Plaignant
Josianne Jetté
Mis en cause
Alain Goupil, journaliste
La Tribune
Résumé de la plainte
Josianne Jetté porte plainte le 20 octobre 2019 contre le journaliste Alain Goupil et le quotidien La Tribune au sujet de l’article « Brome Missisquoi : préserver la qualité de vie », publié le 13 septembre 2019 dans La Tribune et sur le site Internet du quotidien. La plaignante reproche des informations inexactes et une absence de rectification.
CONTEXTE
L’article mis en cause est publié avant les élections fédérales d’octobre 2019. Il s’agit de ce que la rédaction du quotidien nomme une « carte postale électorale », réunissant des données factuelles liées à une circonscription, ici celle de Brome-Missisquoi. L’article rappelle les différents députés et partis s’étant succédé lors des élections passées et fait état des enjeux politiques locaux de l’élection présente. Une première version de l’article, paru dans l’édition papier et sur le site web du quotidien, a été corrigée 10 jours après par le média à la suite de la demande de la plaignante.
Analyse
Grief 1 : Informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Dates des différents mandats
Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont manqué à leur devoir d’exactitude en affirmant que « [m]is à part l’intermède du Bloc québécois de 2006 à 2008, la circonscription de Brome-Missisquoi est reconnue comme un château fort libéral depuis plus de trois décennies ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’inexactitude, car il juge que le journaliste et le média ont contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante avance que le journaliste affirme faussement que « les mandats du député sortant n’ont été interrompus que deux ans par un mandat bloquiste de [2006] à 2008. Il mentionne sa réélection en 2008 et 2011 ». On peut lire, dans la première version de l’article publiée le 13 septembre 2019 :
« Mis à part l’intermède du Bloc québécois de 2006 à 2008, la circonscription de Brome-Missisquoi est reconnue comme un château fort libéral depuis plus de trois décennies. Reste à voir quel effet aura le départ de Denis Paradis sur les assises du vote libéral. Élu pour la première fois à la faveur d’une élection partielle en 1995, Denis Paradis a été député jusqu’en 2006, année où il a subi la défaite aux mains du bloquiste Christian Ouellet […] Son retour aux Communes, en 2008, s’est prolongé en étant réélu aux élections de 2011 et de 2015, ce qui lui a permis d’effectuer cinq mandats à titre de député de Brome-Missisquoi. »
Il y a effectivement inexactitude quant aux dates mentionnées dans la version initiale de l’article. Le journaliste a d’ailleurs reconnu qu’il avait commis des erreurs dans les dates et les partis au pouvoir dans la version initiale de l’article. La Chambre des communes indique, sur son site Internet, que Denis Paradis a été élu pour la première fois député de la circonscription de Brome-Missisquoi lors de l’élection partielle de 1995. Il a été réélu jusqu’en 2006, où il a été défait par Christian Ouellet du Bloc québécois, qui a effectué deux mandats (2006-2011). M. Paradis a repris les rênes de la circonscription en 2015 – jusqu’en 2019 -, succédant au néo-démocrate Pierre Jacob (2011-2015).
1.2 « Château fort libéral »
Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont manqué à leur devoir d’exactitude en affirmant que la circonscription de Brome-Missisquoi était un « château fort libéral ».
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’inexactitude, car il juge que le journaliste et le média ont contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
La plaignante conteste l’utilisation de l’expression « château fort libéral » pour désigner la circonscription de Brome-Missisquoi dans la mesure où les dates indiquées par le journaliste concernant les durées de mandats par le Parti libéral sont inexactes.
Le journaliste mis en cause défend l’utilisation de cette expression dans la mesure où « la circonscription Brome-Missisquoi a fait élire plus de députés libéraux que tout autre parti politique au cours des 20 dernières années. D’où l’expression château fort libéral. »
En politique québécoise, le terme « château fort » désigne une circonscription traditionnellement acquise par un parti politique. L’Assemblée nationale du Québec définit le terme ainsi sur son site Internet : « Château fort : Circonscription électorale généralement fidèle à un parti politique et considérée comme imprenable par les autres. L’anglicisme « comté sûr » (« safe seat ») est souvent utilisé dans les médias. »
Le Conseil a calculé que, sur les 30 années précédant l’élection (1990-2019), le Parti libéral est resté 15 ans et 6 mois au pouvoir (jusqu’au 21 octobre 2019, date des élections) – intervalle mentionné dans l’article. Le Bloc québécois l’a occupé pendant 6 ans, tandis que le NPD a été à la tête de la circonscription pendant 4 ans et 5 mois et le Parti progressiste-conservateur 3 ans et 6 mois.
Compte tenu de ces chiffres, le Conseil estime que, même si le Parti libéral est resté au pouvoir plus longtemps que les autres partis de 1990 à 2019, la circonscription ne saurait être qualifiée de « château fort libéral », le Parti libéral n’ayant été au pouvoir que durant la moitié de cette période.
Grief 2 : Absence de rectification
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. (article 27.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste et le média ont manqué à leur devoir de correction des erreurs.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’absence de rectification, car il juge que le journaliste et le média ont contrevenu à l’article 27.1 du Guide.
Analyse
La plaignante a écrit au journaliste, quatre jours après la parution de l’article, pour lui demander de corriger les informations erronées concernant les dates des différents mandats.
Dans sa défense, le journaliste affirme au Conseil : « J’ai aussitôt transmis le courriel de la plaignante au directeur de l’information et au rédacteur en chef, comme le veut la pratique lorsqu’une erreur de fait est portée à notre attention. Dès le lendemain, ceux-ci m’ont informé qu’après vérification, un avis aux lecteurs allait être publié dans l’édition papier et que la version électronique de mon article allait être corrigée. Ce à quoi j’ai acquiescé. »
La plaignante déplore le fait que la version de l’article en ligne n’a pas été modifiée. Il en va de même d’une publication Facebook promouvant l’article, qui reprend les erreurs factuelles reprochées par la plaignante.
Le Conseil note que la modification de l’article en ligne a bien été effectuée, mais tardivement, soit plus de 10 jours après que la plaignante eut signifié l’erreur au média, et ce, dans un contexte de campagne électorale. Par ailleurs, la publication Facebook originale, comportant les inexactitudes, est toujours en ligne.
La plaignante a joint à sa plainte les échanges ayant eu lieu avec le média. Dans un courriel adressé à l’auteur de l’article mis en cause, le 17 septembre, elle signale les erreurs factuelles concernant la succession des différents députés dans la circonscription. Dans une autre correspondance, datée du 27 septembre, on peut lire que « la correction a été faite dans le journal ce matin. Mon collègue au web va modifier la version électronique. »
Le Conseil juge que les modifications n’ont été effectuées que partiellement (puisque la publication Facebook n’a pas été modifiée), d’une part, et que tardivement, d’autre part. En effet, il a fallu au moins 10 jours pour que celles-ci apparaissent dans la version papier et en ligne. C’est un délai d’autant plus long que le contexte de la publication de l’article, la campagne électorale, exige un traitement rapide de l’information. Le Conseil rappelle que les corrections doivent être faites avec diligence par les médias. De plus, aucune mention de correction n’a été placée dans le texte en ligne. Seule la mention « Mis à jour le 28 novembre 2019 à 13h05 » figure en haut du texte. On n’informe donc pas les lecteurs qui ont lu la première version de l’article qu’il y avait une erreur et à quel sujet.
Le Conseil retient l’absence de correction pour les dates de mandats erronées, mais pas pour l’expression « château fort libéral », expression qui demeure après les modifications, dans la mesure où la plaignante n’avait pas pointé cette inexactitude dans sa demande de correction au journaliste. Le Conseil a rappelé dans plusieurs décisions, dont la D2016-05-145 que, pour qu’un grief d’absence de correction soit retenu, il faut que le média ait reçu une demande en ce sens de la part du plaignant.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Josianne Jetté contre le journaliste Alain Goupil et le journal La Tribune pour les griefs d’informations inexactes et d’absence de correction. Le Conseil donne un blâme au journaliste et au média.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que « lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Ericka Alneus, présidente du comité des plaintes
Paul Chénard
Représentantes des journalistes :
Maxime Bertrand
Marie-Josée Paquette-Comeau
Représentants des entreprises de presse :
Pierre Champoux
Marie-Andrée Prévost