Plaignant
M. Paul Desfossés
Mis en cause
M. Alain Gravel, journaliste, l’émission « Téléjournal 22h » et ICI Radio-Canada Télé
Résumé de la plainte
NOTE : La décision de la commission d’appel se trouve à la suite de la décision de première instance.
M. Paul Desfossés dépose le 28 juillet 2014 une plainte contre le journaliste Alain Gravel, l’émission « Téléjournal 22h » et ICI Radio-Canada Télé concernant le reportage « Claude Blanchet aurait sollicité des firmes de génie-conseil », diffusé le 31 mars 2014. Le plaignant déplore l’absence d’intérêt public, l’utilisation abusive d’une source confidentielle et l’absence de corroboration d’une information, ainsi qu’une présentation tendancieuse de l’information.
Le plaignant soumet également un grief d’atteinte à la réputation. Celui-ci n’étant pas du ressort de la déontologie, il ne sera pas traité par le Conseil.
La présente plainte a déjà fait l’objet d’une décision rendue par le comité des plaintes le 6 février 2015. Portée en appel par les mis en cause, la commission d’appel a demandé le 8 février 2016 à ce qu’un comité des plaintes, composés de membres n’ayant pas participé à la première décision, rejuge ce dossier en raison d’une apparence de vice procédural. Dans ses directives, la commission d’appel a indiqué qu’il ne devait pas y avoir de nouvelles représentations des parties dans ce dossier. Cependant, la mise en place d’un processus d’audition prévue dans le Règlement No 2, entré en vigueur le 5 septembre 2017, a permis aux mis en cause de demander la tenue d’une audition devant le comité des plaintes. Ce dernier a accédé à cette requête et a entendu, le 11 décembre 2017, MM. Alain Gravel et Michel Cormier, respectivement journaliste et directeur général de l’information, services français. Le même jour, le comité a entendu le plaignant, M. Paul Desfossés.
La présente plainte a été analysée selon les principes présentés dans le guide déontologique Droits et responsabilités de la presse (DERP), en vigueur au moment de la diffusion du reportage.
Le reportage mis en cause soutient, sur la base de sources confidentielles, que M. Claude Blanchet, mari de Mme Pauline Marois, première ministre sortante du Québec, aurait fait, en 2007 et en 2008, de la sollicitation auprès de firmes de génie-conseil pour la campagne politique de sa femme. Il rapporte que certains dons ont été faits par l’usage du système de prête-noms. Le reportage a été diffusé une semaine avant les élections générales québécoises de 2014.
Analyse
Grief 1 : absence d’intérêt public
Le plaignant estime qu’il n’était pas d’intérêt public de diffuser un reportage « accusant » M. Claude Blanchet d’avoir sollicité deux entreprises pour du financement politique, car les faits remontaient à sept ans et le « Directeur général des élections l’avait enquêté sans y trouver rien à redire ». Il se demande si le reportage avait un autre but que celui « de lancer de la boue au visage de la chef du Parti québécois et partant à l’option souverainiste, tout cela en pleine campagne électorale ».
De leur côté, les mis en cause soutiennent qu’il était important que les électeurs prennent connaissance des actions de M. Blanchet. Ils estiment que celles-ci « jettent un éclairage sur le passé de la première ministre et sur la façon dont le Parti québécois, à l’instar d’autres formations politiques, a récolté une partie de son financement ».
Rappelant que les chefs de parti avaient fait de l’intégrité un enjeu électoral et que le 26 mars 2014, Mme Marois a affirmé : « Jamais je n’accepterai que le Parti québécois soit comparé au Parti libéral en matière de financement de notre parti », les mis en cause font valoir que « les citoyens [auraient été privés] d’une information pertinente pour exercer leur choix » si le reportage avait été diffusé après l’élection.
Les mis en cause rapportent que le journaliste a reçu la déclaration sous serment le 25 mars 2014. Après vérification et corroboration des informations contenues, le reportage a été diffusé le 31 mars 2014. Ils soulignent n’avoir pas voulu retenir ces informations d’intérêt public, afin de respecter le droit du public à l’information.
En audition, les mis en cause ont soutenu que d’avoir volontairement retenu de telles informations aurait fait preuve de faute déontologique vu l’intérêt public du sujet.
Le DERP stipule en page 7 que « […] la notion d’intérêt public en information s’étend à tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société ».
Le Conseil a souvent eu à déterminer si le sujet d’un article ou d’un reportage était d’intérêt public. Dans le dossier D2012-04-093(2), le Conseil a fait valoir que « le sujet de la corruption dans l’industrie de la construction est un sujet de grand intérêt public au point où le gouvernement a décidé de créer une enquête publique pour y voir plus clair. Le reportage d’“Enquête” sur la firme Roche, qui elle-même fait la manchette depuis deux ans, s’inscrit tout à fait dans ce dossier d’actualité ».
Le Conseil juge que le financement des partis politiques est un enjeu électoral important pour les citoyens. Qui plus est, dans le cas présent, il constate que le thème de l’intégrité était au coeur du débat électoral et de l’actualité au moment de la diffusion du reportage mis en cause. Ainsi, il était d’intérêt public de rapporter les propos d’un homme d’affaires en lien avec des affirmations récentes et répétées de la première ministre sortante voulant que son parti ne puisse être comparé au Parti libéral en matière de financement. Le DERP définissant l’intérêt public comme étant « tout ce qui est nécessaire au citoyen pour qu’il participe pleinement à la vie en société ». Pour toutes ces raisons, le Conseil juge qu’il était d’intérêt public de produire et de diffuser un reportage mettant en doute l’affirmation d’un des chefs de parti, dans le cas présent la première ministre sortante, alors que les citoyens s’apprêtaient à choisir leur prochain gouvernement.
Le grief d’absence d’intérêt public est rejeté.
Grief 2 : utilisation abusive d’une source confidentielle et absence de corroboration d’une information
Le plaignant déplore que le reportage soit basé sur un « affidavit anonyme ». Il fait remarquer que s’il s’agit d’une source confidentielle pour les mis en cause, dans le cas des téléspectateurs, cette source est anonyme puisque son nom n’est pas révélé. Il est donc difficile de valider la véracité des informations transmises dans l’affidavit, soutient le plaignant.
De plus, il remet en question la décision des mis en cause de garantir l’anonymat à une personne ayant « reconnu expressément avoir trempé dans des manoeuvres illégales de financement des partis politiques ».
Le plaignant considère que la source des mis en cause accuse M. Blanchet de malhonnêteté, une accusation qui devrait se faire à visage découvert, selon lui.
Les mis en cause précisent que les sources du reportage sont confidentielles et non anonymes, leur identité étant connue du journaliste et de ses supérieurs. Le journaliste a accepté de leur accorder la confidentialité parce que « l’information ne pouvait être obtenue autrement et que les sources craignaient des représailles si leur identité était connue », rapportent les mis en cause. Ils soulignent l’importance de la protection des sources confidentielles dans le cadre des enquêtes journalistiques. « Les journalistes n’ont aucun pouvoir de contrainte et c’est souvent la garantie de confidentialité qui permet aux enquêtes journalistiques d’avancer. Plusieurs informations d’intérêt public n’auraient jamais été mises au jour sans garantie de confidentialité », insistent-ils.
Les mis en cause soulignent que le DERP juge « [l]a confidentialité des sources d’information des médias et des journalistes est essentielle à la liberté de presse et au droit du public à l’information ». De plus, ils rappellent que la protection des sources journalistiques est reconnue par les tribunaux, notamment par la Cour suprême du Canada.
Dans le cas du reportage visé par la plainte, sans identifier leurs sources confidentielles, les mis en cause indiquent au Conseil que deux d’entre elles sont des dirigeants de firmes de génie-conseil ayant été pendant de nombreuses années au coeur des stratagèmes de financement occulte des partis politiques. De plus, la première source a signé une déclaration assermentée, une preuve de son sérieux, selon les mis en cause, puisqu’elle aurait pu être accusée de parjure si les informations de cet affidavit s’étaient révélées fausses.
Dans le reportage, le premier dirigeant affirme avoir été approché par M. Blanchet pour un montant de 25 000 $ et le deuxième, pour 5 000 $. Le journaliste précise ensuite que cela n’avait « rien d’illégal ». La première source soulève cependant une question d’éthique dans un contexte où la première ministre sortante, en pleine campagne pour un second mandat, insistait sur l’intégrité du Parti québécois (PQ) en matière de financement politique. Le reportage précise ensuite que la limite des dons était de 3 000 $ par personne à l’époque.
Le premier dirigeant affirme également dans le reportage que les solliciteurs de fonds savaient que les firmes avaient recours à ce stratagème, laissant sous-entendre que M. Blanchet était au courant de cette pratique. Le journaliste affirme toutefois dans le reportage que « rien ne permet de l’affirmer ».
Dans le reportage, M. Blanchet nie catégoriquement les allégations le concernant.
Dans leur réplique, les mis en cause expliquent que le journaliste a parlé à plusieurs reprises à ses sources et qu’il a « vérifié de façon rigoureuse leur crédibilité et la véracité de leur information », soulignant que s’il avait constaté au cours de l’enquête que l’on tentait de l’induire en erreur, le journaliste aurait pu dévoiler leur identité.
Les informations fournies par la première source ont été corroborées par la deuxième source et par deux employés de la firme de génie-conseil qui ont confirmé « avoir été sollicités par leur employeur afin de donner pour la campagne de Mme Marois en 2007, ce qu’ils ont fait pour ensuite être remboursés », rapportent les mis en cause dans leur réplique. Lors de l’audition, les mis en cause ont confirmé au Conseil que ces deux employés travaillaient pour la firme de la première source.
Au cours de cette même audition, les mis en cause ont exposé au Conseil les méthodes utilisées pour valider la crédibilité de leurs sources, ainsi que les moyens pris pour corroborer les informations de ces sources. Le journaliste a expliqué que l’enquête a commencé lorsque l’une de ses sources « régulières », dont la crédibilité avait déjà été établie par l’équipe d’Enquête (source qui ne figure pas dans le reportage), lui avait remis l’affidavit d’un dirigeant d’une firme de génie-conseil, lançant ainsi le journaliste et son équipe sur la première piste. Le journaliste a ensuite fait appel à une autre source indépendante, également connue de l’équipe d’« Enquête » et jugée hautement crédible en matière de financement politique, pour lui demander s’il connaissait d’autres dirigeants d’entreprises qui auraient été sollicités par M. Blanchet. Il cherchait ainsi à corroborer les informations présentées dans l’affidavit du premier dirigeant. C’est par l’entremise de cette autre source intermédiaire que le journaliste est arrivé à la deuxième source présentée dans le reportage (le deuxième dirigeant), a-t-il précisé.
Les mis en cause ont également expliqué avoir obtenu le témoignage de deux employés de la firme du premier dirigeant en croisant la liste des donateurs de 2007 du Directeur général des élections (DGE) avec la base de données de l’Ordre des ingénieurs. C’est ainsi qu’ils ont réussi à parler à plusieurs employés concernés, ont-ils expliqué au Conseil. Deux de ces employés ont accepté de témoigner pour le reportage, mais uniquement sous le couvert de l’anonymat, par peur de représailles.
Le plaignant considère que dans une société de droit, une accusation doit se faire à visage découvert. Dans leur réplique, les mis en cause soutiennent que celui-ci « se méprend sur la nature du reportage et sur le rôle des médias ». Ils ajoutent : « Le reportage diffusé n’est pas un acte d’accusation et les médias ne sont pas des tribunaux. »
Ils précisent ensuite que l’opinion de la première source voulant que les solliciteurs des partis politiques soient au courant du recours au stratagème des prête-noms était partagée par la deuxième source. « Radio-Canada a fait le choix éditorial de ne pas le spécifier dans son reportage, mais elle s’est assurée d’obtenir cette corroboration sur ce point également. »
Les mis en cause fournissent au Conseil la transcription de deux extraits d’une conversation entre ce deuxième dirigeant de firme de génie-conseil et le journaliste Alain Gravel.
1er extrait :
« Question : On ne peut pas lui prêter d’intentions? »
« Deuxième source : Non, non. Mais il [M. Blanchet] doit être assez intelligent pour savoir que des fois on n’a pas, on n’a pas toutes les façons, puis il faut utiliser d’autres sortes de façon pour le faire. »
2e extrait :
« Question : Ce que vous me dites c’est que implicitement, est-ce que je fais erreur en disant que implicitement il [monsieur Blanchet] savait? »
« Deuxième source : Ben implicitement je pense qu’il était assez intelligent pour savoir que les gens donnaient pas l’argent, donnaient pas l’argent de leur compte de banque personnel là. Ils pouvaient le faire, mais ils étaient remboursés, mais c’était vraiment, certainement pas pour lui faire plaisir. »
« Question : Est-ce qu’il savait lui que vous remboursiez ces gens-là? »
« Deuxième source : Non. J’y ai jamais dit ça. »
« Question : Ok, mais est-ce qu’il savait à votre avis? »
« Deuxième source : Ben d’après moi, d’une approche plus globale, t’sais, s’il demande de, qu’on lui fournisse mettons dans notre cas, compte tenu de l’ampleur, 5000 dollars, il sait très bien probablement que ce sera pas moi qui peux faire un chèque de 5000. […] » « Question : Hum, hum. »
« Deuxième source : Ce qui fait que conséquemment il sait très bien qu’à un moment donné il va falloir que je trouve d’autres personnes pour faire des chèques pis que ces personnes-là le feront pas par plaisir. Donc c’est sûr que, intuitivement il doit savoir que, on s’organise avec ça. Moi j’ai toujours compris que les gens savaient qu’on s’organisait avec ça d’une façon ou d’une autre parce qu’on sait que dans certaines organisations, pis vous le savez, vous l’avez entendu, vous l’avez vu ainsi de suite, y’a des, t’sais y’a des gens qui, dans les organisations politiques, y’a des organisateurs qui, qui avaient de l’argent pis qui donnaient de l’argent à des personnes pour pouvoir faire des chèques parce qu’il manquait de chèques. Fait que t’sais ça c’est, c’est intuitif. Ces gens-là savaient ça de façon générale. Y’en a qui vont dire que y’étaient jamais au courant de ça là, mais selon moi de façon générale les gens savaient qu’on atteignait nos objectifs, qu’on leur fournissait des chèques, mais qu’on faisait ce qu’il fallait pour y arriver. »
Les mis en cause soutiennent qu’en plus de cette deuxième source confidentielle, le rapport Moisan, publié en 2006, appuie l’opinion émise par la première source puisqu’on y lit que le stratagème des prête-noms « est connu depuis longtemps et largement utilisé ». Ils observent qu’à la suite de la publication du rapport, le Parti québécois a choisi de rembourser les contributions remises par des personnes qui avaient été remboursées par l’entreprise Groupaction.
Les mis en cause citent également des décisions judiciaires rendues en 2001 et 2007 dans une cause de nature fiscale impliquant une firme de génie-conseil qui avait recours au stratagème des prête-noms pour faire des dons politiques au Parti québécois, entre autres. « Ces décisions sont d’autres sources qui vont dans le même sens que l’opinion diffusée, soit que les solliciteurs de fonds savaient la façon de procéder des entreprises sollicitées », notent-ils.
Après avoir pris connaissance du verbatim de l’entrevue réalisée par le journaliste avec la deuxième source, le plaignant maintient que « l’accusation de la première source n’est pas appuyée par la deuxième qui se contente de dire que monsieur Blanchet savait que des employés, autres que les deux patrons, devaient contribuer pour espérer atteindre les cibles de financement ».
En ce qui concerne l’identification et la vérification des sources, le DERP prévoit que « Les professionnels de l’information doivent identifier leurs sources d’information afin de permettre au public d’évaluer la crédibilité et l’importance des informations que celles-ci transmettent. Ils doivent également prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de la fiabilité de leurs sources et pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité des informations qu’ils en obtiennent. » (DERP, p. 32)
Quant aux sources anonymes et confidentielles, ce guide de déontologie rappelle que « L’utilisation de sources anonymes doit être justifiée et demeurer exceptionnelle. Quelle que soit la provenance des informations – autorités, spécialistes ou témoins de situations ou d’événements -, les médias et les journalistes doivent s’assurer que l’anonymat requis par des sources ne constitue pas un subterfuge pour manipuler l’opinion publique.
« Mis à part cette réserve, les médias et les professionnels de l’information qui se sont engagés explicitement à respecter le caractère confidentiel de leurs sources doivent en protéger l’anonymat.
« Dans les cas où le recours à des sources anonymes ou confidentielles se révèle nécessaire, par exemple lorsque des informations d’intérêt public importantes ne pourraient être obtenues autrement ou lorsqu’une source pourrait faire l’objet de représailles, les médias et les journalistes sont tenus de le mentionner au public. » (DERP, p. 32)
Dans la décision D2010-02-058, le Conseil juge justifié le recours à des sources anonymes aux yeux du public, mais connues de la journaliste concernant la vente d’un hebdomadaire à un groupe de presse « puisqu’il n’était pas possible de rendre publique cette information d’une autre manière ». Le Conseil observe également dans sa décision que la journaliste a vérifié l’information en contactant les deux parties impliquées dans cette transaction qui ont « respectivement refusé de commenter et nié la nouvelle, ce que la mise en cause a rapporté en ondes ». « L’exactitude de la nouvelle reposait donc uniquement sur la crédibilité des sources anonymes à l’origine de celle-ci. Par ailleurs, les mis en cause affirment, dans leurs commentaires, s’être assurés de la crédibilité de celles-ci, ce que le Conseil ne remet pas en cause. Il considère, par conséquent, que la journaliste n’a pas commis de faute professionnelle, au terme de sa collecte d’information, en considérant que l’information dont elle disposait était exacte et en prenant, par ailleurs, la précaution de diffuser celle-ci en employant le conditionnel », conclut le Conseil.
Le Conseil souligne que le recours à des sources confidentielles dans certaines circonstances a été reconnu autant par la déontologie que par les tribunaux judiciaires. Dans le cas présent, l’intérêt public et la crainte de représailles, un motif clairement exposé dans le reportage, justifient l’utilisation de sources confidentielles.
L’audition a permis de confirmer au Conseil que l’information selon laquelle M. Blanchet a fait du financement politique a bel et bien été corroborée. En ce qui concerne l’opinion voulant qu’une personne sollicitant une contribution dépassant la limite autorisée savait que son interlocuteur aurait recours à un stratagème de prête-noms, le Conseil rappelle qu’il faut placer le reportage dans le contexte dans lequel il a été diffusé. Des décisions judiciaires, le rapport de la commission Moisan sur le financement illégal des partis politiques et les témoignages entendus à la Commission Charbonneau avaient démontré que tous les partis avaient eu recours à ce stratagème. De plus, le verbatim mis en preuve par les mis en cause indique que cette opinion était partagée par une deuxième source. La crédibilité de la source et sa connaissance du milieu justifiaient d’exposer son opinion dans le reportage.
Malgré cela, le Conseil observe que le journaliste a usé de prudence et précisé : « Claude Blanchet savait-il la façon de procéder de la firme de génie-conseil? Rien ne permet de l’affirmer. »
Le grief d’utilisation abusive d’une source confidentielle et d’absence de corroboration d’une information est rejeté.
Grief 3 : présentation tendancieuse de l’information
Le plaignant considère que le traitement de l’affidavit est tendancieux. Lors de l’audition, le plaignant fait valoir qu’il estime que les mis en cause utilisent la crédibilité d’un document légal pour témoigner des risques pris par la source confidentielle.
Le plaignant considère que la date de diffusion accentue le caractère tendancieux du reportage. En audition, il émet des doutes quant « au sursaut éthique » de la source, si près de la date du scrutin.
Finalement, l’affidavit vise, selon lui, à « lancer de la boue au visage de la chef du Parti québécois et partant à l’option souverainiste » puisque l’intégrité de M. Blanchet peut être associée à celle de son épouse, la première ministre sortante.
Pour leur part, les mis en cause assurent avoir été « soucieux de traiter les partis politiques avec équité et impartialité ». Ils font valoir que leur couverture de la campagne électorale n’a pas ciblé un parti politique en particulier. Par ailleurs, ils ont rappelé en audition que l’équipe d’enquête avait diffusé un nombre considérablement plus grands de reportages visant l’intégrité du Parti libéral du Québec en matière de financement avant de diffuser ce reportage.
Concernant la date de diffusion, une semaine avant le jour du scrutin, les mis en cause assurent que le reportage a été diffusé lorsque que l’information obtenue a été vérifiée et corroborée. Ils ont fait valoir que la crédibilité de Radio-Canada aurait été entachée si la diffusion avait été reportée après les élections. En audition devant le Conseil, ils ont expliqué que lors d’une rencontre éditoriale tenue dans les premiers jours de l’enquête, ils ont débattu de cette date de diffusion en pleine campagne électorale. Ils se sont alors donné comme objectif de diffuser au moins une semaine avant le scrutin s’ils arrivaient à corroborer les informations de l’affidavit, une période qu’ils jugeaient raisonnable pour ne pas influencer le vote de façon indue. Ils ont précisé au Conseil que ce faisant, ils allaient au-delà des Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Quant à l’intégrité de Mme Marois, les mis en cause rappellent que le reportage porte sur la sollicitation de fonds effectuée par son mari et que les sommes étaient destinées à ses campagnes politiques. L’association était inévitable, argumentent-ils.
Selon le DERP, « Les médias et les journalistes doivent respecter l’intégrité et l’authenticité de l’information dans la présentation et l’illustration qu’ils en font sur supports visuels et sonores (sons, voix, images, photos, tableaux, graphiques).
« Ils doivent faire preuve de circonspection afin de ne pas juxtaposer illustrations et événements qui n’ont pas de lien direct entre eux et qui risquent ainsi de créer de la confusion sur le véritable sens de l’information transmise. Tout manquement à cet égard est par ailleurs susceptible de causer un préjudice aux personnes ou aux groupes impliqués, lesquels ont droit à ce que leur image ne soit ni altérée ni utilisée de façon dégradante ou infamante. » (DERP, p. 30)
Le DERP rappelle aux journalistes et aux médias d’information qu’ils « ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. » (DERP, p. 21)
Quant au moment de diffusion d’une information, le DERP souligne que cela relève « de la discrétion des médias et des journalistes ». (DERP, p. 13)
Les vérifications du Conseil ont permis de constater que le dictionnaire Larousse (consulté en ligne le 11 décembre 2017) définit ainsi l’adjectif « tendancieux » : « Qui n’est pas objectif, qui manifeste une tendance idéologique, des idées qui déforment. »
Après analyse du reportage, le Conseil ne constate aucun manquement déontologique en ce qui concerne la présentation de l’affidavit. Bien qu’il reconnaisse que le recours à un tel document légal ait un caractère inusité, le Conseil juge qu’il s’agit d’un moyen utilisé par le journaliste pour appuyer la crédibilité de sa source.
En ce qui concerne le lien établi entre M. Blanchet et son épouse, la première ministre sortante, Pauline Marois, celui-ci était inévitable, et non pas tendancieux, étant donné que la sollicitation évoquée dans le reportage visait le financement de la campagne à la chefferie de Mme Marois et une campagne électorale du Parti québécois.
Le Conseil juge que les mis en cause ont su démontrer la rigueur et l’objectivité de leur démarche journalistique.
Le grief de présentation tendancieuse de l’information est rejeté.
Décision
Au vu de ce qui précède, le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de M. Paul Desfossés contre le journaliste Alain Gravel, l’émission « Téléjournal 22h » et ICI Radio-Canada Télé concernant les griefs d’absence d’intérêt public, d’utilisation abusive d’une source confidentielle et d’absence de corroboration d’une information, ainsi que le grief de présentation tendancieuse de l’information.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentantes du public :
Mme Éricka Alnéus
Mme Audrey Murray
Mme Linda Taklit
Représentants des journalistes :
Mme Audrey Gauthier
M. Martin Francoeur
Représentants des entreprises de presse :
M. Gilber Paquette
Mme Nicole Tardif
Date de l’appel
18 September 2018
Appelant
M. Paul Desfossés
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
MOTIFS DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance sur les points suivants :
- audition des parties
- grief d’utilisation abusive d’une source confidentielle et absence de corroboration d’une information
- grief de présentation tendancieuse de l’information.
Audition des parties
Règlement applicable
Règlement No 2, article 26.02 : « Exceptionnellement, le comité peut décider, sur demande ou de sa propre initiative, d’entendre les parties, en personne ou par un moyen électronique. Le cas échéant, chacune des parties répond aux questions des membres du comité dans un cadre informel, non contradictoire et proportionnel à l’ensemble des règles du Conseil. »
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment qu’il n’y a pas eu vice de procédure lorsque le comité des plaintes a permis l’audition des parties.
Analyse
Le Règlement No 2, qui permet au comité des plaintes d’accepter des demandes d’audition, est entré en vigueur le 5 septembre 2017.
Le comité des plaintes a répondu positivement, le 5 octobre 2017, à la demande d’audition de Radio-Canada. Les deux parties ont été reçues en audition.
L’appelant soulève que la première commission d’appel, qui a renvoyé le dossier au comité des plaintes, avait mentionné qu’il devait être « jugé de nouveau à partir des éléments déposés en première et deuxième instances, sans nouvelles représentations des parties ».
La commission d’appel juge que le comité des plaintes était maître de la procédure et de la preuve qu’il souhaitait considérer. Il relevait donc de sa prérogative, en vertu du nouveau règlement, de décider qu’il était en présence de circonstances exceptionnelles justifiant de permettre des représentations orales des parties.
Grief 1 : utilisation abusive d’une source confidentielle et absence de corroboration d’une information
Principes déontologiques (DERP)
Remarque : la présente plainte a été analysée selon les principes présentés dans le guide de déontologie Droits et responsabilités de la presse (DERP), en vigueur au moment de la diffusion du reportage.
« Les professionnels de l’information doivent identifier leurs sources d’information afin de permettre au public d’évaluer la crédibilité et l’importance des informations que celles-ci transmettent. Ils doivent également prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer de la fiabilité de leurs sources et pour vérifier, auprès d’autres sources indépendantes, l’authenticité des informations qu’ils en obtiennent. » (DERP, article 2.1.7 sur les sources d’information – identification et vérification des sources, p. 32)
« L’utilisation de sources anonymes doit être justifiée et demeurer exceptionnelle. Quelle que soit la provenance des informations – autorités, spécialistes ou témoins de situations ou d’événements -, les médias et les journalistes doivent s’assurer que l’anonymat requis par des sources ne constitue pas un subterfuge pour manipuler l’opinion publique. (DERP, article 2.1.7 sur les sources d’information – sources anonymes et confidentielles, p. 32)
« Mis à part cette réserve, les médias et les professionnels de l’information qui se sont engagés explicitement à respecter le caractère confidentiel de leurs sources doivent en protéger l’anonymat. » (DERP, article 2.1.7 sur les sources d’information – sources anonymes et confidentielles, p. 32)
Dans les cas où le recours à des sources anonymes ou confidentielles se révèle nécessaire, par exemple lorsque des informations d’intérêt public importantes ne pourraient être obtenues autrement ou lorsqu’une source pourrait faire l’objet de représailles, les médias et les journalistes sont tenus de le mentionner au public. » (DERP, article 2.1.7 sur les sources d’information – sources anonymes et confidentielles, p. 32)
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que les principes reliés aux sources confidentielles tels que décrits dans le DERP ont été appliqués correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
La commission d’appel constate que les informations recueillies en première instance ont permis de confirmer qu’il y avait bel et bien eu corroboration de l’information, présentée par la première source confidentielle du reportage, le dirigeant d’une firme de génie-conseil, selon laquelle Claude Blanchet, le mari de Pauline Marois, alors première ministre sortante du Québec, avait sollicité des firmes de génie-conseil pour financer la campagne de Mme Marois.
Elle estime que les principes du DERP liés aux sources confidentielles ont été appliqués correctement dans la mesure où le comité des plaintes a jugé que les mis en cause avaient apporté suffisamment de preuves pour valider la fiabilité de leurs sources.
La commission considère que le comité des plaintes pouvait évaluer l’ensemble de la preuve qui lui a été fournie par les mis en cause pour établir la corroboration des informations présentées dans le reportage. Bien que l’appelant souligne que « … si on s’en tient au reportage et rien qu’au reportage, nulle part quelqu’un d’autre que le premier entrepreneur n’affirme que monsieur Claude Blanchet participait sciemment et volontairement à un système de financement illégal par le biais de prête-noms », la commission d’appel juge que la décision de première instance pouvait s’appuyer sur l’ensemble des informations de l’équipe d’Enquête qui lui ont été présentées et non seulement sur les faits présentés dans le reportage.
Grief 2 : présentation tendancieuse de l’information
Principes déontologiques (DERP)
« Les organes de presse et les journalistes ont le devoir de livrer au public une information complète, rigoureuse et conforme aux faits et aux événements. La rigueur intellectuelle et professionnelle dont doivent faire preuve les médias et les journalistes représente la garantie d’une information de qualité. » (DERP, article 2.1 sur les exigences à l’égard du respect du droit à l’information, p. 21)
« La façon de traiter un sujet, de même que le moment de la publication et de la diffusion des informations, relèvent de la discrétion des médias et des journalistes ». (DERP, article 1.2 sur le traitement et la diffusion de l’information, p. 13)
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que les principes reliés à la diffusion du reportage et à la présentation de l’information tels que décrits dans le DERP ont été appliqués correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant considère que la date de présentation du reportage (une semaine avant le scrutin) posait problème et conteste la décision du comité des plaintes qui n’a pas relevé de faute quant à la date de diffusion du reportage, estimant que le moment de diffuser le reportage revenait à la discrétion de Radio-Canada, tel que le prévoit l’article 1.2 du DERP.
La commission d’appel estime que le principe déontologique lié au moment de la publication et de la diffusion des informations a bien été appliqué.
Elle rejette l’argument de l’appelant soutenant que le fait de montrer des enveloppes brunes dans le reportage constituait une présentation tendancieuse de l’information, étant donné que cet argument ne figurait pas dans la plainte initiale. Elle rappelle qu’en vertu de l’article 28.03 du Règlement 2, l’exposé d’un appel « ne doit contenir aucun nouvel objet de plainte ».
CONCLUSION
Les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales.
Jacques Gauthier, président de la séance
Au nom de la commission d’appel
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
M. Jacques Gauthier
Représentante des journalistes :
Mme Carole Beaulieu
Représentant des entreprises de presse :
M. Renel Bouchard