Plaignant
Jean-Yves Pintal, archéologue
Mis en cause
Sébastien Tanguay, journaliste
Radio-Canada
Résumé de la plainte
Jean-Yves Pintal dépose une plainte le 20 janvier 2020 contre le journaliste Sébastien Tanguay, Radio-Canada et le site Internet ici.radio-canada.ca concernant l’article intitulé « La palissade de 1693 ne serait ni une palissade, ni datée de 1693 », publié le 19 janvier 2020. Le plaignant reproche un manque d’équilibre, des informations incomplètes, un correctif inadéquat et de la diffamation (non traitée).
CONTEXTE
En novembre 2018, une équipe d’archéologues dont le plaignant, Jean-Yves Pintal, faisait partie, révèle qu’elle a mis au jour des vestiges de la « palissade de Beaucours », une des premières fortifications de Québec érigées au cours des années 1690. La nouvelle fait alors sensation – il s’agit d’une découverte archéologique majeure – et elle est annoncée en grande pompe par le premier ministre du Québec. Quinze mois plus tard, Sébastien Tanguay publie un article qui remet en question la portée de cette découverte. Le journaliste rapporte que de nouvelles analyses effectuées par des chercheurs de l’Université Laval montrent que les fortifications en bois découvertes dans le Vieux-Québec ont plutôt été construites en 1775. Son article cite des archéologues qui estiment que ceux qui ont mené les fouilles à l’époque ont tiré des conclusions hâtives.
Analyse
Grief 1 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence ». (article 9 alinéa d du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a fait preuve d’un manque d’équilibre en ne présentant pas le point de vue de Jean-Yves Pintal, le plaignant dans ce dossier, dans la première version de son article.
Décision
Le Conseil de presse retient le grief de manque d’équilibre, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 9 alinéa d du Guide. Cependant, étant donné que les mis en cause ont remédié à leur manquement promptement, ils ne reçoivent pas de blâme.
Analyse
Jean-Yves Pintal accuse Sébastien Tanguay de ne retenir « qu’une seule version des faits » et de ne l’avoir « jamais contacté avant la rédaction de son article qui [l’]incrimine. » Le plaignant déplore également être « la seule personne mentionnée » par la partie qu’il dit accusatrice, « devenant ainsi la seule personne responsable » des omissions reprochées. Il signale qu’il a été contacté après la publication de l’article par « des gens de Radio-Canada » qui lui ont demandé sa réaction.
Radio-Canada convient qu’une erreur a été commise et que le journaliste aurait dû obtenir la réaction de M. Pintal avant de publier la nouvelle. Dans l’encadré « Mise au point » ajouté à l’article après sa publication, on peut lire que « le point de vue du responsable du chantier, l’archéologue Jean-Yves Pintal, n’a pas été recueilli comme le stipulent nos normes et pratiques journalistiques. » Plus tard dans la journée, Radio-Canada a ajouté dans l’article la réaction de M. Pintal, en ces termes : « Contacté dimanche matin, Jean-Yves Pintal estime que le rapport de l’Université Laval seul ne suffit pas à infirmer l’ensemble de la découverte. Il n’a pas voulu commenter davantage. »
Comme le reconnaît Radio-Canada, Sébastien Tanguay avait effectivement le devoir de présenter une juste pondération des parties en présence. Or Jean-Yves Pintal est l’une de ces parties puisqu’il est décrit dans l’article comme responsable du chantier qui fait l’objet de la controverse et que ces critiques le visent personnellement.
Dans la plus ancienne version de l’article en cause retrouvée par le Conseil de presse, Jean-Yves Pintal est mis en cause dans les derniers paragraphes du texte que voici (soulignements du Conseil) :
« Un enthousiasme démesuré… et prématuré
L’engouement soulevé par la découverte en avait fait sourciller plusieurs dès le début.
“Ça manquait de prudence, c’est certain”, déplore William Moss. “Les échantillons n’étaient pas encore prélevés, les analyses n’étaient pas encore commencées, et une conférence de presse était convoquée avec le premier ministre et le maire.“
“Je suis plutôt tranchant sur le fait qu’on ait convoqué une conférence de presse sans attendre l’expertise scientifique”, renchérit Réginald Auger, longtemps responsable du laboratoire d’archéologie historique de l’Université Laval. “Ça ne devrait pas se faire ainsi et c’est très déplorable.”
À leur avis, le responsable du chantier à l’époque, Jean-Yves Pintal, a tiré des conclusions trop vite d’une carte historique qui montrait le tracé d’une palissade à l’endroit où les poutres ont été retrouvées.
“Les documents ne sont pas toujours exacts, et il ne faut pas toujours sauter immédiatement aux conclusions. La moindre concordance n’est pas un gage de vérité”, indique-t-il [Réginald Auger].
À son avis, l’erreur existe toujours en science. L’important, toutefois, est de la reconnaître. “Je me trompe aussi, c’est normal en archéologie. Mais je reconnais toujours mes erreurs.”
“Quand la science se trompe, mais qu’elle persiste à ne pas admettre qu’elle s’est gourée, c’est là qu’est le véritable problème.” — Réginald Auger, ancien responsable du laboratoire d’archéologie historique de l’Université Laval
La nouvelle datation de l’Université Laval déplaît à certains. Une contre-expertise a été commandée par un groupe mené par M. Pintal, archéologue, dans l’espoir d’infirmer l’analyse de l’Université Laval. Les résultats de cette contre-expertise demeurent, à ce jour, inconnus. »
Au fil de ces paragraphes, le travail de Jean-Yves Pintal est explicitement remis en question par les personnes citées qui doutent de son analyse quant à la datation de la « palissade Beaucours ». Dans ces circonstances, le journaliste aurait dû contacter M. Pintal afin de recueillir son point de vue et de lui permettre de répondre aux critiques dont il fait l’objet, comme le lui imposait la déontologie journalistique.
Dans la décision antérieure D2015-10-051, le Conseil avait retenu un grief de manque d’équilibre, car il a jugé qu’« il est difficile de justifier, dans les circonstances, l’empressement que semble avoir eu le journaliste à publier ce texte, avant d’avoir pu parler au principal intéressé. En effet, considérant l’importance des accusations et le fait que la réputation du plaignant était en jeu, il était important d’obtenir le point de vue [de ce dernier], et le journaliste ne pouvait prétendre avoir satisfait à cette obligation en ne laissant que quelques heures au plaignant pour obtenir une réponse. » Pareillement, dans le cas présent, il n’y avait pas d’urgence à publier la nouvelle et le journaliste aurait dû, au préalable, permettre à Jean-Yves Pintal de répondre aux critiques à son endroit.
Cette exigence déontologique a été satisfaite a posteriori par Radio-Canada qui a publié une mise à jour de l’article quelques heures après sa publication. Celle-ci inclut notamment l’ajout d’un encadré « Mise au point » qui explique les raisons de cette mise à jour ainsi qu’un commentaire de Jean-Yves Pintal au sujet du rapport de l’Université de Laval qui remet en question sa découverte de la « palissade Beaucours ».
Radio-Canada souligne le fait que le texte initial contenait des hyperliens renvoyant vers des nouvelles passées au sujet de cette découverte, mais cela ne permettait pas au journaliste de faire l’économie de solliciter la réaction du principal intéressé. L’erreur a certes été rapidement corrigée par le média et avec diligence, mais il n’empêche que le journaliste a failli à l’une des règles élémentaires du métier, l’équilibre, en omettant de prendre les moyens raisonnables qui s’imposent pour présenter le point de vue d’une personne mise en cause dans un article avant la publication de celui-ci.
Grief 2 : informations incomplètes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 alinéa e du Guide).
2.1 Nom de l’entreprise
Le Conseil doit déterminer si Sébastien Tanguay a présenté les éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet dont il traite en ne citant pas l’entreprise pour laquelle travaillait Jean-Yves Pintal.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Jean-Yves Pintal déplore être la seule personne nommément visée par les critiques formulées par les intervenants cités dans l’article. Or il souligne qu’il travaillait « à l’époque pour une firme, Ruralys, qui était responsable de l’intervention. »
Ruralys est l’entreprise responsable des fouilles archéologiques ayant permis la découverte des vestiges en bois présentés comme la « palissade Beaucours ». Cependant, le journaliste n’était pas tenu de la nommer puisque l’information selon laquelle M. Pintal y travaillait n’est pas nécessaire à la compréhension du sujet de l’article qui concerne essentiellement la nouvelle analyse effectuée sur ces vestiges en bois.
Les mis en cause expliquent de leur côté que « le plaignant est nommé dans [le] texte puisqu’il agissait comme responsable du chantier et, à ce titre, était en quelque sorte le visage de l’équipe qui a fait la découverte révélée en 2018. » Dans l’article, le journaliste présente M. Pintal comme « le responsable du chantier à l’époque », une information suffisante pour comprendre le rôle joué par ce dernier dans ce dossier.
Dans la décision D2015-10-052, le Conseil indique qu’un « journaliste est toujours libre d’exclure certaines informations, pour peu que ce choix ne prive pas le public d’informations essentielles, considérant l’angle de traitement choisi ». Dans le cas présent, le fait que M. Pintal travaillait à l’époque de la découverte pour l’entreprise Ruralys n’était pas une information essentielle à la compréhension du sujet traité par le journaliste.
2.2 Rapport omis
Le Conseil doit déterminer si Sébastien Tanguay a présenté les éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet dont il traite en n’ayant pas mentionné un rapport évoqué par le plaignant.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’incomplétude sur ce point, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 alinéa e du Guide.
Analyse
Jean-Yves Pintal déplore que Sébastien Tanguay n’ait pas « pris connaissance de notre rapport, qui, lui, nuance considérablement les propos rapportés dans l’article. » Cependant, il ne précise pas dans sa plainte quel rapport le journaliste n’aurait pas consulté et il ne l’apporte pas en preuve non plus. Par ailleurs, il ne démontre pas quels éléments dudit rapport auraient été essentiels à la compréhension du sujet. En l’absence de preuve et de précisions sur l’importance dudit rapport pour la compréhension du sujet, le Conseil rejette l’incomplétude invoquée.
Grief 3 : correctif inadéquat
Principe déontologique applicable
Correction des erreurs : « Les journalistes et les médias d’information corrigent avec diligence leurs manquements et erreurs, que ce soit par rectification, rétractation ou en accordant un droit de réplique aux personnes ou groupes concernés, de manière à les réparer pleinement et rapidement. » (article 27.1 du Guide).
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont corrigé avec diligence leurs éventuels manquements et erreurs rapportés aux griefs précédents.
Décision
Le Conseil rejette le grief de correctif inadéquat, car il juge que le média n’a pas contrevenu aux dispositions de l’article 27.1 du Guide.
Analyse
Jean-Yves Pintal explique qu’il a demandé à Radio-Canada de retirer « cet article fallacieux. Après consultation à l’interne, ils ont refusé, mais ils ont ajouté un encart (vers 10h00) à la fin indiquant que cet article ne respectait pas les normes et pratiques journalistiques, mais où mon nom apparaît toujours. »
Au-delà de reconnaître leur faute, les mis en cause ont été prompts à la corriger (l’article a été publié à 5h23 puis mis à jour la première fois à 10h17). Dans la version modifiée de l’article, un encadré « Mise au point » a été ajouté et sa clarté permet au public de saisir immédiatement quels éléments ont été rectifiés. Les passages où Jean-Yves Pintal était nommément visé par les critiques des intervenants cités (voir grief 1) ont été reformulés. Son point de vue a également été ajouté, de même que des informations complémentaires afin de donner davantage de détails aux lecteurs. Le Conseil est ainsi d’avis que les mis en cause ont rempli leur obligation déontologique en matière de correction des erreurs.
M. Pintal souhaitait que son nom n’apparaisse plus du tout dans l’article. Cependant, le Conseil souscrit à l’argument de Radio-Canada selon lequel il est pertinent de nommer le plaignant dans l’encadré « Mise au point » dans un souci de clarté.
Grief non traité : diffamation
Jean-Yves Pintal reproche à Sébastien Tanguay de rapporter « des déclarations diffamatoires qui portent atteinte à [sa] réputation civile et professionnelle ».
Le Conseil rappelle que l’atteinte à la réputation, et plus largement la diffamation, ne sont pas du ressort de la déontologie journalistique et relèvent plutôt de la sphère judiciaire, comme le précise l’article 13.03 du Règlement No 2.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Jean-Yves Pintal contre le journaliste Sébastien Tanguay, Radio-Canada et le site Internet ici.radio-canada.ca concernant le grief de manque d’équilibre. Il prononce toutefois l’absolution des mis en cause en raison du correctif rapide et adéquat apporté par le média. Le journaliste a certes commis une erreur élémentaire, qui constitue une faute déontologique conséquente, mais la correction a été tout aussi conséquente et diligente.
Le Conseil de presse du Québec rejette par ailleurs les griefs d’incomplétude et de correctif inadéquat.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Richard Nardozza
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier