Plaignant
Éliane Gamache Latourelle
Mis en cause
Nathalie Petrowski, journaliste
Le quotidien La Presse
Le site Internet Lapresse.ca
Résumé de la plainte
Éliane Gamache Latourelle dépose une plainte, le 10 avril 2018, contre la journaliste Nathalie Petrowski, le quotidien La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant l’article intitulé « Les mirages de la “jeune millionnaire” Éliane Gamache Latourelle », publié le 24 janvier 2018. La plaignante reproche un conflit d’intérêts, des informations inexactes, de la partialité, de l’incomplétude, un manque de fiabilité des informations transmises par les sources, un manque d’équité ainsi que de la diffamation.
CONTEXTE
Dans son article, Nathalie Petrowski présente la démarche qu’elle a effectuée pour soumettre à l’épreuve des faits l’histoire à succès d’Éliane Gamache Latourelle telle que cette dernière l’a racontée dans son livre La jeune millionnaire et dans les médias. Sur la base d’entrevues avec des clients et des associés de Mme Gamache Latourelle, la journaliste dresse un tout autre tableau de la réussite de la jeune entrepreneure devenue conférencière et coach d’affaires après avoir été une pharmacienne prospère : « Sous les apparences se cachait une femme vivant à crédit et croulant sous les dettes, qui a laissé des associés et des clients déçus et désenchantés par la “fausse représentation” dont ils s’estiment victimes », résume Mme Petrowski.
Analyse
Grief 1 : conflit d’intérêts
Principe déontologique applicable
Conflits d’intérêts : « (1) Les journalistes évitent tout conflit d’intérêts ou apparence de conflit d’intérêts. En toute situation, ils adoptent un comportement intègre. (2) Les médias d’information veillent à ce que leurs journalistes ne se trouvent pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts. » (Guide de déontologie du Conseil de presse du Québec, article 6.1)
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski s’est placée en conflit d’intérêts, ou en apparence de conflit d’intérêts, en interviewant pour son article Ariane Leduc et si La Presse a veillé à ce que Mme Petrowski ne se trouve pas en situation de conflit d’intérêts ou d’apparence de conflit d’intérêts.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de conflit d’intérêts, car la journaliste et le média n’ont pas contrevenu à l’article 6.1.
Analyse
Bien que la plaignante estime que la journaliste était en conflit d’intérêts, ou en apparence de conflit d’intérêts, car sa principale source, Ariane Leduc, aurait travaillé à La Presse, le Conseil note que Mme Leduc a oeuvré à La Presse comme conseillère publicitaire, mais qu’elle n’y travaillait plus au moment de la production de l’article. Le fait que la source ait déjà travaillé à La Presse ne constitue pas un conflit d’intérêts pour la journaliste, ni même une apparence de conflit d’intérêts.
Le Conseil constate qu’Éliane Gamache Latourelle ne démontre pas comment le fait qu’Ariane Leduc ait travaillé comme conseillère publicitaire à La Presse quelques années auparavant aurait été susceptible d’influencer le travail de la journaliste en vue de favoriser la version de Mme Leduc. La plaignante n’apporte pas non plus de preuve que Mmes Petrowski et Leduc se connaissaient avant la production de l’article en cause.
Grief 2 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (Guide, article 9)
2.1 Une enquête à sens unique?
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski a pris parti en faveur d’un point de vue particulier en « refusant » de présenter la version de la plaignante.
Décision
Le Conseil rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Le Conseil constate que Nathalie Petrowski n’a pas refusé de recueillir le témoignage d’Éliane Gamache Latourelle, comme celle-ci le prétend. Au contraire, il remarque que durant les six semaines qui ont précédé la publication de l’article en cause, la journaliste a plusieurs fois invité la plaignante à s’exprimer, mais que celle-ci a refusé ses demandes d’entrevue en personne.
Bien que la plaignante avance qu’elle a proposé à la journaliste de lui envoyer ses questions par écrit, le Conseil estime que celle-ci n’était pas tenue d’accepter de le faire et que refuser une entrevue par écrit n’est pas une faute déontologique.
2.2 Un article à charge?
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski a pris parti en faveur du point de vue des détracteurs de la plaignante.
Décision
Le Conseil rejette le grief de partialité sur ce point.
Analyse
Bien que la plaignante déplore que la journaliste ait occulté des témoignages en sa faveur, recueillis auprès de son avocat, son co-auteur et d’autres clients d’Éliane Gamache Latourelle, le Conseil considère que Nathalie Petrowski n’a pas pris parti dans son article. Elle a présenté la version des faits de ses sources, et elle a offert à Mme Gamache Latourelle la possibilité de donner la sienne.
Le Conseil constate en outre que l’angle de l’article en cause est de montrer les aspects problématiques des entreprises d’Éliane Gamache Latourelle. Il rappelle que le choix de l’angle d’un sujet relève de la liberté éditoriale de la journaliste et du média. Par ailleurs, le Conseil remarque que le point de vue de l’avocat de la plaignante est rapporté dans l’article en cause. Le Conseil ne voit pas de parti pris.
Grief 3 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (Guide, article 9)
3.1 Photo publiée depuis le Panama ou pas?
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski rapporte une information inexacte quand elle écrit : « Autour du 10 janvier [2018], la pharmacienne a affiché sur son compte Instagram des photos géolocalisées au Panama. Les photos ont été retirées depuis. »
Décision
Le Conseil retient le grief d’information inexacte sur ce point, car il juge que l’information rapportée par la journaliste n’est pas fidèle à la réalité. Toutefois, considérant que l’inexactitude retenue concerne un aspect secondaire du sujet et qu’elle n’en affecte pas la compréhension, le Conseil juge qu’il s’agit d’un manquement mineur.
Analyse
Concernant l’affirmation selon laquelle « les photos ont été retirées depuis », le Conseil constate qu’elle est inexacte, les photos en question étant toujours visibles sur le compte Instagram de la plaignante.
Relativement à la géolocalisation au Panama, vérification faite, les métadonnées de géolocalisation des photos publiées sur Instagram ne sont pas accessibles aux autres utilisateurs – contrairement à ce qu’affirment les mis en cause. Il est possible de publier la photo d’un lieu sur Instagram depuis n’importe quel autre endroit. Le Conseil estime que la journaliste ne pouvait donc pas affirmer sans équivoque que les photos en question étaient géolocalisées au Panama.
3.2 Profil de la clientèle d’Éliane Gamache Latourelle
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski rapporte une information inexacte quand elle écrit que « la “jeune millionnaire” en a profité pour attirer l’attention d’une clientèle féminine, jeune, inexpérimentée, mais enthousiaste ».
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante prétend que sa clientèle était « composée autant d’hommes que de femmes », que « la moyenne d’âge était d’environ 40 ans » et qu’elle comptait « des gens d’expérience ». Cependant, le Conseil estime qu’elle ne démontre pas que l’affirmation en cause est erronée. La plaignante apporte en preuve des messages d’hommes et de femmes, mais il est impossible de déterminer si ce sont bien des clients de Mme Gamache Latourelle et quel est leur âge.
Le Conseil constate également que, dans l’article en cause, plusieurs témoignages proviennent de jeunes femmes qui admettent qu’elles étaient inexpérimentées lorsqu’elles sont devenues des clientes d’Éliane Gamache Latourelle. Le Conseil note par ailleurs que la journaliste y cite la plaignante qui déclare elle-même avoir écrit son livre pour « les jeunes femmes ».
3.3 Coût et durée du coaching offert par Éliane Gamache Latourelle
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski rapporte une information inexacte quand elle écrit que le prix d’entrée pour un an de coaching à L’Activatrice était de 5000 $.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
La plaignante affirme que son service de coaching coûtait 5000 $ pour un an, mais que dans les faits son suivi était « bel et bien à vie ». Elle apporte pour seule preuve un échange de courriels dont l’en-tête est « Suivi à vie », mais il est impossible de déterminer la nature et la teneur de l’échange. Le Conseil considère que cette preuve n’est pas probante.
3.4 Conseil à une cliente
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski rapporte une information inexacte quand elle écrit : « Sur les conseils de la pharmacienne, Amélie Fortin a déménagé à Montréal ».
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Dans un dossier similaire (D2018-04-037), le Conseil a rejeté un élément de grief d’informations inexactes en faisant valoir qu’il faisait face à des versions contradictoires, qu’il manquait de preuves pour les juger et qu’il accordait le bénéfice du doute au journaliste.
De la même façon, dans le cas présent, la plaignante apporte en preuve un courriel que lui aurait envoyé Amélie Fortin. Cette dernière y écrit qu’elle et son conjoint ont « décidé lundi [qu’ils ont] envie de changer d’air de Québec » et qu’ils veulent « déménager le plus rapidement possible ». Ce courriel ne prouve cependant pas que la plaignante n’avait pas, auparavant, conseillé à cette personne de déménager. La journaliste affirme quant à elle qu’elle rapporte les propos de Mme Fortin et le Conseil constate que c’était la seule version dont elle disposait puisque la plaignante ne lui a pas accordé d’entrevue. Devant ces versions contradictoires et par manque de preuve, le Conseil ne peut se prononcer sur la véracité de l’une ou de l’autre. Pour cette raison, il rejette le grief.
3.5 Lu ou pas lu?
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski rapporte une information inexacte quand elle écrit : « Aucune des trois pharmaciennes n’a voulu lire le livre de la jeune millionnaire. »
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Comme lors du point précédent, le Conseil fait face à des versions contradictoires. La plaignante apporte en preuve un courriel envoyé par l’une des trois pharmaciennes après qu’elle ait lu le livre de Mme Gamache Latourelle. La journaliste explique de son côté qu’elle rapporte ce que lui ont déclaré les trois pharmaciennes. Dans ce contexte, le Conseil estime que la journaliste ne commet pas une faute déontologique en rapportant les témoignages qu’elle a obtenus auprès des pharmaciennes.
3.6 Qui est la victime?
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski rapporte une information inexacte en présentant Ariane Leduc comme une victime d’Éliane Gamache Latourelle.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Alors que la plaignante soutient que, contrairement à ce qu’avance l’article en cause, ce serait elle la victime et non pas Ariane Leduc et que cette dernière « avait truqué la fausse histoire à [son] sujet », le Conseil constate que la journaliste rapporte plusieurs témoignages qui vont tous dans le même sens. Face à ces versions contradictoires, le Conseil n’est pas en mesure de se prononcer sur la véracité de l’une et de l’autre. Il rejette donc le grief.
Grief 4 : incomplétude
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (Guide, article 9)
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski a présenté les éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet de son article.
Décision
Le Conseil rejette le grief d’incomplétude.
Analyse
Bien que la plaignante reproche à Nathalie Petrowski de n’avoir pas tenu compte des versions que son avocat et le co-auteur de ses livres lui ont données, le Conseil estime que ce choix relève de la liberté éditoriale de la journaliste et du média. Il constate par ailleurs que de nombreuses sources sont citées dans l’article en cause, dont l’avocat de Mme Gamache Latourelle, et qu’aucun fait essentiel ne manque à la compréhension du sujet. Le Conseil souligne enfin que la plaignante n’a pas accordé d’entrevue à la journaliste, ce qui lui aurait permis de donner sa version.
Grief 5 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (Guide, article 11)
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski a adéquatement évalué la fiabilité des informations transmises par ses sources.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources.
Analyse
La plaignante estime que les sources de la journaliste n’étaient pas « tout à fait justes » et que les inexactitudes qu’elle lui reproche témoignent du manque de fiabilité de ces sources. Le Conseil constate cependant que Nathalie Petrowski cite huit sources différentes, toutes concordantes, ce qui lui a permis de corroborer leurs versions des faits et de jauger leur crédibilité. Il juge ainsi que la journaliste a pris les moyens raisonnables pour évaluer les informations en question.
Le Conseil souligne encore une fois que la journaliste a plusieurs fois tenté d’obtenir la version de la plaignante, mais qu’elle a refusé de la lui donner.
Grief 6 : manque d’équité
Principe déontologique applicable
Équité : « Les journalistes et les médias d’information traitent avec équité les personnes et les groupes qui font l’objet de l’information ou avec lesquels ils sont en interaction. » (Guide, article 17)
Le Conseil doit déterminer si Nathalie Petrowski a traité la plaignante avec équité.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque d’équité, faute de preuve.
Analyse
La plaignante prétend que la journaliste a approché son entourage « en disant des mensonges », mais elle ne démontre pas que Nathalie Petrowski aurait menti à ses sources ou utilisé des procédés déloyaux pour obtenir leurs témoignages. Elle n’apporte pas non plus la preuve que la mise en cause a manqué d’équité envers elle.
Le Conseil entend qu’Éliane Gamache Latourelle s’est sentie harcelée, mais rien n’indique que la journaliste l’ait harcelée. Le fait que Nathalie Petrowski ait plusieurs fois tenté de la joindre pour obtenir sa version des faits ne constitue pas en soi du harcèlement.
Grief non traité : diffamation
« La plainte ne peut constituer une plainte de diffamation, viser le contenu d’une publicité ou exprimer une divergence d’opinions avec l’auteur d’une publication ou d’une décision. » (Règlement No 2, article 13.03)
La plaignante déplore de la diffamation, un grief que le Conseil ne traite pas, car la diffamation n’est pas du ressort de la déontologie journalistique, mais relève plutôt de la sphère judiciaire.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte d’Éliane Gamache Latourelle contre Nathalie Petrowski, le journal La Presse et le site Internet lapresse.ca concernant le grief d’information inexacte sur le point de la géolocalisation des photos. Toutefois, considérant que la faute retenue concerne un aspect secondaire du sujet et qu’elle n’en affecte pas la compréhension, le Conseil juge qu’il s’agit d’un manquement mineur et n’adresse pas de blâme à la journaliste et au média.
Le Conseil rejette cependant les griefs de conflit d’intérêts, d’informations inexactes (pour les points 3.2 à 3.6), de partialité, d’incomplétude, de manque de fiabilité des informations transmises par les sources et de manque d’équité.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus
Renée Lamontagne
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Maxime Bertrand
Luc Tremblay
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Nicole Tardif