Plaignant
M. Pierre Lacerte
Mis en cause
Mme Lysiane Gagnon, chroniqueuse
Le quotidien La Presse+
Résumé de la plainte
M. Pierre Lacerte dépose une plainte le 18 octobre 2016 contre la chroniqueuse Lysiane Gagnon et le quotidien La Presse+ concernant la chronique « Et si c’était le jour de Noël? » publiée le 4 octobre 2016. Il déplore des informations inexactes et un manque de rigueur de raisonnement.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Le plaignant déplore la publication de quatre informations inexactes dans la chronique « Et si c’était le jour de Noël? ».
1.1 Population hassidique
Le plaignant affirme que la chroniqueuse a erronément écrit que la communauté hassidique du quartier représente « 25 000 âmes » alors que l’arrondissement compte au total 24 000 habitants.
Au nom des mis en cause, Me Patrick Bourbeau précise que la chroniqueuse a commis une erreur de bonne foi en confondant la population totale de l’arrondissement Outremont avec celle de la communauté juive.
Le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec, rappelle à l’article 10.2 (3) les devoirs du journalisme d’opinion : « L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. »
En ce qui concerne l’exactitude, l’article 9, alinéa a), du Guide prévoit : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude, fidélité à la réalité ».
Après vérification et l’admission des mis en cause, le Conseil juge que la chroniqueuse a commis une inexactitude concernant le nombre de juifs vivant à Outremont.
Le grief est retenu sur ce point.
1.2 Pourcentage de juifs hassidiques
Le plaignant soutient que l’information transmise est inexacte lorsque la chroniqueuse écrit que la communauté hassidique « forme le quart de la population de l’arrondissement ». Il fait valoir que les juifs représentent 19 % de la population d’Outremont et que ceux-ci ne sont pas tous « assimilés à la frange ultraorthodoxe ».
Me Bourbeau explique que la chroniqueuse s’est basée sur de nombreux textes parus dans d’autres médias québécois (Le Devoir, La Presse, Montreal Gazette) pour indiquer que la communauté juive hassidique formait le quart de la population d’Outremont. À titre de chroniqueuse, « Mme Gagnon était en droit de se fonder sur des informations véhiculées par d’autres journalistes sans avoir l’obligation de faire elle-même sa propre enquête. », soutient Me Bourbeau.
Dans ses commentaires, le plaignant rejette l’argument voulant que Mme Gagnon était « en droit » de rapporter les informations erronées d’autres médias. « [L]a réappropriation d’une information erronée glanée auprès d’un autre média ou d’un autre journaliste ne peut servir à se déresponsabiliser de l’exactitude et de la véracité des faits ou des données que l’on publie », affirme le plaignant.
De plus, le plaignant constate que trois des articles soumis par les mis en cause ont été publiés après la chronique de Mme Gagnon. Conséquemment, ceux-ci n’ont pu être consultés par la chroniqueuse lors de la rédaction de son texte.
En plus des principes évoqués précédemment, le Guide rappelle à l’article 4 (2) que : « les médias d’information sont responsables de tout le contenu journalistique qu’ils publient ou diffusent, sans égard au support utilisé, ce qui comprend les comptes de médias sociaux qu’ils exploitent. »
La jurisprudence reflète cette responsabilité, notamment dans la décision D2013-07-013(2). Le Conseil y blâme des médias qui avaient repris, sans vérification, une information publiée dans un autre média qui s’est par la suite avérée inexacte.
Selon les données de Statistique Canada datant de 2011, 4430 des 22 945 habitants de l’arrondissement d’Outremont se déclaraient de religion juive, ce qui représentait environ 19 % de la population.
Après analyse, la majorité des membres (4/5) juge que la donnée présentée par la chroniqueuse est inexacte. Le fait que d’autres médias aient publié une statistique erronée ne justifie pas les mis en cause de la reprendre. Comme le rappellent la déontologie et la jurisprudence, les médias sont responsables du contenu qu’ils diffusent.
Un membre fait connaître sa dissidence. Il juge que le pourcentage présenté dans la chronique se trouve dans une marge acceptable par rapport à celui rapporté par Statistique Canada.
Le grief est retenu sur ce point.
1.3 Décision de réviser le règlement
Le plaignant estime que l’information suivante est inexacte : « […] c’est après qu’un permis eut été accordé pour la construction d’une synagogue dans la rue Bernard que le conseil a décidé de changer le règlement de zonage ». Le plaignant soutient que le conseil d’arrondissement aurait annoncé son intention de réviser le règlement en janvier 2015, soit avant la demande de permis pour la construction d’une synagogue qui a été déposée le 17 mars 2015 et approuvée le 26 mai 2015.
Au sujet du règlement de zonage, Me Bourbeau rapporte que la chroniqueuse s’est fiée à des articles publiés dans d’autres médias.
Le plaignant met en preuve un article publié sur le site Internet du journal Métro le 3 février 2015, soit avant le dépôt de la demande de permis. Titré « Outremont songe aussi à resserrer sa réglementation sur les centres communautaires », l’article affirme : « l’arrondissement [d’Outremont] se penchera prochainement sur une révision de son règlement encadrant la question des activités religieuses dans les centres communautaires ». Le plaignant accompagne cet article d’une copie du permis émis par le Service de l’aménagement urbain et du patrimoine de l’arrondissement d’Outremont.
Contacté par le Conseil, le cabinet de la mairesse d’Outremont indique que l’article mis en preuve par le plaignant fait état d’un événement qui n’a pas de lien avec la modification de zonage dont il est question dans la chronique de Mme Gagnon.
L’article mis en preuve par le plaignant n’étant pas probant, le Conseil juge qu’il n’est pas en mesure d’établir à quel moment l’arrondissement a pris la décision concernant cette modification de zonage. Le Conseil rappelle que le fardeau de la preuve repose sur le plaignant. Dans le cas présent, ce dernier n’a pas démontré qu’une inexactitude a été commise, conclut le Conseil.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.4 Nombre de synagogues
Le plaignant considère que le nombre de synagogues évoquées dans le passage suivant est inexact : « Les quatre synagogues du quartier ne suffisent plus aux besoins de cette communauté […] ». Il fait valoir qu’il existe 19 lieux de culte hassidiques à l’intérieur d’un kilomètre carré couvrant Outremont et le Mile-End.
Me Bourbeau réplique que la chroniqueuse s’en est remise à l’information publiée dans d’autres médias.
Le plaignant réfute les arguments des mis en cause sur le nombre de lieux de culte. Selon lui, attribuer la responsabilité aux autres médias n’est pas une défense légitime.
Les vérifications du Conseil auprès de l’arrondissement ont permis d’établir qu’il y a cinq synagogues sur le « territoire d’Outremont ».
Alors que la chroniqueuse rapporte la présence de quatre synagogues dans le quartier, qu’elle ne définit pas géographiquement, le plaignant étend son analyse aux lieux de culte, qui comprennent notamment les synagogues, pour un territoire dépassant les limites d’Outremont. Quant à l’arrondissement, il dénombre cinq synagogues sur son territoire.
La majorité des membres du comité (4/5) conclut que le plaignant n’a pas réussi à prouver que la chroniqueuse a commis une inexactitude sur ce point. Cette partie du grief est rejetée.
Un membre a pour sa part jugé qu’il y avait inexactitude puisque Mme Gagnon réfère à l’arrondissement tout au long de sa chronique sauf dans ce passage où elle rappelle la nécessité pour les juifs de se rendre à pied à la synagogue.
Le grief est rejeté sur ce point.
En conséquence, le grief d’informations inexactes est retenu sur les points de la population hassidique et du pourcentage de juifs hassidiques.
Grief 2 : manque de rigueur de raisonnement
Le plaignant considère que la chroniqueuse a fait preuve d’un manque de rigueur de raisonnement à deux reprises dans sa chronique.
2.1 Chances de gagner le référendum
Le plaignant déplore un manque de rigueur de raisonnement dans l’affirmation : « Mais comme les hassidim ne forment que le quart des électeurs, ils n’ont aucune chance de gagner le référendum. »
Selon le plaignant, cet argumentaire ne tient pas la route puisque seuls les électeurs de certains secteurs sont appelés à se prononcer lors du référendum. Or la communauté hassidique serait, à son avis, « particulièrement florissante » dans ce secteur de l’arrondissement. De plus, il considère que la chroniqueuse fait un amalgame lorsqu’elle tient pour acquis que les électeurs de confession juive hassidique voteront nécessairement en faveur de la proposition au référendum.
De son côté, Me Bourbeau argumente que, sur la base des statistiques disponibles, Mme Gagnon était parfaitement justifiée d’émettre l’opinion selon laquelle les hassidim n’avaient aucune chance de gagner le référendum puisqu’ils ne formaient que le quart de la population touchée.
Il souligne que le plaignant ne fournit pas de preuve démontrant son affirmation selon laquelle la communauté hassidique serait « particulièrement florissante » dans le secteur visé par le référendum.
Dans ses commentaires, le plaignant réitère que Mme Gagnon a erré en affirmant que les électeurs hassidiques allaient être confrontés à l’ensemble de la population d’Outremont, puisque seuls les citoyens concernés par la modification de zonage pouvaient se prononcer. L’argument « sur la base des statistiques disponibles » ne tient pas, selon lui, puisqu’il juge que le raisonnement de la chroniqueuse était vicié et erroné d’emblée.
Le plaignant précise qu’il base son appréciation sur son expérience puisqu’il habite ce secteur depuis 31 ans. De plus, il indique avoir été candidat lors de l’élection de 2013 ce qui l’a amené à faire du porte-à-porte et à avoir accès à la liste électorale. Il indique : « Par simples recoupements, j’avais été en mesure de faire une évaluation approximative du nombre d’électeurs de cette communauté, ce qui me permet de réaffirmer qu’elle est “très florissante” dans la zone ciblée. J’ajoute cependant que la loi électorale interdit toute utilisation ou transmission de cette liste. »
En vertu de l’article 10.2 (2) et (3) du Guide, « (2) [l]e journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. »
L’article 9, alinéa b) du Guide rappelle : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : b) rigueur de raisonnement. »
Le Conseil considère que le plaignant n’a pas été en mesure de démontrer ce qu’il avance. De plus, même si on ne peut présumer de l’issue d’un vote démocratique, le Conseil juge qu’il est légitime pour une journaliste d’opinion de faire état de son hypothèse sur le sujet.
Le grief est rejeté sur ce point.
2.2 Église Saint-Viateur
Le plaignant estime que l’affirmation suivante manque de rigueur de raisonnement : « Si l’imposante église Saint-Viateur ne nuit aucunement à l’activité commerciale de la chic rue Laurier, on voit mal comment une synagogue de dimensions plus modestes déformerait la rue Bernard. » Selon le plaignant, la comparaison entre cette église et le projet de synagogue est bancale puisque l’église a été construite à une époque où les règles de zonage n’existaient pas.
Le rôle d’une journaliste d’opinion est de se prononcer sur des sujets d’intérêts publics, plaide Me Bourbeau. Pour ce faire, une grande latitude lui est accordée dans le choix du ton et du style qu’elle adopte. « Mme Gagnon visait à faire la démonstration par l’absurde de l’absence de bien-fondé de la démarche des autorités de l’arrondissement », écrit-il.
Le Conseil juge que le journalisme d’opinion permet à la chroniqueuse d’établir une telle comparaison.
Le grief est rejeté sur ce point.
Le grief de manque de rigueur de raisonnement est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Pierre Lacerte et blâme la chroniqueuse Lysiane Gagnon et le quotidien La Presse+ pour le grief d’informations inexactes. Cependant, le Conseil rejette le grief de manque de rigueur de raisonnement.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
M. Luc Grenier
Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. Luc Simard
Mme Nicole Tardif