Plaignant
Mme Corinne Asselin
Mme Marileine Baribeau
Mme Laurie Beaulieu
M. Mathieu Bergeron-Aubre
Mme Anne-Marie Busque
Mme Gina Couture
M. Steve Laflamme
Et 6 plaintes en appui
Mis en cause
M. Yanick Poisson, journaliste
Le quotidien Le Journal de Montréal
Le site Internet www.journaldemontreal.com
Résumé de la plainte
Mmes Corinne Asselin, Marileine Baribeau, Laurie Beaulieu, Anne-Marie Busque et Gina Couture ainsi que MM. Mathieu Bergeron-Aubre et Steve Laflamme déposent une plainte les 29, 30 et 31 mars 2017 contre le journaliste Yanick Poisson, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet www.journaldemontreal.com concernant l’article « Une présumée victime de viol collectif avait beaucoup consommé » publié sur le site Internet le 28 mars 2017 et dans l’édition papier du quotidien le 29 mars 2017. Les plaignants reprochent un titre tendancieux, de la discrimination et l’entretien de préjugés ainsi qu’un manque de prudence dans la couverture d’une affaire judiciaire.
Le Journal de Montréal et le site Internet www.journaldemontreal.com n’ont pas souhaité répondre à la plainte.
L’article mis en cause s’inscrit dans la couverture du procès de trois hommes accusés d’agression sexuelle sur une adolescente de 15 ans.
Grief non traité
Une plaignante formule également une demande de rétractation.
Cependant, comme elle n’a pas fait la démonstration qu’elle avait transmise cette demande aux mis en cause comme l’exige la jurisprudence du Conseil, ce grief n’a pas été traité.
Analyse
Grief 1 : titre tendancieux
Les plaignants estiment que le titre « Une présumée victime de viol collectif avait beaucoup consommé » est tendancieux et met inutilement l’accent sur l’état de consommation de la présumée victime. L’un des plaignants affirme que ce titre « suggère que l’adolescente est responsable du malheur qui lui est arrivé. Qu’elle ait consommé ou non n’a rien à voir avec la gravité de l’acte dont sont accusés les trois hommes », fait-il valoir.
L’une des plaignantes considère que le « choix du titre a un impact sur le lecteur (beaucoup ne liront même pas l’article et s’arrêteront au titre et aux premières lignes), sur l’opinion qu’il se fait d’une nouvelle supposément objective ». Deux autres plaignants croient qu’évoquer la consommation de la victime amène le lecteur à porter davantage d’importance à cet élément qu’aux gestes qu’auraient posés les accusés et estiment que le titre contribue « à délégitimiser la position de la victime aux yeux de l’audience ».
À l’article 14.3 portant sur les illustrations, les manchettes, les titres et les légendes, le Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec prévoit que : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. »
Le Guide décrit le principe d’impartialité de la façon suivante dans son article 9, alinéa c) : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : […] c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier ».
Dans la décision D2016-11-052, le Conseil a rejeté le grief de titre et surtitre inexacts et partiaux. En s’appuyant sur l’article 14.3, le Conseil écrit : « le Conseil observe que le titre et surtitre reflètent les observations de certains intervenants cités dans l’article et qu’en ce sens, le média n’a pas fait preuve d’inexactitude ou de parti pris ».
Les vérifications du Conseil ont permis de constater que le dictionnaire Larousse (consulté en ligne le 24 janvier 2018) définit ainsi l’adjectif « tendancieux » : « Qui n’est pas objectif, qui manifeste une tendance idéologique, des idées qui déforment ».
Après analyse du titre et de l’article et en se basant sur la jurisprudence, la majorité des membres (5/6) du comité juge que le titre ne déforme pas les informations contenues dans l’article et reflète l’article qui rapporte les témoignages présentés au procès ce jour-là, notamment ceux de l’enquêteur et de la toxicologue appelés à témoigner. Un membre fait part de son abstention.
Le grief de titre tendancieux est rejeté à la majorité avec une abstention.
Grief 2 : discrimination et entretien de préjugés
Les plaignants reprochent aux mis en cause d’avoir traité le dossier sans égard à la victime et sans tenir compte d’un contexte social plus large qui dénonce la banalisation des agressions sexuelles. L’un des plaignants déplore le titre de l’article « Une présumée victime de viol collectif avait beaucoup consommé » et le passage « Une présumée victime d’un viol collectif âgée de 15 ans aurait consommé beaucoup d’alcool et de la drogue lors d’un party “rave” avant de présumément être agressée par trois gars dans la vingtaine. » Il estime que ces passages « ne font au final que mettre une partie de la faute sur la victime plutôt que sur ses présumés agresseurs ».
Une autre plaignante considère que « l’angle choisi pour aborder la nouvelle favorise grandement la perpétuation de l’enracinement de la culture du viol au Québec ». Elle argumente que « la culture du viol contribue à normaliser des attitudes et des pratiques qui tendent non seulement à tolérer et excuser le viol, mais également blâmer la victime qui doit alors porter la responsabilité du viol ». Un point de vue partagé par plusieurs plaignants.
En matière de discrimination et d’entretien de préjugés, le Guide de déontologie journalistique prévoit à l’article 19 (1) que « [l]es journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. »
Au cours des derniers mois, le Conseil a eu à statuer sur des plaintes concernant un article publié par les mêmes mis en cause au terme du procès décrit dans la présente plainte. Dans la décision D2017-05-068, le Conseil a dû se prononcer sur un grief d’expression de mépris et entretien de préjugés. Après analyse, il a statué que « le journaliste s’est limité à rapporter le verdict sans tirer de conclusions plus larges. Dans les circonstances, le Conseil estime que le journaliste n’a pas fait montre de mépris ou entretenu des préjugés ». Le grief a été rejeté à l’unanimité.
Le Conseil observe que l’article s’inscrit dans le cadre de la couverture d’un procès se déroulant sur plusieurs jours. Selon le Conseil, l’article mis en cause se limite à rendre compte des témoignages entendus lors de cette journée d’audience soit ceux de l’enquêteur et de la toxicologue. Ces derniers ont fait état de la consommation d’alcool et de drogue de la victime présumée. Le journaliste n’a pas commis de faute déontologique en rapportant la preuve que les experts ont rapportée en cour ce jour-là.
Le grief de discrimination et entretien de préjugés est rejeté.
Grief 3 : manque de prudence dans la couverture d’une affaire judiciaire
Selon l’une des plaignantes, « l’auteur s’écarte des faits et écrit l’article selon un angle qui prône la culture du viol. C’est une façon d’atténuer la responsabilité des criminels (trois hommes) aux yeux du lecteur et de responsabiliser l’adolescente pour le drame qu’elle vient de vivre ».
À l’article 20, le Guide de déontologie journalistique rappelle qu’en matière d’information judiciaire « les journalistes et les médias d’information font preuve de prudence et d’équité en matière de couverture des affaires judiciaires et policières, étant donné l’importance des conséquences qui peuvent résulter de cette couverture ».
Après analyse, le Conseil ne constate aucun manquement au principe sur l’information judiciaire et juge que le journaliste rapporte les faits présentés par l’enquêteur au cours de son témoignage lors de cette journée d’audience.
Le grief de manque de prudence dans la couverture d’une affaire judiciaire est rejeté.
Refus de collaborer
Le Conseil déplore le refus de collaborer du quotidien Le Journal de Montréal et du site Internet www.journaldemontreal.com, qui ne sont pas membres du Conseil de presse, en ne répondant pas à la présente plainte.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mmes Corinne Asselin, Marileine Baribeau, Laurie Beaulieu, Anne-Marie Busque et Gina Couture ainsi que MM. Mathieu Bergeron-Aubre et Steve Laflamme contre le journaliste Yanick Poisson, le quotidien Le Journal de Montréal et le site Internet www.journaldemontreal.com concernant les griefs de titre tendancieux, discrimination et entretien de préjugés ainsi que le manque de prudence dans la couverture d’une affaire judiciaire.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
- Mme Ericka Alneus
- M. Luc Grenier
- Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
- Mme Maxime Bertrand
- M. Luc Tremblay
Représentant des entreprises de presse :
- M. Luc Simard