Plaignant
Mme Lyne Gaudreault
Mis en cause
Louis Lacroix, journaliste
L’émission « Puisqu’il faut se lever »
La station 98,5FM
Résumé de la plainte
Mme Lyne Gaudreault dépose une plainte le 13 septembre 2016 contre le journaliste Louis Lacroix et la station radiophonique 98,5FM concernant une intervention de M. Lacroix durant l’émission « Puisqu’il faut se lever » du 29 août 2016. La plaignante déplore des informations inexactes, de l’information incomplète, un manque de rigueur de raisonnement et du sensationnalisme, une description insuffisante d’une source anonyme et un refus de rétractation ou de rectification.
Dans le segment mis en cause, M. Louis Lacroix indique que la Coalition Avenir Québec (CAQ) tiendra un coquetel en marge de son caucus. Il soutient que la plaignante a envoyé des invitations pour cet événement en utilisant son courriel professionnel.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Par l’intermédiaire de son représentant, M. Philippe Leclerc, la plaignante dénonce trois informations inexactes dans l’intervention du journaliste.
1.1 Organisatrice du coquetel
M. Leclerc soutient que la plaignante n’était pas l’organisatrice du coquetel de la CAQ, tel que le prétend le journaliste lorsqu’il affirme : « Et moi, si j’étais à la place de François Legault, je ferais un petit peu attention aux gens qui organisent mes activités parce que j’ai mis la main sur un courriel d’une dame qui s’appelle Lyne Gaudreault […] » (soulignements de la partie plaignante). M. Leclerc admet que la plaignante milite au sein de la CAQ, mais précise qu’elle n’était ni l’organisatrice ni membre du comité organisateur du coquetel. Il note que la plaignante a envoyé l’invitation à une dizaine de personnes de son entourage.
M. Michel Lorrain, vice-président, programmation et information, réplique au nom des mis en cause. Il met en preuve le courriel envoyé par la plaignante qui démontre, selon lui, que les propos de M. Lacroix sont exacts puisque « le courriel laisse clairement entendre que la signataire collabore étroitement avec le comité organisateur dudit coquetel ».
Dans ses commentaires, M. Leclerc considère que l’argumentaire présenté par les mis en cause s’appuie sur « une preuve déficiente et tronquée » puisqu’il manque une partie du courriel. Il soumet donc une copie intégrale du courriel. En s’y référant, M. Leclerc fait valoir que celui-ci a été envoyé à titre personnel à un seul destinataire, soit une connaissance de la plaignante. Il souligne que dans ce courriel, la plaignante relayait une information publique et déjà « partagée dans plusieurs réseaux professionnels, dont celui de la Chambre de commerce et d’industrie du Saint-Jérôme métropolitain ». « Est-ce que la Chambre, ayant partagé cette information, devient elle-même organisatrice dudit coquetel? », demande-t-il avant de conclure que le courriel ne prouve aucunement que la plaignante était l’organisatrice de ce coquetel.
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec prévoit à l’article 9 que « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité; […] »
Après analyse, la majorité des membres (3/5) juge que l’information transmise est exacte puisque le sens du verbe « organiser » est très large. La majorité considère qu’en envoyant l’invitation à une dizaine de personnes, la plaignante a effectivement pris part à l’organisation de l’événement.
De leur côté, les deux membres dissidents jugent que le journaliste pouvait affirmer que la plaignante avait fait la promotion de l’événement, mais soutenir qu’elle était organisatrice était inexact. Selon eux, le journaliste a accordé trop d’importance à un courriel se limitant à inviter des gens à participer à un coquetel. Ils estiment que l’organisation d’un tel événement suppose une implication plus grande que celle que l’on peut déduire à la lecture du courriel envoyé par la plaignante.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.2 Envoi des invitations
M. Leclerc soutient que la plaignante n’a pas envoyé les invitations pour le coquetel contrairement à ce qu’affirme le journaliste lorsqu’il dit : « c’est elle [Mme Gaudreault] qui envoie des invitations pour qu’on aille participer à ce 5 à 7 ». (soulignements de la partie plaignante) La plaignante a envoyé l’invitation au coquetel à une dizaine de personnes de son entourage alors que la façon dont le journaliste présente les choses laisse croire qu’elle a envoyé toutes les invitations pour l’événement, soutient M. Leclerc.
Il Dans sa réplique, M. Lorrain considère que le courriel mis en preuve est « très explicite à ce sujet ».
Dans ses commentaires, M. Leclerc fait valoir que l’intégral du courriel démontre qu’il ne s’agissait pas d’une invitation formelle, mais d’une information transmise à une seule personne.
Aux yeux du Conseil, il serait exagéré de conclure des propos du journaliste qu’il laissait entendre que la plaignante avait envoyé toutes les invitations. En disant que Mme Gaudreault envoie « des invitations », le journaliste décrit la réalité puisque, dans sa plainte, la plaignante admet elle-même en avoir envoyé.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.3 Utilisation du courriel professionnel
Selon M. Leclerc, le journaliste transmettrait une information inexacte lorsqu’il affirme : « elle utilise son courriel professionnel de Dunton Rainville ». (soulignements de la partie plaignante) Il soutient que la plaignante a utilisé son courriel personnel, dont le nom de domaine est @gaudreaultavocats.ca et non celui de Dunton Rainville pour envoyer l’invitation à quelques personnes.
Référant au courriel mis en preuve, M. Lorrain réitère que l’information est exacte.
En analysant le courriel d’invitation mis en preuve par la plaignante, le Conseil constate qu’il porte la signature professionnelle de la plaignante, comprenant le nom de sa firme, Dunton Rainville, l’adresse de ses bureaux de Laval, ainsi que son adresse courriel professionnelle. Le Conseil juge que le journaliste n’a pas transmis d’information inexacte même si le courriel a été envoyé d’une adresse dite « personnelle ».
Le grief est rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le Conseil rejette le grief d’informations inexactes.
Grief 2 : information incomplète, manque de rigueur de raisonnement et sensationnalisme
M. Leclerc considère que le journaliste manque de rigueur de raisonnement et fait preuve de sensationnalisme dans les deux extraits suivants : 1) « J’ai mis la main sur un courriel d’une dame qui s’appelle Lyne Gaudreault, qui est avocate dans un cabinet qui s’appelle Dunton Rainville, que tu connais sans doute pour l’avoir entendu à la commission Charbonneau à quelques reprises » 2) « On a été au coeur de tout un scandale sur le financement politique et puis là, tu as des gens qui sont associés à un scandale de financement politique à Laval qui… Le nom en tout cas du cabinet d’avocats est associé à une activité partisane. »
Dans un premier temps, le représentant de la plaignante estime que même si le journaliste précise qu’il n’est « pas en train de dire que, que, Madame Gaudreault, là, trempe dans des activités louches », en omettant deux informations essentielles, il amène le public à croire qu’elle est impliquée dans un scandale de financement politique. Pour éviter une telle interprétation, M. Leclerc considère que le journaliste aurait dû apporter deux précisions. D’abord noter que le cabinet de Mme Gaudreault a été acheté par Dunton Rainville en 2014, soit après le déclenchement de la commission Charbonneau; ensuite, préciser que la plaignante n’a jamais pratiqué le droit municipal, un domaine de pratique scruté par la commission Charbonneau.
Deuxièmement, M. Leclerc ajoute que le journaliste manque de rigueur de raisonnement en faisant un amalgame entre l’appartenance de la plaignante à l’étude Dunton Rainville et la commission Charbonneau.
Finalement, il estime que le journaliste « verse dans l’amalgame sensationnaliste pour soutenir son construit narratif ».
Dans sa réplique, M. Lorrain soutient que les faits rapportés par le chroniqueur afin d’étayer son argumentaire sont exacts. Il rappelle que le cabinet Dunton Rainville a été mentionné à plusieurs reprises au cours des travaux de la commission Charbonneau. Il souligne qu’un associé du bureau de Laval a avoué qu’il s’occupait de la caisse occulte d’un parti politique municipal de Laval et qu’il a remis plus de 720 000 $ aux enquêteurs de la commission Charbonneau.
De plus, M. Lorrain soutient que le grief vise des propos relevant du journalisme d’opinion, dont il rappelle les principes déontologiques définis à l’article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse : « (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. »
Dans ses commentaires, M. Leclerc rappelle que Droits et responsabilités de la presse décrit, à la page 21, les responsabilités des journalistes d’opinion : « Les auteurs de chroniques, de billets et de critiques ne sauraient se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude. Ils doivent éviter, tant par le ton que par le vocabulaire qu’ils emploient, de donner aux événements une signification qu’ils n’ont pas ou de laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes. » (soulignements de la partie plaignante)
À l’article 9, alinéas b) et e) du Guide de déontologie journalistique, on rappelle les principes de rigueur de raisonnement et de complétude : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] b) rigueur de raisonnement; […] e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. »
En ce qui concerne le sensationnalisme, le Guide rappelle à l’article 14.1 : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. »
Après une écoute attentive du passage mis en cause, le Conseil juge que le journaliste n’a pas fait preuve d’incomplétude, de manque de rigueur de raisonnement ni de sensationnalisme. Il constate que les critiques du journaliste visent davantage la CAQ pour son association à Dunton Rainville, que la firme elle-même ou la plaignante. Aux yeux du Conseil, le journaliste ne vise pas la probité morale ou éthique de la plaignante, mais plutôt celle du parti politique. En outre, le journaliste précise explicitement qu’il ne soutient pas que la plaignante a quelque chose à se reprocher.
Le grief d’information incomplète, de manque de rigueur de raisonnement et de sensationnalisme est rejeté.
Grief 3 : description insuffisante d’une source anonyme
Le représentant de la plaignante estime qu’en disant « j’ai mis la main sur un courriel d’une dame qui s’appelle Lyne Gaudreault », le journaliste ne fournit pas suffisamment d’informations sur sa source pour que le public puisse en évaluer la crédibilité. Il déplore que les propos du journaliste ne permettent pas de répondre aux questions « Quel est ce courriel? Fut-il bel et bien envoyé d’une adresse “duntonrainville” tel qu’il le laisse supposer? Comment l’a-t-il obtenu et pourquoi? »
M. Lorrain indique que l’information diffusée repose sur un courriel envoyé par Mme Gaudreault. Il ajoute que la façon dont le journaliste a obtenu ce courriel n’a pas à être dévoilée publiquement.
L’article 12 du Guide prévoit que « Les journalistes identifient leurs sources d’information, afin de permettre au public d’en évaluer la valeur, sous réserve des dispositions prévues à l’article 12.1 du présent Guide. »
À l’article 12.1 (2), le Guide précise les règles à respecter lorsqu’il s’agit de sources anonymes : « Lorsqu’ils garantissent l’anonymat à une source d’information, les journalistes la décrivent suffisamment dans leur reportage afin que le public puisse apprécier sa valeur et sa crédibilité, sans cependant divulguer des éléments pouvant permettre son identification. »
Aux yeux du Conseil, la source de l’information est ici le courriel lui-même et non la personne qui l’a transmis au journaliste. Dans ce contexte, ce dernier n’avait pas l’obligation déontologique de donner des indications sur la personne lui ayant transmis le message. La seule obligation du journaliste était de rapporter fidèlement le contenu du courriel, ce qu’il a fait.
Le grief de description insuffisante d’une source anonyme est rejeté.
Grief 4 : refus de rétractation ou de rectification
M. Leclerc déplore le refus des mis en cause de se rétracter ou de rectifier ce qu’il considère comme des manquements. Il rapporte avoir contacté le journaliste après la diffusion de la chronique et M. Lacroix a maintenu sa version des faits. Le lendemain, soit le 30 août 2016, la productrice au contenu de l’émission « Puisqu’il faut se lever » a été contactée. Elle a demandé à ce que les arguments de la plaignante lui soient envoyés par écrit, ainsi que ses attentes pour réparer les torts que lui aurait causés l’intervention du journaliste. La plaignante souhaitait la lecture d’un rectificatif par l’animateur au moment de l’intervention de M. Lacroix, indique son représentant en ajoutant que cette demande a été refusée, les mis en cause jugeant que l’information présentée était exacte.
De son côté, M. Lorrain confirme que ne constatant pas d’erreur, les mis en cause ont refusé de se rétracter.
En ce qui concerne la correction des erreurs, le Guide, à l’article 27.1, prévoit : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. »
Le Conseil n’ayant constaté aucune faute déontologique, il juge que les mis en cause n’avaient pas à se rétracter ou à rectifier l’information diffusée.
Le grief de refus de rétractation ou de rectification est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Lyne Gaudreault contre le journaliste Louis Lacroix et la station radiophonique 98,5FM concernant les griefs d’informations inexactes, d’information incomplète, manque de rigueur de raisonnement et sensationnalisme, de description insuffisante d’une source anonyme et de refus de rétractation ou de rectification.
Nicole McKinnon
Présidente du sous-comité des plaintes
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- M. Luc Grenier
- Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
- M. Marc Verreault
Représentants des entreprises de presse :
- M. Pierre-Paul Noreau
- M. Raymond Tardif