Plaignant
Mme Julie Lévesque
Mis en cause
François Cardinal, éditorialiste en chef
Le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Mme Julie Lévesque dépose une plainte le 7 juillet 2017 contre l’éditorialiste en chef François Cardinal et le quotidien La Presse concernant un éditorial intitulé « Derrière Trump, l’ombre d’Obama », publié le 8 avril 2017. La plaignante déplore une information inexacte et incomplète, un manque de fiabilité des informations transmises par les sources et un refus de rétractation.
L’éditorial mis en cause a été publié dans les jours suivants une attaque présumée au gaz sarin survenue le 4 avril 2017 et ayant tué au moins 83 personnes à Khan Cheikhoun, une localité située au nord de la Syrie qui était alors aux mains de la rébellion contre le président syrien Bachar Al-Assad. Cette attaque a suscité aussitôt l’indignation de la communauté internationale, qui a pointé du doigt le régime syrien, et provoqué, trois jours plus tard, des représailles des États-Unis dont l’aviation a bombardé un aéroport militaire syrien.
Au lendemain du bombardement américain, l’éditorialiste en chef de La Presse, François Cardinal, publie un éditorial dans lequel il affirme que le régime de Bachar Al-Assad est responsable de l’attaque survenue à Khan Cheikhoun et estime que si le président américain Donald Trump a dû réagir à cette attaque, c’est parce que son prédécesseur, Barack Obama, avait décidé de ne pas intervenir lorsque les forces syriennes avaient « fait pleuvoir les agents chimiques sur la Ghouta en 2013 ».
Analyse
Grief 1 : information inexacte et incomplète
Principe déontologique applicable :
« Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité; e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9, alinéas a et e du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
« (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. » (article 10.2 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si l’éditorialiste a transmis de l’information fidèle à la réalité comprenant les éléments essentiels à sa compréhension en affirmant qu’il s’agissait d’une attaque au gaz sarin et attribuant la responsabilité de cette attaque au président syrien.
Décision :
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte et incomplète parce qu’il juge que l’éditorialiste a respecté les principes d’exactitude et de complétude énoncés à l’article 9, alinéa a) et e) du Guide.
Analyse :
L’information jugée inexacte et incomplète par la plaignante se trouve dans les extraits suivants :
« Mais soyons honnêtes, si le président américain a dû réagir à l’attaque au gaz sarin du dictateur syrien, c’est que son prédécesseur avait choisi de ne pas agir en pareille situation […]
« C’est donc les États-Unis qui étaient provoqués une fois de plus, en début de semaine, lorsqu’une bombe bourrée de sarin a été larguée sur Khan Cheikhoun, tuant 86 civils dans d’atroces douleurs […]
« Il a suffi que l’administration Trump déclare qu’elle ne faisait plus du départ du président syrien une priorité pour que ce dernier, fort de l’appui de Vladimir Poutine, se croie tout permis. Incluant l’utilisation renouvelée d’armes chimiques ». Le mis en cause ayant démontré qu’il s’était appuyé sur un éventail de sources crédibles, le Conseil juge qu’au moment où François Cardinal a écrit son éditorial, il y avait des motifs raisonnables et légitimes de croire que l’attaque survenue à Khan Cheikhoun était de nature chimique et que Bachar Al-Assad en était le responsable.
Parmi les articles mis en preuve par l’éditorialiste figure un article publié dans le quotidien anglais The Guardian, signé par un journaliste qui s’est rendu à Khan Cheikhoun à la suite de l’attaque du 4 avril. Les témoignages qu’il a recueillis sur place démontrent, selon lui, qu’il s’agissait bien d’une attaque chimique, possiblement au gaz sarin. Il explique également que le scénario avancé par les Russes n’est pas crédible puisqu’aucun entrepôt n’a été bombardé et que le seul impact qu’il a trouvé est situé sur une route.
M. Cardinal soumet également un article publié le 7 avril dans le quotidien français Le Figaro. On y lit : « l’attaque de Khan Cheikhoun, que chancelleries et experts imputent au pouvoir syrien, bouleverse ce fragile équilibre ».
Les vérifications effectuées par le Conseil ont permis de confirmer, comme le souligne l’éditorialiste, qu’à la date du 7 avril 2017 un grand nombre d’experts, de diplomates et de chefs d’État, dont les autorités françaises et américaines, accusaient le président syrien d’être responsable de cette attaque qu’ils considéraient de nature chimique. Le jour précédent la diffusion de l’éditorial, Carla Del Ponte, membre de la commission d’enquête des Nations unies sur la Syrie, affirmait d’ailleurs en entrevue à la Radio Télévision Suisse (RTS) que la responsabilité de Bachar Al-Assad était « certaine » dans l’attaque chimique survenue à Khan Cheikhoun.
Le Conseil estime que l’éditorialiste, dans son choix de mots, aurait pu être moins affirmatif dans la nature et l’attribution de la responsabilité de l’attaque, mais qu’il se basait sur un consensus solide pour étayer sa thèse. Dans ce contexte, François Cardinal n’avait pas à présenter les faits comme des allégations telles que l’aurait souhaité la plaignante.
Grief 2 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable :
« Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
La question qui se pose est de déterminer si l’éditorialiste en chef a pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par ses sources.
Décision : Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources puisqu’il juge que l’éditorialiste en chef a respecté l’article 11 du Guide.
Analyse :
Le Conseil juge que François Cardinal a basé son argumentaire sur des sources diversifiées et crédibles auxquelles il pouvait légitimement se fier. Parmi les sources de l’éditorialiste, on trouve les déclarations de dirigeants politiques britanniques, français et allemand, l’article d’un journaliste s’étant rendu à Khan Cheikhoun et un autre citant un colonel à la retraite et ancien chef de l’unité britannique de lutte contre les armes nucléaires, radiologiques, biologiques et chimiques.
Bien que la plaignante reproche à François Cardinal de baser son opinion sur des témoignages provenant de « divers groupes » tels que les White Helmets et l’Observatoire syrien des droits de l’homme qu’elle croit « impliqués dans le conflit » et bien qu’elle considère que M. Cardinal aurait dû mettre en doute ces témoignages, le Conseil observe que l’éditorialiste a recoupé les informations de ces sources avec d’autres sources et des témoignages de divers horizons.
Grief 3 : refus de rétractation
Principe déontologique applicable :
« Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide)
Décision :
N’ayant constaté aucun manquement à la déontologie journalistique, le Conseil de presse du Québec rejette de facto le grief de refus de rétractation.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Mme Julie Lévesque contre le journaliste François Cardinal et le quotidien La Presse pour information inexacte et incomplète, manque de fiabilité des informations transmises par les sources et refus de rétractation.
Linda Taklit
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentantes du public
Mme Ericka Alneus
Mme Linda Taklit
Représentantes des journalistes
Mme Maxime Bertrand
Mme Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse
Jed Kahane
Gilber Paquette