Plaignant
Florent Gauthier-Blais
Mis en cause
Mélanie Calvé, journaliste
La voix régionale Beauharnois-Salaberry Haut-Saint-Laurent
Le site Internet viva-media.ca
Résumé de la plainte
Florent Gauthier-Blais dépose une plainte le 6 septembre 2019 contre la journaliste Mélanie Calvé, l’hebdomadaire La voix régionale Beauharnois-Salaberry Haut-Saint-Laurent et le site Internet viva-media.ca concernant l’article intitulé « Karla Homolka vit maintenant à Salaberry-de-Valleyfield » publié le 5 septembre 2019. Le plaignant reproche une atteinte au droit à la vie privée.
CONTEXTE
Dans son article, la journaliste Mélanie Calvé rapporte que Karla Homolka, l’ex-conjointe et complice de Paul Bernardo pour les meurtres de trois adolescentes ontariennes commis dans les années 90, habite désormais dans un quartier de Salaberry-de-Valleyfield, qu’elle utilise un nom d’emprunt et qu’elle vit avec le propriétaire de l’immeuble où elle réside.
Analyse
Grief 1 : atteinte au droit à la vie privée
Principe déontologique applicable
Protection de la vie privée et de la dignité : « (1) Les journalistes et les médias d’information respectent le droit fondamental de toute personne à sa vie privée et à sa dignité. (2) Les journalistes et les médias d’information peuvent privilégier le droit du public à l’information lorsque des éléments de la vie privée ou portant atteinte à la dignité d’une personne sont d’intérêt public. » (article 18 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si la journaliste a porté atteinte au droit à la vie privée de Karla Homolka en indiquant son nom d’emprunt et en rapportant qu’elle habite désormais dans le quartier La Baie à Salaberry-de-Valleyfield.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’atteinte au droit à la vie privée, car il juge que la journaliste n’a pas contrevenu à l’article 18 du Guide.
Analyse
Le plaignant se demande pourquoi la journaliste mentionne le « lieu de résidence » de Karla Homolka, ainsi que son nom d’emprunt, Leanne Teale. Tout en condamnant les gestes de Mme Homolka, le plaignant se questionne sur le « bien fondé » de l’article :
« Même en tenant compte de son jugement, Mme Homolka conserve les mêmes droits fondamentaux, tel que stipulé dans la Charte canadienne des droits et libertés. Pourquoi alors, je vous le demande, insister non seulement sur son lieu de résidence, mais également sur son nom d’emprunt, alors que vous savez d’ores et déjà que cela lui portera préjudice? »
Les passages de l’article sur lesquels le comité des plaintes s’est penché sont les suivants :
Le titre : « Karla Homolka vit maintenant à Salaberry-de-Valleyfield » L’introduction : « Karla Homolka reconnue comme étant une des pires criminelles de l’histoire du Canada demeure désormais à Salaberry-de-Valleyfield. » Ainsi que le paragraphe : « À la suite de plusieurs présences dans le quartier la Baie à Salaberry-de-Valleyfield, notre équipe a bel et bien retrouvé Karla Homolka, qui utilise désormais le nom de Leanne Teale. »
Lieu de résidence
Il importe de préciser d’entrée de jeu que, même si le plaignant affirme que la journaliste a révélé le « lieu de résidence » de Karla Homolka, la journaliste ne divulgue pas l’adresse résidentielle de Karla Homolka. Plutôt, elle indique :
« Afin de ne pas mettre en danger cette dernière ainsi que son entourage, il est évident que le lieu de résidence de celle qui a purgé 12 années de prison à la suite de son implication dans des meurtres à caractère sexuel ne peut pas être dévoilé. »
Le comité des plaintes doit donc se pencher sur la mention de la localité, le quartier La Baie à Salaberry-de-Valleyfield, et décider si cette mention constitue une faute déontologique.
Ce n’est pas la première fois que les médias révèlent où habite la célèbre criminelle, ainsi que plusieurs éléments de sa nouvelle vie. En 2016, le Conseil de presse a reçu une plainte contre un article de La Presse intitulé « Karla Homolka installée à Châteauguay » qui indiquait, entre autres, que sa présence faisait réagir le voisinage. Le plaignant estimait alors que certains éléments de l’article portaient atteinte à la vie privée de Karla Homolka. Cette décision s’est rendue jusqu’à la commission d’appel du Conseil de presse, qui a affirmé qu’il n’y avait eu aucun manquement déontologique de la part du journaliste. Cet extrait de la décision D2016-05-141 explique le raisonnement de la commission :
« La commission d’appel est d’avis que les appelants n’ont pas commis de faute déontologique en estimant que certains éléments de la vie privée de Karla Homolka ainsi que ses antécédents judiciaires étaient d’intérêt public, particulièrement eu égard à la nature des crimes commis. Les inquiétudes de parents voisins au moment de la publication des articles et le fait que la commission scolaire locale se penchait déjà sur ces craintes en témoignent. Par ailleurs, la commission d’appel est d’avis que la question de la réinsertion de Karla Homolka pouvait être jugée d’intérêt public.
La commission souligne que la Cour supérieure du Québec a rejeté la demande de Mme Homolka (nommée Teale à l’époque) de restreindre le travail des médias à la suite de sa libération. Le juge Paul-Marcel Bellavance a estimé qu’accéder à cette demande risquait de brimer la liberté de presse et le droit du public à savoir ce qu’il advient de Mme Teale. “Quant aux conclusions recherchées pour limiter le travail des médias une fois madame Teale sortie de prison, elles m’apparaissent prématurées […], dangereuses pour la liberté de presse, car le public a le droit de savoir ce qui arrive de madame Teale à cause de la nature des crimes qu’elle a commis. On parle ici du volet du droit à la vie privée. Il est indéniable que pour toute sa vie, et particulièrement dans les semaines qui suivront, madame Teale devra faire face aux conséquences post-sentencielles des crimes qu’elle a commis et qui impliquaient de jeunes femmes.” [Teale c. Toronto Sun, 2005, CanLII 23410 (QC CS), par. 10]
Bien qu’une autre décision, rendue par le juge James Brunton, de la Cour supérieure du Québec, au sujet des conditions de remise en liberté de Mme Homolka, a souligné qu’il n’existait aucune preuve solide et actuelle de la possibilité de récidive de Karla Homolka, il reconnaissait qu’elle ne pouvait être complètement éliminée. [Teale v. Noble 2005 CanLII 44305 (QC CS), par. 119]
Les conclusions des juges de la Cour supérieure, la gravité des crimes commis et le fait qu’ils impliquaient des mineures amènent la commission d’appel à conclure que l’intérêt public justifiait la publication des informations par La Presse. »
Dans une autre décision antérieure (D2015-01-079) qui concernait le lieu de résidence d’un homme employé par le Service canadien de renseignement et de sécurité (SCRS) qui faisait l’objet d’un reportage, le Conseil a jugé qu’un journaliste avait, cette fois, porté atteinte à la vie privée de cette personne. Dans ce cas, le journaliste avait dévoilé son adresse personnelle ainsi que l’alias secret qu’il utilisait au SCRS. Bien qu’il ait estimé que le sujet du reportage, en soi, était d’intérêt public, le Conseil a considéré que « la publication de l’adresse personnelle de [l’employé du SCRS] et de son alias n’était pas pertinente, en ce qu’elle n’ajoute rien à la compréhension du public, et qu’elle porte atteinte au droit à la sécurité et à la vie privée » de l’intéressé.
Dans le cas présent, l’adresse personnelle de Mme Homolka n’est pas dévoilée. Cependant, le public avait le droit d’être informé au sujet de son nouveau quartier de résidence et le journal avait la liberté éditoriale de publier cette information. Indiquer le nom du quartier où réside Mme Homolka ne constitue pas une faute déontologique.
Nom d’emprunt de Karla Homolka
Le plaignant estime que le nom d’emprunt de Mme Homolka, Leanne Teale, est d’ordre privé et que la journaliste a porté atteinte à la vie privée de Mme Homolka en le divulguant. Cependant, le Conseil constate que cette information est plutôt d’ordre public. Le nom de Leanne Teale a été révélé en 1999 après que Mme Homolka l’ait elle-même utilisé dans une poursuite contre le gouvernement canadien afin que sa peine de prison soit aménagée. Ce nom d’emprunt est également utilisé dans des jugements rendus en 2005 [Teale c. Toronto Sun, 2005, CanLII 23410 (QC CS), par. 10; Teale v. Noble 2005 CanLII 44305 (QC CS), par. 119] concernant Mme Homolka. Cette dernière étant une personnalité publique, dont l’histoire a ébranlé le Québec et le Canada, le Conseil estime que son nom n’a pas à être caché du public, que ce soit un nom d’emprunt ou son nom de naissance.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de Florent Gauthier-Blais contre la journaliste Mélanie Calvé, l’hebdomadaire La voix régionale Beauharnois-Salaberry Haut-Saint-Laurent et le site Internet viva-media.ca concernant le grief d’atteinte au droit à la vie privée.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Éric Trottier