Plaignant
Eric Thomas
Mis en cause
Russ Bynum et Brynn Anderson, journalistes
Agence Associated Press
La Presse canadienne
La Presse
Résumé de la plainte
Éric Thomas dépose une plainte le 15 juin 2020 contre un article intitulé « Nouvelles vidéos de l’arrestation mortelle à Atlanta » publié le 14 juin 2020 sur le site Internet du quotidien La Presse. Le plaignant reproche de l’information inexacte, de la partialité et du sensationnalisme.
CONTEXTE
À l’origine, l’article en cause est une dépêche, écrite en anglais par deux journalistes de l’agence de presse américaine Associated Press, Russ Bynum et Brynn Anderson. La dépêche a ensuite été traduite en français par l’agence canadienne bilingue La Presse canadienne, puis publiée sur le site lapresse.ca, où le plaignant l’a lue, en version française. Cet article rapporte que la police d’Atlanta, en Géorgie, a diffusé des vidéos de l’arrestation d’un homme, survenue deux jours plus tôt lors d’un contrôle d’alcoolémie, qui s’est conclue par la mort de celui-ci après qu’un policier lui a tiré dessus. Dans la version originale anglaise, les journalistes utilisent le terme « killing » qui a été traduit en français par le mot « meurtre », dont l’emploi est contesté par le plaignant.
Analyse
GRIEFS DU PLAIGNANT
Grief 1 : information inexacte
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause rapportent une information inexacte en employant le terme « meurtre » dans le passage suivant : « Le meurtre de l’homme noir de 27 ans lors d’une rencontre avec deux officiers blancs vendredi soir a ravivé les manifestations à Atlanta et a provoqué la démission de la cheffe de police. »
Décision
Le Conseil de presse retient le grief d’information inexacte, car il juge que les mis en cause ont contrevenu à l’article 9 alinéa a du Guide.
Analyse
Eric Thomas affirme que « l’utilisation du terme meurtre rapporte à une infraction criminelle avec une intention de causer la mort. Il est impossible à ce stade-ci de l’événement de déterminer que le policier avait l’intention de tuer le suspect. Simplement l’intention de neutraliser une menace, alors que le suspect a fait feu sur lui avec une arme à impulsion. » Le plaignant appuie son propos sur la définition du mot « meurtre » donnée par le Code criminel canadien qui suppose l’intention de son auteur de causer la mort de sa victime ou des lésions corporelles pouvant entraîner la mort.
L’article en cause dévoile le contenu de vidéos de l’arrestation, deux jours plus tôt, d’un homme noir, Rayshard Brooks, par deux policiers pour un test d’alcoolémie. Sur ces vidéos, on voit le contrôle se dérouler normalement avant de dégénérer, l’homme réussissant à empoigner l’arme à impulsion électrique d’un policier puis à s’échapper. On le voit ensuite se faire poursuivre par le policier encore muni de son pistolet à impulsion électrique Taser qui sort alors son arme à feu et tire à trois reprises sur l’homme en fuite. L’article rapporte que le procureur chargé de ce fait divers a déclaré le jour même « dans un communiqué qu’il espérait parvenir à une décision en milieu de semaine sur la possibilité de porter des accusations contre les policiers. »
Le représentant de La Presse canadienne, qui confirme que l’agence a traduit la dépêche, estime que les termes « meurtre » et « homicide » sont interchangeables en faisant référence à la définition du terme « meurtre » dans le dictionnaire Larousse qui indique que « dans la langue courante, ces mots [meurtre et ses synonymes assassinat, crime, homicide] sont souvent employés l’un pour l’autre. » Le représentant de La Presse précise en outre que « le texte n’a pas été rédigé dans le cadre d’une procédure judiciaire, mais bien à des fins de communication de nouvelles dans un média généraliste qui s’adresse à un large public. Le terme “meurtre” doit donc être interprété dans son sens courant et non dans son sens strictement juridique. »
Le Conseil a étudié plusieurs définitions du termes meurtre, tant celles provenant du langage courant que juridique. En voici quelques-unes :
Wikipedia: « Un meurtre est un homicide volontaire avec intention de causer la mort. » Dictionnaire Larousse: « Homicide volontaire. » Dictionnaire Le Robert : « Action de tuer volontairement un être humain. » Dictionnaire d’Antidote : « Crime d’une personne qui a tué volontairement un être humain. »
Les définitions du terme « meurtre » ont toutes une chose en commun : la notion de tuer volontairement.
Il est vrai que les termes « meurtre » et « homicide » sont parfois interchangeables. Par exemple, un homicide peut être qualifié de meurtre s’il est volontaire. Les deux termes sont alors synonymes. Cependant, un homicide peut aussi être involontaire; dans ce cas, il ne peut être qualifié de meurtre.
Comme le signale le Conseil dans la décision D2017-03-051, les journalistes et les médias doivent « peser l’emploi des mots qu’ils utilisent, être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements ».
Dans le cas présent, l’utilisation du terme « meurtre » induit le public en erreur, car il donne aux faits relatés une signification qu’il est prématuré d’établir. Au moment où l’article a été publié en français, on ne savait pas si le policier avait eu l’intention de tuer le fugitif. Le procureur n’avait d’ailleurs pas encore pris de décision quant au type d’accusation qui serait approprié dans les circonstances. Nous ne savions pas, à l’époque, par exemple, si au moment de tirer, le policier avait l’intention de blesser le fugitif afin qu’il ne puisse plus courir, sans pour autant vouloir le tuer. Il était donc inexact d’employer le terme « meurtre » à ce stade qui implique l’intentionnalité de tuer.
De plus, comme le souligne le plaignant, l’emploi erroné du terme « meurtre » avant que l’enquête ne fasse la lumière sur cet homicide était susceptible d’« alimenter ainsi les tensions qui existent déjà » dans la communauté au sujet des corps policiers.
Au sujet de la traduction de l’article original de la dépêche, le représentant de La Presse canadienne explique que « tous les dictionnaires anglais-français offrent le mot “meurtre” comme première option de traduction pour le mot “killing”, employé dans l’article original. »
Le mot « killing » signifie causer la mort (« killing: to cause death », selon le dictionnaire Merriam-Webster). Encore une fois, le terme « meurtre » peut parfois être utilisé pour traduitre killing, si l’intention de tuer est connue. Cependant, dans l’article en cause, le terme « homicide » était plus approprié pour qualifier la mort de l’homme que le policier a tué, puisqu’un homicide peut être volontaire ou non, alors qu’un meurtre est toujours, par définition, intentionnel.
Grief 2 : partialité
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : c) impartialité : absence de parti pris en faveur d’un point de vue particulier. » (article 9 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause font preuve de partialité en employant le terme « meurtre » dans le passage suivant : « Le meurtre de l’homme noir de 27 ans lors d’une rencontre avec deux officiers blancs vendredi soir a ravivé les manifestations à Atlanta et a provoqué la démission de la cheffe de police. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de partialité, car ils jugent que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 9 alinéa c du Guide.
Analyse
Eric Thomas considère que « l’utilisation du terme meurtre indique une partialité dans un texte qui se veut impartial. » L’emploi de ce terme, ne témoigne cependant pas d’un parti pris des mis en cause en faveur d’un point de vue que le plaignant ne spécifie pas. Il s’agit d’une malencontreuse erreur de traduction, certes regrettable, mais qui ne démontre pas de partialité de la part des mis en cause.
De plus, d’autres termes sont utilisés dans l’article en cause pour décrire ce fait divers : « arrestation mortelle », « [il] tombe, blessé mortellement », « coups de feu mortels », « usage de la force létale ». Ces expressions, comme l’article dans son ensemble, ne prennent pas parti en faveur d’une opinion ou d’une autre au sujet des événements relatés.
Grief 3 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont exagéré ou interprété abusivement la portée réelle des faits rapportés en employant le terme « meurtre » dans le passage suivant : « Le meurtre de l’homme noir de 27 ans lors d’une rencontre avec deux officiers blancs vendredi soir a ravivé les manifestations à Atlanta et a provoqué la démission de la cheffe de police. »
Décision
Le Conseil de presse rejette le grief de sensationnalisme, car il juge que les mis en cause n’ont pas contrevenu à l’article 14.1 du Guide
Analyse
Eric Thomas affirme que « l’utilisation de ce terme verse directement dans le sensationnalisme » et qu’il est « utilisé afin d’exagérer le fait d’avoir causé la mort de la victime. »
Bien que l’emploi du terme « meurtre » soit inexact, il ne démontre pas d’interprétation abusive de la part des mis en cause. Comme indiqué au précédent grief, il s’agit d’une erreur de traduction au sein d’un article pondéré au sujet de l’homicide d’un homme noir par un policier blanc dans le contexte du mouvement « Black Lives Matter ». Le Conseil n’y voit pas de sensationnalisme.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte d’Eric Thomas contre l’article intitulé « Nouvelles vidéos de l’arrestation mortelle à Atlanta », rédigé par La Presse canadienne, publié le 14 juin 2020 sur le site Internet du quotidien La Presse concernant le grief d’information inexacte et blâme La Presse canadienne et le quotidien La Presse. Bien que cités par le plaignant, les deux journalistes Russ Bynum et Brynn Anderson ainsi que l’agence Associated Press ne sont pas mis en cause, car la plainte concerne uniquement la version traduite en français de leur article original.
Le Conseil de presse du Québec rejette les griefs de partialité et de sensationnalisme.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Charles-Éric Lavery
Représentants des journalistes :
Denis Couture
Mélissa Guillemette
Représentants des entreprises de presse :
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier