de Maisonneuve » en surtitre sert à situer le lecteur sur le sujet des articles contenus dans cette page.
En ce qui concerne la position du syndicat, publiée dans un communiqué, Me Bourbeau mentionne qu’elle vient contredire une résolution adoptée dans une assemblée générale syndicale antérieure à l’article, obtenue par la journaliste, dans laquelle des syndiqués du Collège ont dit avoir été victimes d’incivilités et de harcèlement, et ce, « quasi quotidiennement ». C’est notamment sur la base de cette résolution que la journaliste avance qu’il existerait un climat de peur dans ce collège.
Il souligne que la journaliste Gabrielle Duchaine s’est aussi appuyée sur les déclarations du président du syndicat, Benoît Lacoursière, qui lui avait accordé une entrevue où il aurait parlé de « menaces » et mentionné que des employés du Collège ont été insultés et intimidés.
Selon Me Bourbeau, il semble que les propos exprimés par M. Lacoursière ont été nuancés dans le communiqué syndical publié cinq jours après la publication de l’article de Mme Duchaine. Quant à la lettre de la Société des étudiants, elle a été publiée sept jours après les articles visés par la présente plainte. Dans les deux cas, les journalistes ne pouvaient « en avoir connaissance et encore moins en faire état », plaide Me Bourbeau.
Pour démontrer que le constat d’un climat de terreur n’était pas une impression sensationnaliste, Me Bourbeau soumet un rapport du Centre de prévention de la radicalisation, publié six mois après la publication des textes visés par cette plainte. Ce document affirme que le Collège de Maisonneuve baigne dans une agitation grandissante autour du lieu nommé « La Source » depuis 2013, donc bien avant les articles de Gabrielle Duchaine et Vincent Larouche.
Ce même rapport, à la section 5.5.2, mentionne une détérioration du climat du vivre- ensemble et que « se sentant brimés dans leurs droits et dans leur identité, certains étudiants et étudiantes sont progressivement entrés en conflit ouvert avec des membres du personnel ou d’autres étudiants, ajoutant aux tensions déjà existantes ».
Le Guide de déontologie journalistique, définit le sensationnalisme dans l’article 14.1 : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » Dans le dossier D2012-10-046 le plaignant reprochait à l’hebdomadaire L’Écho de Laval le caractère sensationnaliste d’un article qui traitait de perquisitions menées par l’Unité permanente anticorruption et de doutes planant sur le service de police de Laval. La plainte estimait que ces allégations n’étaient rien de plus qu’un « pétard mouillé ».
Dans son analyse, le Conseil a démontré que l’article était fondé sur des doutes de l’UPAC qui enquêtait sur l’Hôtel de Ville de Laval et qui souhaitait bel et bien tenir à l’écart le service de police municipal. Le Conseil a conclu que le journaliste et les médias ont exercé leur liberté éditoriale en respectant les règles journalistiques et le grief de sensationnalisme a été rejeté.
Dans le cas présent, le Conseil se range aux arguments présentés par les mis en cause, notamment sur le caractère contradictoire des déclarations faites par le président du syndicat Benoît Lacoursière. Par ailleurs, on ne saurait reprocher à un journaliste de n’avoir pas tenu compte d’une information parue après la publication d’un texte.
En outre, le rapport du Centre de prévention de la radicalisation, paru plusieurs mois après la publication des textes mis en cause, est venu attester la thèse d’un climat de peur dans l’établissement. Ce constat, par une source indépendante et crédible, vient en quelque sorte démontrer que les journalistes n’ont pas erré dans leur interprétation.
Le Conseil conclut ainsi que ni le titre ni les intertitres n’étaient sensationnalistes, puisqu’ils ne déformaient pas la portée des événements qu’ils décrivaient.
Le grief de sensationnalisme est donc rejeté.
Grief 2 : inexactitudes
Mme Légaré soutient dans un premier temps que l’article pointe un étudiant comme étant l’un des protagonistes d’une bagarre et que ce jeune faisait partie des étudiants arrêtés à l’aéroport de Montréal et ayant voyagé en Syrie et Irak en janvier 2015. La plaignante ne nie pas que cet étudiant a pu être « témoin » d’une « escarmouche » devant la bibliothèque, mais affirme qu’il n’était pas présent quand la violence a éclaté à l’extérieur de l’établissement, 30 minutes plus tard. Elle ajoute que le véritable instigateur de cette bagarre a été identifié.
En réponse aux questions de la journaliste, la plaignante lui aurait affirmé qu’elle devait faire des vérifications dans le rapport d’enquête du Collège sur l’incident avant de lui confirmer le degré d’implication du jeune homme. L’article a été publié le lendemain, sans attendre la validation de la plaignante.
Mme Légaré soutient que dans le rapport d’événement, les victimes ont répété n’avoir « aucune idée de l’identité des agresseurs » et être incapables de les identifier. Elle précise aussi qu’« aucun professeur n’était présent lors des événements près de la bibliothèque et à l’extérieur ».
Dans un second temps, Mme Légaré affirme que le titre « Deux années de tempête » est erroné. Selon elle, il amène le lecteur à croire que le Collège de Maisonneuve est le théâtre d’événements violents depuis deux ans « alors que dans les faits, 12 mois se sont écoulés depuis les événements cités dans l’encadré ».
Finalement, la plaignante conteste l’affirmation voulant qu’un groupe d’étudiants se soit « approprié un étage complet de la bibliothèque du collège Maisonneuve ». Elle affirme que cet étage n’est pas sous l’emprise de certains étudiants. Elle avance qu’il y a « de l’impolitesse, de l’incivilité, oui, mais on ne parle pas de contrôle [pris par] des étudiants ».
Me Bourbeau réplique que la journaliste a identifié le jeune homme comme l’un des protagonistes afin de le présenter à titre d’acteur important et non un simple « témoin ». Deux victimes de l’agression et un professeur du Collège « bien au fait du dossier » auraient confirmé le tout à la journaliste, qui a situé les événements dans un contexte plus large, au Collège de Maisonneuve, où certains jeunes étaient radicalisés.
En ce qui a trait au titre « Deux années de tempête », Me Bourbeau soutient qu’il s’agit aussi d’une mise en contexte et que le texte ne suggère pas que les faits se sont déroulés pendant deux ans.
Finalement, les mis en cause soutiennent que plusieurs sources ont dit aux journalistes que des étudiants limitaient l’utilisation du cinquième étage de la bibliothèque pour y travailler. Sur la foi de ces informations, Me Bourbeau juge qu’il n’est pas faux d’affirmer « qu’un groupe d’étudiants s’est approprié un étage complet ».
Le Guide de déontologie journalistique définit à l’article 9 le devoir d’exactitude : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude: fidélité à la réalité. » Le Conseil souligne que la journaliste a pris soin de faire valider ses informations auprès de trois sources crédibles, à savoir deux victimes et un professeur. Dans les circonstances, elle a fait un travail de recherche satisfaisant et a donc pris les moyens nécessaires pour présenter une information fiable.
Au sujet du rapport d’événement du Collège qui ne comporte pas de dénonciation formelle, le Conseil souligne que diverses raisons peuvent amener un témoin ou une victime à ne pas identifier son agresseur aux autorités et plutôt opter pour se confier à un
journaliste. Quant à l’inexactitude alléguée du titre « Deux années de tempête », le Conseil juge que la plaignante en fait une lecture restrictive. En effet, il est question de deux années et non pas de deux ans. La nuance sémantique est importante puisque les faits décrits se sont déroulés en 2015 et un autre en 2016, donc sur deux années civiles. Par ailleurs, le Conseil note que les événements décrits dans le texte et l’encadré qui l’accompagne se sont tous produits au Collège de Maisonneuve et s’inscrivent dans un contexte de tourmente dans lequel l’établissement s’est retrouvé ces dernières années. Il appartient au lecteur de faire la part des choses entre ces différents éléments, pour lesquels l’article ne suggère pas de lien causal.
Enfin, en ce qui concerne l’appropriation d’un étage de la bibliothèque par divers groupes, les versions des parties sont contradictoires. Cela dit, la journaliste avance avoir plusieurs sources, le Conseil ne peut donc retenir le grief sur ce point.
Le grief d’informations inexactes a été rejeté.
Grief 3 : propos discriminatoires et expression de préjugés
Mme Légaré estime que l’article est discriminatoire et véhicule des préjugés à l’endroit des membres de la communauté musulmane. Selon elle, l’article crée un lien injuste entre les actions violentes observées au collège et les étudiants de confession musulmane.
Pour sa part, Me Bourbeau fait valoir que ses journalistes ont agi sobrement en précisant la religion de certains acteurs, sans tenter de susciter ou attiser la haine et le mépris ni à renforcer de préjugés.
Les mis en cause réitèrent que le texte n’établit aucun lien entre la radicalisation et les événements et que les médias ont la mission de traiter des sujets d’intérêt public même lorsque certaines informations sont délicates, dans la mesure où celles-ci « sont pertinentes à la bonne compréhension d’un enjeu de société ».
Le Guide de déontologie journalistique définit la discrimination dans l’article 19 (1) : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Le Conseil rappelle que pour conclure à une faute déontologique en matière de discrimination, il importe d’identifier clairement un motif discriminatoire. S’il est vrai que la religion est un motif discriminatoire reconnu, force est de constater qu’aucune généralisation abusive n’est faite sur la base de la religion dans les textes mis en cause.
Le Conseil n’a pas non plus trouvé, dans les textes mis en cause, « des représentations ou des termes » soulevant la haine ou le mépris à l’encontre des musulmans en général.
Le grief de propos discriminatoires et expression de préjugés est donc rejeté.
Grief 4 : suppression injustifiée ou modifications inappropriées de contributions du public
La plaignante allègue que des commentaires positifs à l’égard du Collège de Maisonneuve ont été délibérément supprimés de la page Facebook de La Presse.
En guise de preuve, la plaignante fournit un message acheminé par un étudiant qui affirme que sa publication a été effacée. À son avis, cette manoeuvre suggère une forme de manipulation pour éviter que des visions contraires à ce qu’avance l’article de Mme Duchaine puissent s’exprimer.
Me Bourbeau oppose que La Presse n’approuve pas les commentaires sur la base des opinions et qu’elle fait appel à une firme externe pour veiller à ce que ces commentaires respectent la nétiquette adoptée par le média.
Lorsqu’il est question des contributions du public, le Guide de déontologie journalistique, précise à l’article 16 (1) : « Les médias d’information qui choisissent d’accepter les contributions du public doivent tenter de refléter une diversité de points de vue. »
De plus, le Guide ajoute, à l’article 16.1 : « Les médias d’information peuvent refuser de publier ou de diffuser une contribution reçue du public, à condition que leur refus ne soit pas motivé par un parti pris ou le désir de taire une information d’intérêt public. »
Le Conseil a visité la page Facebook de La Presse afin de vérifier si des commentaires positifs à l’égard du Collège de Maisonneuve se retrouvaient parmi les contributions du public.
Une recherche succincte parmi la nuée de commentaires qui ont suivi la publication de ces articles, permet de trouver rapidement plusieurs commentaires favorables au Collège de Maisonneuve, critiques à l’égard des articles ou encore nuançant le portrait dépeint par les journalistes. Ces commentaires figurent toujours sur cette page, plus d’un an après leur publication initiale.
Ne pouvant déterminer si les commentaires auxquels la plaignante fait référence ont été supprimés pour des motifs idéologiques et devant la présence de nombreux autres commentaires toujours présents sur cette page, le Conseil ne peut se rendre aux arguments de la plaignante.
Le grief de modification ou suppression de contributions du public est rejeté.
Grief 5 : absence de correctifs
La plaignante affirme avoir demandé des correctifs à ce qui a été publié par les médias mis en cause. Une entrevue exclusive avec la directrice générale lui a été offerte, mais cette proposition a été refusée par le Collège, qui souhaitait plutôt que le journal rétablisse les faits.
Me Bourbeau, pour sa part, a répliqué que puisque les textes ne contenaient « aucune inexactitude », et qu’il n’y avait donc pas lieu d’y apporter des correctifs.
En matière de correction, le Guide de déontologie journalistique prévoit à l’article 27.1, alinéa 1, que « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Le Conseil ayant rejeté précédemment les griefs de la plaignante, il juge par le fait même que les mis en cause n’avaient pas à apporter de correctifs.
Le grief d’absence de correctifs est également rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Line Légaré contre les journalistes Mme Gabrielle Duchaine et M. Vincent Larouche, lapresse.ca et La Presse+ sur les griefs de sensationnalisme, d’informations inexactes, de propos discriminatoires, de retrait de contributions du public et d’absence de correctifs.
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
- M. Marc Verreault
Représentant des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau