Plaignant
François Couillard
Mis en cause
Charles Lecavalier, journaliste
Mathieu Bock-Côté, chroniqueur
Le Journal de Québec
QUB radio
Le Journal de Montréal
Résumé de la plainte
NOTE: LA DÉCISION DE LA COMMISSION D’APPEL SE TROUVE À LA SUITE DE LA DÉCISION DE PREMIÈRE INSTANCE.
François Couillard dépose une plainte le 15 janvier 2020 au sujet d’un article du journaliste Charles Lecavalier, intitulé « Une activité de la CAQ victime de censure à l’UdeM », publié le 9 janvier 2020 dans le Journal de Québec. Le plaignant vise également un segment de l’émission « Le retour de Mario Dumont », diffusé sur QUB radio le 9 janvier 2020 et une chronique de Mathieu Bock-Côté, intitulée « Liberté d’expression : le triomphe des censeurs et des fanatiques », publiée le 12 janvier 2020 dans Le Journal de Montréal. Il déplore des informations inexactes, de l’information incomplète, un manque d’équilibre, un manque de vérification des informations fournies par les sources et de la partialité (voir « griefs non traités » à la fin de la décision).
CONTEXTE
Le journaliste Charles Lecavalier fait un reportage sur une activité de l’aile jeunesse de la Coalition avenir Québec (CAQ) à l’Université de Montréal, qui a été perturbée par des militants de gauche. Il y présente les propos du président de l’aile jeunesse de la CAQ, Keven Brasseur, qui avait d’abord associé ces manifestants à Québec solidaire, pour ensuite se rétracter et préciser qu’il s’agissait plutôt d’un groupe anarchiste. Les manifestants auraient bloqué l’accès au kiosque de l’aile jeunesse et traité les jeunes caquistes de « xénophobes ». Dans ce reportage, M. Brasseur déplore la situation et indique que ces « techniques d’obstruction » surviennent dans différents campus universitaires au Québec.
L’émission « Le retour de Mario Dumont » rapporte l’incident, indiquant que le kiosque de l’aile jeunesse de la CAQ a été « bloqué » par des manifestants qui « voulaient sortir [les jeunes caquistes] de là, carrément ». Le segment consiste en une entrevue avec Keven Brasseur, qui donne sa version de la situation.
Dans sa chronique, Mathieu Bock-Côté dénonce d’abord cette situation précise, pour ensuite affirmer qu’il est chose commune de voir la gauche radicale empêcher la tenue d’événements, au Québec et ailleurs. Il soutient que l’extrême gauche remet en question la liberté d’expression en se basant sur la thèse suivante : « ceux qui perturbent une conférence en hurlant contre le conférencier ou en bloquant comme ils le peuvent un kiosque ou un événement exercent à leur manière leur liberté d’expression ». Le chroniqueur estime plutôt qu’il s’agit de censure, que la gauche radicale tente de faire passer pour de la liberté d’expression.
Analyse
PRINCIPES DÉONTOLOGIQUES LIÉS AUX GENRES JOURNALISTIQUES
Il existe fondamentalement deux genres journalistiques ayant chacun leurs exigences propres : le journalisme factuel et le journalisme d’opinion. (article 10 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Journalisme factuel : (1) Le journaliste factuel rapporte les faits et les événements et les situe dans leur contexte. (2) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement, impartiale, équilibrée et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.1 du Guide)
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, comme défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide)
Dans ce dossier, le plaignant vise trois contenus journalistiques : deux qui se rattachent au journalisme d’opinion et un autre qui se définit comme du journalisme factuel.
Spécifiquement, l’émission radio « Le retour de Mario Dumont » et la chronique de Mathieu Bock-Côté dans le Journal de Montréal sont traitées par le Conseil comme du journalisme d’opinion.
Le reportage de Charles Lecavalier « Une activité de la CAQ victime de censure à l’UdeM », publié dans le Journal de Québec, est traité selon les normes déontologiques relatives au journalisme factuel.
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
1.1 Accès au kiosque
Décision
Le Conseil doit déterminer si le journaliste Charles Lecavalier a produit de l’information inexacte en citant les propos tenus par Keven Brasseur : « Un groupe de manifestants a bloqué l’accès à notre kiosque ».
Il doit également établir si l’émission « Le retour de Mario Dumont » a produit de l’information inexacte en mentionnant « l’obstruction » de la table de la CAQ.
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte sur ces deux points, car il juge que le journaliste et l’émission de radio n’ont pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le plaignant avance qu’il est inexact d’écrire que l’accès au kiosque a été bloqué et de parler de « l’obstruction » de la table de la CAQ, « puisque tous ceux qui le voulaient ont pu accéder à la table de la CAQ et parler aux militants sans obstruction ». Il soutient que la manifestation était « non bloquante et pacifique ».
En ce qui concerne l’article de Charles Lecavalier, le journaliste n’écrit pas spécifiquement que l’accès au kiosque a été bloqué, il rapporte plutôt les propos que Keven Brasseur a tenus sur sa page Facebook :
« Une activité de l’aile jeunesse de la Coalition avenir Québec a été “victime de censure” de la part de militants de gauche. “Lors de la journée d’accueil de l’Université de Montréal […], un groupe de manifestants a bloqué l’accès à notre kiosque en affirmant ‘vouloir brimer volontairement notre liberté d’opinion et d’expression’”, a déploré le président de l’aile jeunesse de la CAQ, Keven Brasseur, dans une publication sur les médias sociaux. »
Dans l’émission radio « Le retour de Mario Dumont », les termes « bloquer », « empêcher carrément votre événement d’avoir lieu » et « des tentatives comme ça de bloquer votre message » sont employés pour parler de cette manifestation.
En appui à sa plainte, le plaignant soumet au Conseil le texte d’un blogueur montréalais, Xavier Camus. Ce billet, intitulé « Retour sur le soi-disant épisode de “censure” contre un kiosque de la Relève caquiste », a été publié par Xavier Camus sur son blogue le 15 janvier 2020, soit 6 jours après la publication de l’article de Charles Lecavalier et la diffusion de l’émission « Le retour de Mario Dumont ». Le blogueur y soutient notamment qu’on « a allégué [qu’il] y aurait eu “blocage”, “interruption” et “censure” […] En fait, rien de tout cela n’est vrai […] ».
Ce billet de blogue ne constitue pas une preuve suffisante permettant de savoir ce qui s’est réellement passé lors de cet événement, puisque le texte a été rédigé par quelqu’un qui n’était pas présent sur les lieux. De plus, ce texte de blogue a été publié plusieurs jours après l’événement et les produits journalistiques mis en cause. Cette preuve place plutôt le Conseil devant deux versions contradictoires qui ne lui permettent pas de déterminer qu’il y eu inexactitude dans le reportage de M. Lecavalier et dans l’émission « Le retour de Mario Dumont ».
En l’absence de preuve concrète d’inexactitude alléguée, le Conseil rejette la plainte. La décision D2018-04-037 explique que « lorsque le Conseil examine une allégation d’inexactitude, il ne retient le grief que s’il a une preuve démontrant qu’une information inexacte a été véhiculée ». Il revient au plaignant de soumettre une preuve probante des accusations qu’il formule.
De la même manière, dans le cas présent, le bénéfice du doute est accordé au journaliste puisque le Conseil ne dispose pas de la preuve nécessaire pour départager les versions contradictoires concernant l’accès, bloqué ou non, au kiosque de l’aile jeunesse de la CAQ.
1.2 Militants de Québec solidaire
Décision
Le Conseil doit déterminer si Charles Lecavalier, l’émission « Le retour de Mario Dumont » et Mathieu Bock-Côté ont produit de l’information inexacte en affirmant, selon le plaignant, que « les protestataires [étaient] des militants de Québec solidaire ».
Le Conseil de presse rejette le grief d’information inexacte, car il juge que le journaliste, l’animateur et le chroniqueur n’ont pas contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Le plaignant indique que « tous les journalistes » mentionnent à tort que « les protestataires sont des militants de Québec solidaire ». Pourtant, dans aucun des articles ni dans l’émission visée, il n’est rapporté que la manifestation était l’œuvre de militants de QS. Il s’agit là de l’interprétation du plaignant. L’article de Charles Lecavalier et le segment radiophonique de l’émission « Le retour de Dumont » expliquent plutôt que Keven Brasseur avait d’abord associé les manifestants à Québec solidaire, avant de se rétracter. La chronique de Mathieu Bock-Côté ne mentionne pas Québec solidaire.
Plus précisément, l’article de Charles Lecavalier explique que « M. Brasseur a tout d’abord accusé Québec solidaire, avant de rectifier sa publication : “QS UdeM s’en dissocie, merci”, a-t-il indiqué. Il a précisé qu’il s’agissait plutôt d’un groupe anarchiste. M. Brasseur a indiqué au Journal que ces militants, moins d’une dizaine, ont mentionné eux-mêmes “qu’ils étaient de Québec solidaire”, mais que “ce n’était pas nécessairement revendiqué par le parti”. Pour sa part, QS confirme que “vérifications faites, ce ne sont pas des militants solidaires” ».
Dans l’émission « Le retour de Mario Dumont », l’invité Keven Brasseur « rectifie le fait » par rapport à l’allégeance des manifestants :
Animateur : « Vous parliez dans votre publication [Facebook] de manifestants se réclamant de Québec solidaire. Est-ce que ça vous gardez votre point? Est-ce que vous avez remarqué, ou est-ce que les gens se sont identifiés comme étant de telle ou telle allégeance politique?
Keven Brasseur : « Donc, finalement dans le fond, l’association de Québec solidaire de l’Université de Montréal s’est dissociée complètement de ces actions. Puis finalement, un groupe anarchiste s’est réclamé étant le responsable de cette action. Donc je tiens à rectifier le fait que ce ne sont pas des militants de Québec solidaire, mais bien des militants d’un groupe anarchiste de l’Université de Montréal.
Sur l’interprétation des propos des journalistes par les plaignants, dans le dossier D2019-04-060, par exemple, le Conseil a rejeté un grief d’information inexacte puisque les plaignants interprétaient l’article et reprochaient à la journaliste une information inexacte qui ne s’y trouvait pas. Les plaignants déploraient que la journaliste ait laissé entendre que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault était lié à la présence de Me Petrowsky. Cependant, il n’était écrit nulle part que le contrat entre la Ville de Terrebonne et le cabinet d’avocats Champagne Perreault avait un lien avec la présence de Me Petrowsky.
De la même manière, dans le cas présent, les mis en cause n’écrivent pas que les manifestants étaient affiliés à Québec solidaire, comme l’allègue le plaignant. Ils mentionnent simplement que Keven Brasseur les avait erronément associés à ce parti politique et qu’il s’est rétracté sur ce point.
Grief 2 : information incomplète
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : e) complétude : dans le traitement d’un sujet, présentation des éléments essentiels à sa bonne compréhension, tout en respectant la liberté éditoriale du média. » (article 9 e) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Charles Lecavalier, l’émission « Le retour de Mario Dumont » et Mathieu Bock Côté ont omis de présenter les éléments essentiels à la bonne compréhension du sujet en ne mentionnant pas que « la cause de la manifestation était due à une agitation et une hostilité autour du kiosque de la CAQ concernant des étudiantes portant le hidjab ».
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief d’information incomplète.
Analyse
Le plaignant avance que « les journalistes omettent de mentionner que la cause de la manifestation était due à une agitation et une hostilité autour du kiosque de la CAQ concernant des étudiantes portant le hidjab ». François Couillard s’appuie encore une fois sur le texte « Retour sur le soi-disant épisode de “censure” contre un kiosque de la Relève caquiste ». Le blogueur Xavier Camus y rapporte que « sur l’heure du midi, se tenait un kiosque de la jeunesse caquiste à l’Université de Montréal. Voyant de l’animosité autour du kiosque – notamment des étudiantes portant le hidjab qui semblaient se quereller avec les militants.es de la CAQ – des étudiantes ont décidé d’organiser une réunion spontanée à quelques mètres du kiosque, pour faire valoir “un contre-discours”. » Tel qu’expliqué au sous-grief 1.1., le Conseil ne peut se baser sur ce blogue, puisqu’il ne s’agit pas d’une preuve probante. De plus, le plaignant n’explique pas en quoi la cause de la manifestation aurait été essentielle à la compréhension du sujet.
Le reportage de Charles Lecavalier se construit autour des propos de Keven Brasseur, président de l’aile jeunesse de la CAQ, de Québec solidaire, de Gabriel Jarvis, président de l’association caquiste de l’Université de Montréal, et de Geneviève O’Meara, porte-parole de l’Université de Montréal. Outre Québec solidaire, qui confirme que les manifestants n’étaient pas liés au parti, ces intervenants abordent les conséquences de cette manifestation sur la tenue de l’événement. Le journaliste a choisi de traiter le sujet sous l’angle de l’obstruction du kiosque et de l’atteinte à la liberté d’expression. La cause de la manifestation n’est pas un enjeu soulevé par les intervenants et elle n’est pas essentielle à la compréhension du sujet dans cet article.
Le segment visé dans l’émission « Le retour de Mario Dumont » consiste principalement en une entrevue avec Keven Brasseur. Il n’aborde pas la raison de la manifestation, mais centre plutôt son propos sur les conséquences de cet événement sur la liberté d’expression de l’aile jeunesse de la CAQ et sur les bénévoles de son organisation qui se seraient fait « insulter sur la voie publique ».
La chronique de Mathieu Bock-Côté, quant à elle, débute en rapportant l’événement, en écrivant que des militants caquistes « ont été pris à partie par des militants d’extrême gauche souhaitant empêcher sa tenue ». Il affirme ensuite qu’il est chose commune de voir la gauche radicale empêcher la tenue d’événements, au Québec et ailleurs. La suite de sa chronique déplore cette censure dans les colloques, les conférences, les universités, etc. L’incident qui s’est déroulé à l’Université de Montréal ne constitue pas le cœur du texte, la raison de la manifestation n’était donc pas essentielle à la compréhension de son propos sur la censure.
Les journalistes n’ont pas l’obligation déontologique de diffuser toutes les informations liées au sujet d’un article ou d’un reportage, ce qui serait d’ailleurs impossible dans un espace ou un temps limité. Ils doivent plutôt s’assurer de présenter les éléments essentiels à la compréhension des faits par le lecteur. Dans le dossier D2014-12-062, un grief d’information incomplète contre un journaliste à qui l’on reprochait d’avoir « escamoté » certains détails a été rejeté, le Conseil ayant conclu qu’il s’agissait d’éléments accessoires.
De la même manière dans le cas présent, la cause de la manifestation alléguée par le plaignant n’était pas essentielle à la compréhension du sujet selon les angles de traitement choisis par les mis en cause.
Grief 3 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 d) du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Charles Lecavalier a manqué à son devoir d’équilibre.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque d’équilibre, car il juge que le journaliste n’a pas contrevenu à l’article 9 d) du Guide.
Analyse
François Couillard déplore que les « quatre contestataires » n’aient pas été contactés et que l’article de Charles Lecavalier « relaie la seule version de Keven Brasseur ». Toutefois, le journaliste ne reprend pas seulement la version de Keven Brasseur, il présente plusieurs points de vue dans son article :
Keven Brasseur, président de l’aile jeunesse de la CAQ, qui s’est exprimé sur le sujet dans une publication Facebook et qui s’est entretenu avec Le Journal de Québec afin de dénoncer « cette action qui est antidémocratique et qui brime la liberté d’expression dans nos campus. On peut certes exprimer notre désaccord sur les idées, mais couper l’accès aux étudiant.e.s intéressé.e.s est inacceptable »;
Québec solidaire, qui confirme que les manifestants ne sont pas des militants du parti;
Gabriel Jarvis, président de l’association caquiste de l’Université de Montréal, qui soutient : « J’ai essayé de leur parler, de dialoguer avec [les manifestants]. Une fille m’a juste répondu : on ne débat pas avec des xénophobes. Wow. Ils ne bougeaient pas et obstruaient notre vue pour nous empêcher de parler aux étudiants. »
Geneviève O’Meara, porte-parole de l’Université de Montréal, affirmant que l’établissement prône l’importance « de tenir des discussions dans le respect des opinions de chacun » et fera un suivi approprié pour faire la lumière sur l’événement.
Le journaliste a été mis au courant de la manifestation, visiblement spontanée, après coup et les quelques protestataires n’étaient possiblement pas connus. Charles Lecavalier ne pouvait être tenu de présenter leur version. Sur Internet, le blogueur Xavier Camus affirme s’être entretenu avec certains manifestants et transcrit les verbatims des échanges dans un billet intitulé « Retour sur le soi-disant épisode de “censure” contre un kiosque de la Relève caquiste ». Or, comme mentionné dans les griefs précédents, ce texte, publié six jours après l’événement, n’est pas une preuve suffisante permettant d’établir que le journaliste a manqué d’équilibre, car nous ne savons pas si les quelques manifestants étaient connus ou accessibles au moment de la rédaction du reportage de Charles Lecavalier.
Grief 4 : manque de fiabilité des informations transmises par les sources
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si Charles Lecavalier a contrevenu à l’article 11 du Guide.
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par les sources.
Analyse
Le plaignant déplore que Charles Lecavalier, l’émission « Le retour de Mario Dumont » et Mathieu Bock-Côté se soient « fiés aux ouï-dire d’une personne qui n’était pas présente, et par surplus un militant politique de la CAQ, Keven Brasseur ». Le Conseil ne sait pas si Keven Brasseur était présent sur les lieux ni comment il a obtenu ses informations, mais en tant que président et porte-parole de l’aile jeunesse de la CAQ, il est normal qu’il commente la nouvelle, même s’il n’était pas présent à l’événement. Ainsi, le journaliste pouvait se fier à ce représentant de la CAQ pour s’exprimer sur la situation décriée.
De plus, Charles Lecavalier a pris les moyens raisonnables pour s’assurer de la fiabilité des informations transmises par Keven Brasseur, en s’entretenant avec Gabriel Jarvis, qui était sur les lieux, comme en témoigne la citation suivante : « Le président de l’association caquiste de l’UdeM, Gabriel Jarvis, a renchéri. “J’ai essayé de leur parler, de dialoguer avec eux. Une fille m’a juste répondu : ‘On ne débat pas avec des xénophobes’. Wow. Ils ne bougeaient pas et obstruaient notre vue pour nous empêcher de parler aux étudiants”, a-t-il dit. » Le journaliste ne s’est pas contenté des informations de Keven Brasseur et de Gabriel Jarvis, ayant la même affiliation politique; il a également vérifié une information auprès de Québec solidaire concernant l’affiliation politique des manifestants. Charles Lecavalier conclut son article avec une autre source, en recueillant la version de l’Université de Montréal qui affirme « être “rapidement intervenue” lors de cette activité “en rappelant l’importance de tenir des discussions dans le respect des opinions de chacun” ».
De la même manière, dans le dossier D2018-04-042, un grief de manque de fiabilité des informations fournies par les sources a été rejeté, alors que la plaignante estimait que les sources de la journaliste n’étaient pas « tout à fait justes » et que les inexactitudes qu’elle lui reprochait témoignaient du manque de fiabilité de ces sources. La journaliste citait pourtant huit sources différentes, toutes concordantes, ce qui lui avait permis de corroborer leurs versions des faits et de jauger leur crédibilité. Dans le cas présent, Charles Lecavalier rapporte les propos provenant de quatre sources différentes. En ce sens, il a pris les moyens raisonnables pour vérifier la fiabilité des informations fournies par l’une d’entre elles, Keven Brasseur.
La diffusion de l’émission « Le retour de Mario Dumont » et la publication de la chronique de Mathieu Bock-Côté sont toutes deux postérieures à l’article de Charles Lecavalier. Les mis en cause s’appuient sur le travail de leur collègue, qui a pris les moyens raisonnables pour s’assurer de la fiabilité de ses sources.
Griefs non traités : manque d’équilibre et partialité
Le plaignant considère que l’émission « Le retour de Mario Dumont » et Mathieu Bock-Côté ont manqué d’équilibre et ont fait preuve de partialité dans leur traitement de l’information. Le Conseil n’a pas traité ce grief puisque le journalisme d’opinion est exempté de cette obligation déontologique, comme stipulé à l’article 10.2 (3) du Guide.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Québec, de QUB radio et du Journal de Montréal, qui ne sont pas membres du Conseil de presse, et qui n’ont pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de François Couillard contre l’article de Charles Lecavalier, Le Journal de Québec, l’émission « Le retour de Mario Dumont », QUB Radio, la chronique de Mathieu Bock-Côté et Le Journal de Montréal. Les griefs d’informations inexactes, d’information incomplète, de manque d’équilibre et de manque de fiabilité des informations transmises par les sources sont rejetés.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
Ericka Alneus
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Éric Grenier
Yann Pineau
Date de l’appel
17 January 2022
Appelant
François Couillard
Décision en appel
RÔLE DE LA COMMISSION D’APPEL
Lors de la révision d’un dossier, les membres de la commission d’appel doivent s’assurer que les principes déontologiques ont été appliqués correctement en première instance.
CONTEXTE
François Couillard a déposé une plainte au sujet d’un article factuel du journaliste Charles Lecavalier, d’un segment de l’émission « Le retour de Mario Dumont », et d’une chronique de Mathieu Bock-Côté.
Le reportage de Charles Lecavalier traite d’une activité de l’aile jeunesse de la Coalition avenir Québec (CAQ) à l’Université de Montréal, qui a été perturbée par des militants de gauche. Il y présente les propos du président de l’aile jeunesse de la CAQ, Keven Brasseur.
L’émission « Le retour de Mario Dumont » rapporte l’incident, indiquant que le kiosque de l’aile jeunesse de la CAQ a été « bloqué » par des manifestants et présente une entrevue avec Keven Brasseur, qui donne sa version de la situation.
Dans sa chronique, Mathieu Bock-Côté dénonce d’abord cette situation précise, pour ensuite affirmer qu’il est chose commune de voir la gauche radicale empêcher la tenue d’événements, au Québec et ailleurs.
En première instance, M. Couillard alléguait des informations inexactes, de l’information incomplète, un manque d’équilibre et un manque de fiabilité des informations transmises par les sources. Le comité des plaintes a rejeté sa plainte et M. Couillard ne fait appel que d’un des deux sous-griefs d’information inexacte, qui ne vise pas la chronique de Mathieu Bock-Côté, mais uniquement « Le retour de Mario Dumont » à QUB Radio et le reportage de Charles Lecavalier dans Le Journal de Québec.
MOTIF DE L’APPELANT
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à un sous-grief d’information inexacte.
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide)
Les membres de la commission d’appel doivent déterminer si l’appelant apporte des éléments qui démontrent que la première instance, qui a rejeté le grief d’information inexacte du plaignant, a mal appliqué le principe déontologique qui s’y rattache.
Principe déontologique relié au journalisme d’opinion (émission « Le retour de Mario Dumont »)
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, comme défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide)
Décision
Les membres de la commission d’appel estiment que l’article 9 a) du Guide a été appliqué correctement en première instance.
La commission d’appel maintient la décision rendue en première instance.
Analyse
L’appelant avance : « Naïvement, je croyais que si je fournissais l’article de Xavier Camus en preuve, le CPQ [Conseil de presse du Québec] tenterait de rejoindre des sources primaires qui sont citées dans le texte. Je croyais que le CPQ voulait faire toute la lumière sur les événements. Je réalise que ce n’est pas le cas. »
M. Couillard ajoute : « Apprenant dans la décision que le CPQ ne tenterait pas de rejoindre les sources primaires, j’ai demandé à Xavier Camus de me les fournir. Ça a été fait en quelques minutes. Ça aurait pu être fait au moment où j’ai rempli le formulaire de plainte à l’origine, si vous me l’aviez précisé. Comment aurais-je pu savoir qu’il vous fallait des sources primaires et non des sources secondaires? »
L’appelant conteste la décision de première instance relativement à l’information selon laquelle les manifestants ont bloqué l’accès au kiosque de la CAQ. Cet élément se trouve dans l’article de Charles Lecavalier qui citait les propos tenus par Keven Brasseur sur Facebook : « Une activité de l’aile jeunesse de la Coalition avenir Québec a été “victime de censure” de la part de militants de gauche. “Lors de la journée d’accueil de l’Université de Montréal […], un groupe de manifestants a bloqué l’accès à notre kiosque en affirmant ‘vouloir brimer volontairement notre liberté d’opinion et d’expression’”, a déploré le président de l’aile jeunesse de la CAQ, Keven Brasseur, dans une publication sur les médias sociaux. »
Dans l’émission « Le retour de Mario Dumont », l’animateur indique que les personnes au kiosque de l’aile jeunesse de la CAQ « auraient été interrompues, bloquées, par un groupe de manifestants qui voulaient les sortir de là ». Il ajoute plus tard : « Ça on comprend que c’est ça qui vous choque le plus […] c’est qu’ils empêchaient carrément votre événement d’avoir lieu ». Keven Brasseur répond : « Oui, tout à fait. »
Dans sa plainte originale, M. Couillard apportait en preuve le texte d’un blogueur montréalais, Xavier Camus. Ce dernier a publié un billet, intitulé « Retour sur le soi-disant épisode de “censure” contre un kiosque de la Relève caquiste », sur son blogue le 15 janvier 2020, soit 6 jours après la publication de l’article de Charles Lecavalier et la diffusion de l’émission « Le retour de Mario Dumont ». Le blogueur y soutenait notamment qu’on « a allégué [qu’il] y aurait eu “blocage”, “interruption” et “censure” […] En fait, rien de tout cela n’est vrai […] ».
Le comité des plaintes a appliqué correctement le principe d’exactitude, parce que l’élément de preuve apporté par M. Couillard n’était pas probant. Le texte d’un blogueur publié six jours après les faits n’est pas une preuve suffisante que le kiosque de l’aile jeunesse de la CAQ n’a pas été bloqué et que cette information était disponible au moment de la publication de l’article et de la diffusion de l’émission de radio. Il revient au plaignant « de fournir tout document pertinent à l’objet de sa plainte », tel que le stipule l’article 10.02 du Règlement 2 du Conseil.
Par ailleurs, il n’appartient pas au Conseil de faire sa propre enquête sur le déroulement des événements, d’autant plus que la porte-parole de l’Université de Montréal, Geneviève O’Meara, a déclaré au journaliste Charles Lecavalier que l’Université est « rapidement intervenue » lors de cette activité, « en rappelant l’importance de tenir des discussions dans le respect des opinions de chacun ». « Nous sommes aussi à faire la lumière sur ce qui s’est passé et un suivi sera effectué », a-t-elle indiqué.
Le comité des plaintes a donc bien appliqué le principe d’exactitude en accordant le bénéfice du doute au journaliste, étant donné qu’il ne disposait pas de la preuve nécessaire pour départager les versions contradictoires concernant l’accès, bloqué ou non, au kiosque de l’aile jeunesse de la CAQ.
CONCLUSION
Après examen, les membres de la commission d’appel concluent à l’unanimité de maintenir la décision rendue en première instance.
Par conséquent, conformément aux règles de procédure, le dossier est clos.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que les décisions de la commission d’appel sont finales. L’article 31.02 s’applique aux décisions de la commission d’appel : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition de la commission d’appel lors de la prise de décision :
Représentant du public :
Jacques Gauthier, président de la commission d’appel
Représentant des journalistes :
Jonathan Trudel
Représentant des entreprises de presse :
Gilber Paquette