Plaignant
Anonyme (dûment identifié au Conseil de presse)
Mis en cause
Yanick Poisson, journaliste
Le quotidien La Tribune
Résumé de la plainte
Le plaignant dépose une plainte le 11 novembre 2016 contre le journaliste Yanick Poisson et le quotidien La Tribune concernant l’article « Quatre années d’intimidation culminent par un séjour à l’hôpital », publié le 16 octobre 2016. Le plaignant déplore des informations inexactes, un manque d’équilibre et l’identification d’une personne mineure.
Le plaignant reproche également aux mis en cause une atteinte à la présomption d’innocence. Ce principe s’applique lorsque des accusations ont été portées ou pourraient l’être, ce qui n’est pas le cas du dossier dont fait état l’article. Par conséquent, ce grief est jugé irrecevable et ne sera pas traité par le Conseil.
L’article mis en cause rapporte une situation conflictuelle entre deux élèves d’une école primaire. La mère de William témoigne de l’intimidation dont son fils aurait été victime.
Analyse
Grief 1 : informations inexactes
Le plaignant considère que l’article publié comporte cinq informations inexactes.
1.1 Séjour à l’hôpital
Mentionner « un séjour » à l’hôpital dans le titre est une information inexacte, selon le plaignant. Il affirme que l’enfant s’est rendu à l’hôpital, mais qu’il n’y a pas « séjourné ni passé la nuit ».
Dans leur réplique, les mis en cause soutiennent que l’expression « séjour » n’est pas liée à une durée précise ou définie. Ainsi, le fait d’avoir passé plusieurs minutes ou quelques heures à l’hôpital peut constituer un séjour. « On retrouvera ainsi dans certains articles sportifs qu’un joueur a fait un “séjour” au banc des punitions. On comprendra qu’il n’y a évidemment pas passé la nuit », argumentent-ils.
Le plaignant estime qu’en utilisant le mot « séjour », le journaliste a amplifié la situation. Selon lui, il aurait simplement pu écrire « visite à l’hôpital », puisque « séjour » réfère à une période de temps plus longue.
En matière d’exactitude de l’information, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec prévoit à l’article 9 a) : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) fidélité à la réalité ».
À la suite de vérifications, le Conseil constate que le nom « séjour » est défini sur le site www.larousse.fr (consulté le 2 octobre 2017) comme le « [f]ait de séjourner quelque part pendant un certain temps ». Le même dictionnaire offre la définition suivante pour le verbe « séjourner » : « Demeurer, résider quelque temps dans un endroit. » (consulté le 2 octobre 2017)
En se basant sur ces définitions, le Conseil juge que l’information transmise par les mis en cause est fidèle à la réalité.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.2 Gestes posés
Le plaignant soutient que l’enfant désigné comme l’assaillant n’a pas « sauté sur le dos » de William et ne l’a pas « roué de coups de pieds et de coups de poing ». Selon lui, les enfants jouaient avec d’autres à un jeu de ballon. Il y aurait eu tricherie et le jeu se serait arrêté et des paroles auraient été échangées. L’autre enfant aurait saisi William par les épaules et basculé par terre et c’est dans la séquence de ces événements que sa tête aurait cogné le sol.
Les mis en cause notent que l’article s’appuie sur la version de la mère de William qui tient les faits de son fils. Le plaignant se basant lui aussi sur des versions rapportées par d’autres, les mis en cause font valoir qu’il est impossible de savoir si les faits mentionnés sont inexacts.
Dans ses commentaires, le plaignant reconnaît que plusieurs versions peuvent cohabiter, cela dit, il maintient que de nombreux témoins adultes peuvent en témoigner. « Pourquoi publier quelque chose qui n’est pas certain? », questionne-t-il.
Après analyse, le Conseil juge que le plaignant n’a pas démontré de façon convaincante l’inexactitude des informations mises en cause. De plus, le journaliste a bien précisé qu’il s’agissait de la perspective de la mère de William.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.3 Quatre années d’intimidation
Le plaignant affirme que le passage suivant est inexact : « cela fait déjà quatre longues années que son fils est victime d’intimidation à l’école ». Selon lui, il y a eu quatre incidents et non quatre ans d’intimidation continuelle. Le plaignant avance que deux incidents seraient survenus en 2012, un en 2014 et un autre épisode le 7 octobre 2016. En 2012, il avait été interdit aux enfants de se parler.
Le plaignant affirme qu’il y a eu médiation entre les deux élèves. La personne qui dirigeait cette démarche a répété à plusieurs reprises qu’il ne s’agissait pas d’un cas d’intimidation, mais d’un conflit. L’enfant présenté comme la victime aurait avoué qu’il agaçait l’autre garçon.
Dans leur réplique, les mis en cause soulignent qu’en « aucun temps, il est écrit que l’intimidation a été soutenue pendant quatre ans », il s’agit selon eux d’une interprétation du plaignant. Ils observent qu’en tenant compte des dates des incidents, dont deux en 2012, un en 2014 et un autre en 2016, les événements s’étendent sur une période de quatre ans.
Le plaignant insiste sur le titre donné à l’article « Quatre années d’intimidation culminent par un séjour à l’hôpital ». Selon lui, sa perception reflète bien l’idée suggérée par le titre. Il note que la définition d’intimidation insiste sur la répétition du geste. « Dans ce cas-ci, c’est un conflit entre deux enfants avec quatre incidents en quatre ans », écrit-il.
Interrogée par le Conseil, la mère témoignant dans l’article affirme que le conflit a duré environ quatre ans et elle croit que la situation a évolué en raison de sa sortie dans les médias.
La majorité des membres (4/5) observe que le directeur des communications de la commission scolaire évoque une situation s’étant échelonnée sur une période de quatre ans. Ainsi, même s’il s’agissait de gestes violents ponctuels, il était exact de parler d’une situation et d’un sentiment d’intimidation vécus sur une période de quatre ans.
Un membre fait valoir sa dissidence. Il juge que le passage mis en cause est inexact parce que l’expression « quatre longues années » laisse croire que des gestes d’intimidation ont été posés de façon continue, ce qui n’est pas le cas comme l’a confirmé la mère de la victime. Le membre dissident ajoute qu’il peut y avoir confusion entre le nombre d’années civiles écoulées et le nombre d’années scolaires.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.4 Menaces de mort
Le plaignant juge inexact de suggérer qu’il y a eu des menaces de mort répétitives. Selon le plaignant, mettre l’accent sur ces propos, lancés alors que les enfants étaient en première année (ils sont aujourd’hui en 5e), est une exagération qui n’est pas factuelle puisqu’il s’agit d’un épisode passé, sans lien avec l’incident dont il est question dans le texte.
Les mis en cause maintiennent l’exactitude des faits et observent que le plaignant a lui-même confirmé qu’il y a eu expression de menaces de mort dans le passé.
Dans ses commentaires, le plaignant maintient que cette affirmation est présentée de manière à mousser les faits.
Le plaignant ayant admis que le jeune garçon présenté dans l’article avait reçu des menaces de mort, le Conseil juge que le journaliste a été fidèle à la réalité.
Le grief est rejeté sur ce point.
1.5 Frappé à la tête
Selon le plaignant, il est faux d’écrire que le garçon présenté dans l’article a été « frappé violemment à la tête ». Il se serait plutôt cogné la tête au sol et n’aurait pas été victime d’une commotion cérébrale. De plus, le plaignant affirme que l’enfant n’a pas été transporté par ambulance, il s’est rendu à l’hôpital, mais il n’y est pas resté pour la nuit.
Le plaignant joint à sa plainte une publication Facebook partagée par la mère de la victime, après la publication de l’article mis en cause. En partageant l’article de La Tribune, la dame précise : « Bon, les faits sont un peu changés, le journaliste a mêlé [sic] quelques faits, mais en gros le fond y est… »
Les mis en cause rappellent qu’il n’a pas été écrit que l’enfant avait été transporté par ambulance, ni qu’il a été victime d’une commotion, mais bien que certains craignaient une commotion cérébrale.
Non satisfait de cette réponse, le plaignant demande dans ses commentaires « Pourquoi parler de commotion cérébrale dans ce cas? »
La mère de la victime confirme au Conseil que son fils s’est cogné la tête au sol après avoir été basculé par l’autre enfant, et qu’il n’y a pas eu de coup porté à la tête. Elle affirme qu’une légère commotion aurait été diagnostiquée à l’hôpital.
Le Conseil se retrouvant face à des versions contradictoires, il manque de preuve pour les juger. Le Conseil constate, toutefois, que la commission scolaire n’a pas contesté les faits lorsque contactée par le journaliste.
Le grief est donc rejeté sur ce point.
Au vu de ce qui précède, le grief d’informations inexactes est rejeté.
Grief 2 : manque d’équilibre
Le plaignant déplore que l’article présente uniquement la version de la mère de la victime. Selon lui, les versions de la commission scolaire, de l’école, de l’enquêteur de la Sûreté du Québec au dossier et des parents du deuxième garçon impliqué diffèrent de celle de cette première source.
Les mis en cause mentionnent que l’article rapporte non seulement les versions de la victime, mais aussi du porte-parole de la commission scolaire, qui aurait confirmé les événements et la suspension de l’enfant impliqué. Ils affirment que l’autre famille impliquée ayant refusé de donner sa version, pour ne pas identifier leur enfant, il n’était pas possible pour le journaliste de rapporter leurs propos.
Dans ses commentaires, le plaignant rapporte que contrairement à ce que suggère le journaliste, ce dernier n’aurait pas tenté d’obtenir la version des autres parents qui ont appris la nouvelle en lisant le journal.
L’article 9, alinéa d) du Guide précise : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] d) équilibre dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ».
Devant les versions contradictoires du mis en cause et le commentaire du plaignant sur la tentative de joindre l’autre partie impliquée, le Conseil a demandé au journaliste de confirmer s’il avait ou non tenté de joindre la deuxième famille. Celui-ci a précisé avoir tenté d’obtenir les coordonnées de cette famille, mais sans succès en raison des règles de confidentialité. Le journaliste soutient être demeuré « disponible » pour recevoir la version des parents, mais qu’ils ne se sont pas manifestés. Il a donc jugé que les informations de la commission scolaire étaient suffisantes.
Le Conseil a également joint la mère de l’enfant présenté comme l’« agresseur ». Elle mentionne n’avoir reçu aucun appel de la part d’un média. Elle confirme avoir vu la nouvelle dans le journal. Ni elle, ni son conjoint, ni aucun membre de l’entourage n’ont été contactés avant la publication.
La majorité des membres (4/5) juge que le journaliste a manqué à son devoir d’équilibre en ne présentant pas la version de la deuxième famille impliquée dans cette histoire. Aux yeux des membres majoritaires, le journaliste n’a pas fait les efforts raisonnables pour rapporter la version de l’autre partie impliquée dans ce conflit, ce qui aurait, par ailleurs, permis de valider la réaction de la commission scolaire.
Un membre inscrit sa dissidence. Selon lui, il était suffisant de présenter le point de vue de la commission scolaire puisque le sujet de l’article était l’inaction de l’organisme. Dans ce contexte, le journaliste a respecté le principe d’équilibre.
Le grief de manque d’équilibre est retenu.
Grief 3 : identification d’une personne mineure
En identifiant la victime par son prénom et son âge, et en montrant une photo de cet enfant accompagné de sa mère, le plaignant juge qu’il est facile pour l’entourage de faire des liens et de comprendre qui est l’autre enfant impliqué dans ce conflit.
Les mis en cause affirment qu’il n’était pas possible de raconter cette histoire sans nommer la mère et son fils. L’histoire est centrée sur ce cas vécu. Ils font remarquer que le journaliste n’a mentionné aucun élément caractéristique permettant d’identifier l’autre enfant.
Dans ses commentaires, le plaignant estime qu’au contraire, en publiant la photo de la mère et de son fils, il n’était pas difficile de deviner l’identité de l’autre enfant. L’école compte un peu plus de 220 élèves et il évoque que « Drummondville ce n’est pas Montréal ».
En ce qui concerne l’identification des personnes mineures hors du contexte judiciaire, le Guide stipule à l’article 22.1 (1) : « Hors du contexte judiciaire, les journalistes et les médias d’information s’abstiennent de publier toute mention propre à permettre l’identification de personnes mineures lorsque celle-ci risquerait de compromettre leur sécurité et leur développement. »
Dans le dossier D2014-01-081, le Conseil a retenu la plainte visant l’identification d’une personne mineure, parce que la journaliste avait dévoilé suffisamment d’éléments pour qu’il soit possible de déduire le nom des enfants d’un homme ayant fui la communauté des Lev Tahor, dirigée par son père, le Rabbin Shlomo Helbrans. Il a été jugé que les mis en cause n’avaient pas fait preuve de toute la prudence nécessaire pour préserver l’anonymat des enfants aux yeux du public.
À la lecture de l’article, le Conseil juge que les informations qui y sont présentées ne sont pas suffisantes pour permettre au public d’identifier le deuxième enfant impliqué dans ce conflit.
Le grief d’identification d’une personne mineure est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte et blâme le journaliste Yanick Poisson et le quotidien La Tribune pour le grief de manque d’équilibre. Cependant, le Conseil rejette les griefs d’informations inexactes et d’identification d’une personne mineure.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du sous-comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
M. Luc Grenier
Mme Nicole McKinnon
Représentant des journalistes :
M. Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
M. Luc Simard
Mme Nicole Tardif