Plaignant
Alexandre Filion
Philippe Dessaulles
Mis en cause
Yves Poirier, journaliste
Station télévisée LCN
Groupe TVA
Résumé de la plainte
Alexandre Filion et Philippe Dessaulles déposent une plainte le 14 novembre 2020 au sujet de l’intervention en direct du journaliste Yves Poirier, qui couvrait une présumée prise d’otages chez Ubisoft et diffusée sur LCN, le 13 novembre 2020. Les plaignants déplorent un manque de prudence dans la couverture d’une affaire policière et du harcèlement.
CONTEXTE
Les plaintes portent sur une portion de la couverture en direct de ce que l’on croyait être une prise d’otages dans les bureaux d’Ubisoft, à Montréal. Un appel reçu au 911 signalant la présence d’assaillants dans les bureaux de la compagnie de jeux vidéo a déclenché une vaste opération policière. Les policiers ont finalement conclu qu’il s’agissait d’un canular, mais cette information n’était pas connue au moment de la diffusion de l’intervention du journaliste.
Le segment visé par les plaintes est précédé d’images montrant des employés de l’entreprise barricadés sur le toit du bâtiment. Au cours de son intervention, le journaliste, qui est sur les lieux, décrit le déploiement des secours et tente d’obtenir des informations auprès des ambulanciers et des passants.
Les plaintes visent le moment où le journaliste se dirige vers une ambulance et ouvre la porte latérale afin d’obtenir de l’information de la part d’un ambulancier qui vient de monter dans le véhicule.
Analyse
GRIEFS DES PLAIGNANTS
Grief 1 : manque de prudence dans la couverture d’une affaire policière
Principe déontologique applicable
Information judiciaire : « Les journalistes et les médias d’information font preuve de prudence et d’équité en matière de couverture des affaires judiciaires et policières, étant donné l’importance des conséquences qui peuvent résulter de cette couverture. » (article 20 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste a manqué de prudence dans la couverture d’une affaire policière en ouvrant la porte d’une ambulance.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de manque de prudence dans la couverture d’une affaire policière.
Analyse
Alexandre Filion considère que le journaliste a manqué de « respect » pour le travail des ambulanciers en ouvrant « la porte de l’ambulance pour regarder et filmer à l’intérieur sans aucune autorisation ».
Pour déterminer si le journaliste a manqué de prudence dans la couverture de cette intervention policière, il est important d’en examiner le contexte. Lorsque le journaliste apparaît à l’écran, en direct, il marche au milieu de la rue vers une ambulance, où l’on peut voir un ambulancier qui y monte par la porte latérale. Tout en se déplaçant, le journaliste explique : « C’est pas banal, Julie, ils sont munis de vestes pare-balles. Je vais juste essayer de m’adresser justement à l’un d’entre eux qui vient d’entrer voir. » Le journaliste cogne à la porte de l’ambulance puis ouvre la porte. Il se trouve alors partiellement caché par la porte dont le battant s’ouvre vers la caméra. Le caméraman ne filme que le journaliste et non l’intérieur de l’ambulance. Le journaliste dit alors : « Excusez-moi de vous déranger, c’est Yves Poirier, TVA. »
Sans qu’on ne le voit à l’écran, on entend l’homme à l’intérieur du véhicule dire : « Non! Merci! » Le journaliste referme immédiatement la porte de l’ambulance et poursuit son chemin en disant à la caméra : « Bon OK, parfait. On est en opération ici. »
Alors que M. Filion affirme que le journaliste ouvre la porte de l’ambulance « pour regarder et filmer à l’intérieur », le visionnement de l’extrait visé permet de constater qu’à aucun moment le téléspectateur n’a pu voir l’intérieur de l’ambulance puisque la caméra ne filme pas l’intérieur du véhicule d’urgence.
Il est également important de souligner qu’au moment où le journaliste tente d’obtenir des informations de la part de l’ambulancier, le véhicule se trouve à l’extérieur du périmètre de sécurité établi par les policiers. Il ne nuisait donc pas à l’intervention policière en cours.
Bien que la démarche du journaliste puisse paraître déplacée, il n’a pas fait preuve d’un manque de prudence qui aurait pu avoir des conséquences sur l’opération policière en cours. Les démarches de collecte d’information d’Yves Poirier n’ont pas entravé le travail des services d’urgence. Lorsque l’ambulancier a refusé de lui parler, le journaliste a refermé la porte du véhicule sur le champ et s’en est éloigné.
Grief 2 : harcèlement
Principe déontologique applicable
Chantage et intimidation : « Les journalistes et les médias d’information ne se livrent pas à du chantage, de l’intimidation ou du harcèlement envers leurs sources d’information. » (article 23 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le journaliste s’est livré à du harcèlement envers les ambulanciers.
Décision
Le Conseil rejette le grief de harcèlement.
Analyse
Philippe Dessaulles déplore que le journaliste ait « traversé le périmètre de sécurité pour aller questionner les ambulanciers (…) en ouvrant lui-même la porte du véhicule afin de harceler les ambulanciers pour de l’information. »
Le verbe « harceler » comporte une notion de répétition, comme le démontre la définition présentée par le dictionnaire Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales : « Fatiguer quelqu’un par des demandes, des questions, des prières, des sollicitations, des attentions réitérées. » Or, rien dans l’extrait visé par la plainte ne témoigne d’un comportement harcelant ou insistant de la part du journaliste.
Lorsque l’ambulancier lui répond « Non, merci », le journaliste n’insiste pas. Au contraire, il referme la porte de l’ambulance en affirmant : « Bon OK, parfait. On est en opération ici. »
Dans le dossier D2019-11-156, le Conseil a également rejeté le grief de harcèlement parce qu’il n’avait constaté aucun manquement. Dans ce dossier, le plaignant estimait que le journaliste l’avait harcelé parce qu’il s’était présenté à sa résidence pour le « bombarde[r] de questions ». Le Conseil a souligné que le plaignant ne démontrait pas que « cette visite du journaliste à son domicile constitue du harcèlement ». Il a ajouté : « Le fait que le journaliste ait passé plusieurs appels au plaignant restés sans réponse et qu’il se soit ensuite déplacé à son domicile pour l’interroger sur une image le montrant dans un cercueil ne constitue pas du harcèlement. Au contraire, [le journaliste] n’a fait que son devoir en tentant d’obtenir la version du principal intéressé dans cette affaire ». Dans le cas présent, on ne saurait voir une quelconque forme de harcèlement dans le fait de tenter de collecter de l’information sur le terrain et d’avoir accepté le refus de l’ambulancier de répondre.
De plus, contrairement à ce que M. Dessaulles affirme, le journaliste n’a pas outrepassé le périmètre de sécurité établi par les policiers. Lorsque le journaliste se déplace vers l’ambulance, on constate que la circulation n’est pas limitée aux véhicules d’urgence. Par la suite, il se dirige vers le trottoir pour interroger des passants qui se trouvent également à l’extérieur de la zone réservée aux services d’urgence puisque l’on peut voir le cordon de sécurité derrière eux.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer de LCN, qui n’est pas membre du Conseil de presse et n’a pas répondu à la présente plainte.
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette les plaintes d’Alexandre Filion et Philippe Dessaulles au sujet de l’intervention en direct du journaliste Yves Poirier qui couvrait une présumée prise d’otages chez Ubisoft, diffusée sur LCN. Les plaignants déploraient un manque de prudence dans la couverture d’une affaire policière et du harcèlement.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Richard Nardozza, président du comité des plaintes
François Aird
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Jed Kahane
Yann Pineau