Plaignant
Mme Mélanie Pouliot (plaignante 1)
Mme Isabelle Labeaume Morin (plaignante 2)
Mis en cause
Yves Poirier, journaliste
Le site Internet tvanouvelles.ca
Résumé de la plainte
Les plaignantes déposent leurs plaintes les 21 et 22 juillet 2016 contre le journaliste Yves Poirier de TVA après la diffusion du reportage « Une sieste de 2 h 30 pour un employé de Postes Canada », sur le site tvanouvelles.ca. Elles déplorent la publication d’informations inexactes, incomplètes et un manque d’équité à l’égard du camionneur impliqué dans cette affaire.
Dans ce reportage, le journaliste surprend un camionneur en pleine sieste dans son véhicule de service garé dans le stationnement du centre d’achats Place Versailles, à Montréal.
Le site Internet tvanouvelles.ca a refusé de répondre à la présente plainte. Le journaliste a cependant accepté de le faire en son nom personnel.
Analyse
Grief 1 : information inexacte
Les deux plaignantes reprochent au journaliste d’avoir affirmé que le salaire des employés de Postes Canada est financé par les taxes des contribuables. Selon elles, c’est plutôt la vente de biens et services qui permet à la société d’État de s’autofinancer.
Le journaliste a indiqué au Conseil que plusieurs précisions ont été apportées dans un deuxième reportage, publié au lendemain de celui visé par cette plainte, notamment sur le salaire versé au travailleur.
En ce qui a trait à l’exactitude de l’information, le Guide de déontologie journalistique précise, à l’article 9, alinéa a), que « Les journalistes et les médias d’information produisent selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes: exactitude: a) fidélité à la réalité. »
D’entrée de jeu, le Conseil établit que Postes Canada est une société d’État qui opère avec des actifs qui ont été payés par des fonds publics. En ce sens, affirmer que Postes Canada est financée par les taxes des contribuables est une prémisse tout à fait exacte.
En outre, l’organisation est assujettie à la Loi sur la Société canadienne des postes et son conseil d’administration « assure la supervision et l’orientation pour le compte de l’actionnaire de Postes Canada, le gouvernement du Canada, sur les stratégies, les plans d’affaires et les affaires connexes de Postes Canada », selon la définition tirée du site Internet de Postes Canada. L’entreprise relève ainsi de la ministre responsable des Services publics et de l’Approvisionnement, Mme Judy M. Foote, ce qui atteste aussi de ses liens avec le gouvernement, et par extension, avec les contribuables.
Le Conseil a pu constater qu’en conclusion de son deuxième reportage, le journaliste Yves Poirier a nuancé ses premières affirmations de la manière suivante : « Les contribuables qui n’ont pas aimé voir le travailleur dormir pendant ses heures de travail doivent savoir que son salaire est payé par les revenus générés par la vente de biens et services, et non par vos taxes. »
Une majorité de membres a conclu qu’au vu de ce qui précède, il n’était pas inexact de dire que le travailleur était, à tout le moins indirectement, « payé » par les taxes. Un membre a tenu à exprimer sa dissidence, y voyant une forme d’imprécision.
Le grief d’information inexacte a été rejeté.
Grief 2 : information incomplète
La plaignante, Mme Pouliot, reproche au journaliste d’avoir omis de préciser que le travail du camionneur était non continu et donc sur appel. Selon elle, cela signifie que pour une bonne partie du temps, celui-ci n’avait tout simplement pas de tâche à effectuer. Cet argument suggère que l’homme n’avait pas à être pointé du doigt ou pris en défaut.
Le Guide de déontologie journalistique précise à l’article 9 que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
La jurisprudence du Conseil n’impose pas aux journalistes de couvrir tous les angles d’une nouvelle, mais plutôt de s’assurer d’en présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. Ainsi, dans le dossier D2014-12-062 portant sur la hausse de la rémunération des élus à Sainte-Perpétue, le Conseil avait rejeté une plainte d’incomplétude déposée contre le journal L’Oie Blanche alors que le plaignant estimait que le journaliste avait « escamoté » certains détails. Le Conseil avait conclu que le journaliste n’avait pas à insister et avait tranché qu’il s’agissait d’éléments accessoires.
Le Conseil observe que l’argument des plaignantes, selon lequel le comportement du chauffeur était normal et accepté, est contredit par le fait qu’il ait été suspendu et que la représentante syndicale n’a pas semblé approuver le repos prolongé du travailleur. Cette conclusion démontre qu’il y avait assurément quelque chose de répréhensible dans le comportement du travailleur, peu importe son statut.
Le grief d’information incomplète est donc rejeté.
Grief 3 : manque d’équité
La plaignante, Mme Pouliot, juge que le journaliste a manqué d’équité envers le camionneur faisant l’objet du reportage en le filmant à son insu et en faisant preuve d’arrogance.
Dans le reportage, le journaliste épie le camionneur, puis se dirige vers la fenêtre de son véhicule à laquelle il frappe, afin de le réveiller, puis, alors qu’il est encore endormi, le questionne sur son travail et sur ses activités.
Le Guide de déontologie journalistique définit le principe d’équité à l’article 17 : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. »
Dans le dossier D2003-03-051, le Conseil a retenu un grief de manque d’équité pour un reportage de « J. E. » qui portait sur les dangers d’opter pour les franchises comme moyen de démarrage d’une nouvelle entreprise.
L’examen de la plainte par le Conseil avait révélé que « J.E. » avait choisi de centrer son reportage sur un seul exemple. L’émission a ainsi mis en exergue les faiblesses d’une approche par le biais d’un portrait partiel et partial d’une entreprise, manquant ainsi d’équité.
Dans le reportage d’Yves Poirier, bien qu’il est reproché au journaliste d’avoir filmé le camionneur à son insu, le Conseil note que la caméra n’est pas cachée, mais au contraire bien visible. L’homme a été surpris parce qu’il dormait et non parce qu’il a été pris en embuscade par le journaliste.
Le Conseil observe également que le visage du camionneur a été flouté sur les images captées par la caméra, ce qui fait en sorte que celui-ci ne pouvait être reconnu par le public en général. Préserver l’identité du travailleur démontre un geste de prudence de la part du journaliste et témoigne d’un respect de la dignité du camionneur.
Dans ces circonstances, le Conseil conclut que le journaliste n’a pas été inéquitable envers le travailleur.
Le grief de manque d’équité est rejeté.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du site Internet tvanouvelles.ca, qui n’est pas membre du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes de Mmes Mélanie Pouliot et Isabelle Labeaume Morin contre le journaliste Yves Poirier et tvanouvelles.ca sur les griefs d’information inexacte, incomplète et de manque d’équité.
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
- M. Marc Verreault
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Raymond Tardif