Plaignant
M. Jacques Larivière
Mis en cause
Mme Katia Gagnon, journaliste
Mme Gabrielle Duchaine, journaliste
Le site lapresse.ca
La Presse+
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
M. Jacques Larivière dépose une plainte le 7 novembre 2016 contre la journaliste Gabrielle Duchaine concernant l’article « Un suspect recherché après trois agressions dans le Plateau » publié le 5 novembre 2016 et contre la journaliste Katia Gagnon concernant l’article « Agressions sur le Plateau: un suspect au lourd passé criminel » publié le 6 novembre 2016. Le plaignant dénonce de la discrimination concernant la mention non pertinente de l’origine ethnique.
L’article du 5 novembre rapporte la recherche par le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) d’un individu ayant commis trois agressions dans le Plateau Mont-Royal. Celui du 6 novembre rapporte l’arrestation d’un homme qui aurait perpétré trois agressions sur des femmes.
Analyse
Grief 1 : Discrimination – mention non pertinente de l’origine ethnique
M. Jacques Larivière déplore que l’article de la journaliste Katia Gagnon, « Agressions sur le Plateau: un suspect au lourd passé criminel » ait fourni l’identification des origines ethniques de l’accusé. M. Larivière émet le même reproche envers l’article de la journaliste Gabrielle Duchaine, « Un suspect recherché après trois agressions dans le Plateau ». Le plaignant considère que cette information n’était pas pertinente et qu’elle contribue plutôt à véhiculer et entretenir des préjugés.
De l’avis de M. Larivière, cette mention provoque un amalgame entre violence, agression, danger et une caractéristique ethnique. Il ajoute que de préciser la caractéristique « autochtone » nourrit l’idée qu’il faut se méfier des autochtones.
Par l’entremise de Me Patrick Bourbeau, les mis en cause mentionnent que l’article du 6 novembre, de la journaliste Katia Gagnon, est une mise à jour de l’article publié le 5 novembre, dans lequel la journaliste Gabrielle Duchaine fait état d’un avis de recherche émis par le SPVM afin que le public puisse contribuer à retrouver un homme soupçonné d’avoir agressé trois femmes. C’est dans ce contexte, explique Me Bourbeau, qu’il était utile d’indiquer l’origine ethnique du suspect qui était recherché pour un crime violent.
Me Bourbeau souligne que la mention de l’origine ethnique du suspect dans l’article du 6 novembre n’était qu’un « artéfact » de la version précédente, publiée la veille, qui servait à rendre un service public.
Dans sa réponse à Me Bourbeau, M. Larivière rejette l’idée que la précision portant sur la mise à jour du 6 novembre, par la journaliste Katia Gagnon, d’un texte publié le 5, se révèle pertinente. Le fait que Mme Gagnon ait répété l’erreur de Mme Duchaine ne la dégage pas de ses responsabilités, indique le plaignant. M. Larivière juge déplorable que Me Bourbeau ait banalisé la mention de l’origine ethnique en la qualifiant d’« artéfact ». Il considère que l’utilisation du qualificatif « autochtone » ne pouvait être dans les circonstances un critère d’évaluation physique et objectif du suspect, puisqu’un autochtone peut avoir différentes caractéristiques physiques. Il avance qu’à la seule vue de la photographie du suspect publiée dans La Presse.ca et LaPresse+, il était impossible de définir la personne comme étant autochtone. Selon le plaignant, Me Bourbeau ne justifie pas l’utilité de faire une telle mention de l’origine ethnique du suspect. De son avis, les journalistes devraient tenir compte du contexte sensible entourant les préjugés à l’égard des autochtones.
En matière discrimination, le Guide de déontologie journalistique mentionne à l’article 19 (2) : « Les journalistes et les médias d’information ne font mention de caractéristiques comme la race, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou d’autres caractéristiques personnelles que lorsqu’elles sont pertinentes. »
La jurisprudence du Conseil souligne que « […] la mention de l’origine ethnique n’est légitime que lorsque cela est pertinent, c’est-à-dire lorsqu’il existe un lien entre les événements rapportés et l’origine ethnique, ou lorsque celle-ci a une incidence sur ces événements. (D2013-07-001) »
Le Conseil rappelle que les journalistes et les médias d’information doivent faire preuve d’une grande vigilance lors de la mention de l’origine ethnique d’une personne, surtout dans un contexte judiciaire. Bien que les corps policiers aient des pratiques spécifiques dans la recherche de suspects, les journalistes doivent appliquer les principes relevant de leur propre déontologie journalistique. Dans le présent cas, les articles en cause rapportent un fait divers concernant la recherche et l’arrestation d’un présumé agresseur. Le Conseil estime que les informations fournies quant à l’apparence physique du suspect dans l’article « Un suspect recherché après trois agressions dans le Plateau » étaient suffisantes pour contribuer à son identification et que l’ajout de la mention de l’origine ethnique, dans les deux articles mis en cause, n’était ni pertinente ni d’intérêt pour une meilleure compréhension du sujet.
Le Conseil constate que la mention de l’origine ethnique dans les articles visés contrevenait à l’obligation déontologique prévue à l’article 19 (2) qui demande aux journalistes de ne mentionner ces caractéristiques, comme la race ou l’origine ethnique, que lorsque c’est pertinent, surtout dans un contexte où cette mention est susceptible de contribuer à entretenir des préjugés.
Le grief de discrimination – mention non pertinente de l’origine ethnique est retenu.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec retient la plainte de M. Jacques Larivière et blâme les journalistes Gabrielle Duchaine, Katia Gagnon, le site lapresse.ca et La Presse+ pour le grief de discrimination – mention non pertinente de l’origine ethnique.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alnéus
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Maxime Bertrand
- M. Luc Tremblay
Représentant des entreprises de presse :
- M. Luc Simard
Date de l’appel
18 September 2018
Appelant
Mme Katia Gagnon, journaliste
Mme Gabrielle Duchaine, journaliste
lapresse.ca
La Presse+
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
GRIEF DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement au grief de discrimination – mention non pertinente de l’origine ethnique.
Grief 1 : discrimination – mention non pertinente de l’origine ethnique
Principe déontologique applicable
« Les journalistes et les médias d’information ne font mention de caractéristiques comme la race, la religion, l’orientation sexuelle, le handicap ou d’autres caractéristiques personnelles que lorsqu’elles sont pertinentes. » (article 19 (2) du Guide)
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 19 (2) du Guide a été appliqué correctement.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance contre La Presse.
Analyse
En première instance, le comité des plaintes s’est penché sur deux articles publiés dans La Presse : le premier, daté du 5 novembre, rapporte que le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) recherche une personne ayant commis trois agressions dans le Plateau-Mont-Royal. Le deuxième article, publié le 6 novembre, relate l’arrestation d’un homme qui aurait perpétré trois agressions sur des femmes. Dans les deux articles, on mentionne l’origine ethnique de l’homme recherché, puis arrêté.
Le comité des plaintes a jugé que « les informations fournies quant à l’apparence physique du suspect dans l’article “Un suspect recherché après trois agressions dans le Plateau” étaient suffisantes pour contribuer à son identification et que l’ajout de la mention de l’origine ethnique, dans les deux articles mis en cause, n’était ni pertinent ni d’intérêt pour une meilleure compréhension du sujet ».
En première instance, le Conseil conclut en constatant que « la mention de l’origine ethnique dans les articles visés contrevenait à l’obligation déontologique prévue à l’article 19 (2) qui demande aux journalistes de ne mentionner ces caractéristiques, comme la race ou l’origine ethnique, que lorsque c’est pertinent ».
La commission d’appel estime que le comité de première instance a bien appliqué l’article 19 (2) concernant la pertinence de la mention de l’origine ethnique lorsqu’il a considéré que les informations fournies dans les deux textes, notamment la description détaillée des caractéristiques physiques du suspect dans le premier article, ainsi que la photo du suspect jointe aux deux articles, étaient suffisantes pour identifier l’homme en question.
Conséquemment, la commission d’appel réfute les arguments de l’appelant voulant que la mention de l’origine ethnique du suspect dans le premier article était « pertinente », « utile » et « essentielle », car « il n’y a pas une grande population autochtone sur le Plateau ».
CONCLUSION
Les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membre s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Jacques Gauthier, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
M. Jacques Gauthier
Représentante des journalistes :
Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
M. Renel Bouchard