Plaignant
Sylvain-Claude Filion
Mis en cause
Rima Elkouri, chroniqueuse
La Presse
Résumé de la plainte
Sylvain-Claude Filion dépose une plainte le 7 décembre 2018 contre Rima Elkouri et contre le quotidien La Presse. La plainte concerne une chronique publiée le 5 décembre 2018, dans laquelle il est question de la polémique suscitée par les propos d’un DJ lors de la cérémonie de remise du Ballon d’or, la récompense attribuée aux meilleurs joueurs de soccer, à Paris. Le plaignant reproche à la chroniqueuse des informations inexactes, incomplètes et de la partialité.
CONTEXTE
Le DJ français Martin Solveig, qui a pour mission de mettre de l’ambiance lors de la soirée de remise de trophées du Ballon d’or, demande à la norvégienne Ada Hegerberg, qui vient d’être couronnée meilleure joueuse de soccer du monde – une récompense remise pour la première fois à une femme – si elle sait « twerker », faisant référence à une danse osée où l’on secoue les fesses de façon provocante. La question suscite la gêne de la jeune femme, ainsi que de nombreuses réactions d’indignation sur les réseaux sociaux. De nombreux médias à l’échelle internationale reprennent cette histoire, dont Rima Elkouri.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : Information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Rima Elkouri rapporte une information inexacte en écrivant : « Après avoir refusé de twerker, Ada Hegerberg a accepté les excuses du présentateur et a dit ne pas lui en tenir rigueur. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’inexactitude, car il juge que la chroniqueuse n’a pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le plaignant reproche à Rima Elkouri d’avoir « tronqué la chronologie des faits pour servir son propos biaisé ». Il estime qu’elle « laisse entendre que les excuses ont été faites sur-le-champ », alors qu’elles n’ont été présentées qu’après la cérémonie.
Après analyse, le Conseil constate que la chroniqueuse n’induit pas le public en erreur à propos de la chronologie des faits. Comme le soulignent les mis en cause, « selon le dictionnaire Larousse, le mot “après’’ indique une relation temporelle qui signifie “plus tard, postérieurement à”. Il est donc clair pour le lecteur que les excuses étaient postérieures à l’évènement et qu’elles n’ont pas été effectuées sur-le-champ. » De fait, la chronologie des évènements exposée dans la chronique n’a pas été tronquée, constate le Conseil. D’ailleurs, dans un paragraphe précédent, la chroniqueuse mentionne le fait que, « [a]ccusé de toutes parts dans les réseaux sociaux, le présentateur en question – le DJ français Martin Solveig – a fini par se confondre en semi-excuses, lundi soir », ce qui permet de comprendre clairement que les excuses n’ont pas eu lieu sur-le-champ.
Grief 2 : Information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Rima Elkouri a manqué à son devoir de complétude dans sa présentation de l’échange entre le DJ Martin Solveig et la joueuse de soccer Ada Hegerberg.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude, car il juge que la chroniqueuse n’a pas contrevenu à l’article 9 e) du Guide.
Analyse
Le plaignant estime que Rima Elkouri induit « les lecteurs en erreur en construisant toute une chronique voulant que la lauréate du Ballon d’or ait été victime d’un propos déplacé en utilisant un extrait hors contexte et en omettant d’exposer l’ensemble des faits ». Selon lui, « [l]’animateur a fait une blague de mauvais goût, mais c’était en introduction à une présentation dont l’extrait de 4 secondes ne fait pas état – Madame Elkouri occulte ce fait ».
Le plaignant considère que « quand on visionne le clip complet de ce qui s’est passé, l’interprétation des faits a été détournée de la réalité ». Il y voit un cas de « cont[ex]t collapse, au moyen duquel un très court extrait, sorti de son contexte, est utilisé pour véhiculer une idéologie ou susciter des réactions enflammées ».
Dans sa chronique, Rima Elkouri déplore que, au moment où Ada Hegerberg devient la première femme à recevoir un trophée récompensant son talent au niveau mondial, le DJ chargé d’animer la soirée lui pose une question dont le caractère sexiste est dénoncé en très grand nombre sur les réseaux sociaux. Le Conseil constate que la chroniqueuse n’induit pas les lecteurs en erreur puisque Martin Solveig a effectivement demandé à la joueuse de soccer, au début de la séquence qu’il avait préparée pour célébrer son prix, si elle savait « twerker ». La chroniqueuse pouvait s’appuyer sur ce seul extrait pour fonder son texte d’opinion.
Il y a incomplétude lorsque l’absence d’une information change le sens du sujet traité. Ici, Rima Elkouri a focalisé sa chronique sur la question du twerking, puisque c’est ce qui l’avait indignée. La vidéo complète de la séquence, dans laquelle on voit la joueuse de soccer danser avec le DJ sur un air de Sinatra, ne modifie pas le sens de ce qui s’est passé plus tôt. Rima Elkouri appuie par ailleurs sa chronique sur les propos de la joueuse de soccer, tenus dans une entrevue après l’événement, dans laquelle elle déclare qu’elle aurait préféré que le DJ lui pose une autre question, « [p]lutôt une question par rapport au foot ».
Grief non traité : partialité
Le plaignant reproche à la chroniqueuse de faire preuve de partialité « en faisant passer ses convictions de militante avant la rigueur professionnelle qu’exige son métier ». Le Conseil ne traite pas ce grief puisque les journalistes d’opinion sont exemptés de cette obligation déontologique réservée au journalisme factuel, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Sylvain-Claude Filion contre Rima Elkouri et La Presse concernant les griefs d’inexactitude et d’incomplétude.
Renée Lamontagne
Présidente du comité des plaintes
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Luc Grenier
Renée Lamontagne
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Jeanne Dompierre