Plaignant
Sarah Som
Mis en cause
Mario Dumont, animateur
Émission « Mario Dumont »LCN
Groupe TVA
Québecor Média
Résumé de la plainte
Sarah Som dépose une plainte le 28 mars 2021 au sujet de l’entrevue « Un “afflux incomparable” de personnes à la frontière de Lacolle » de l’animateur Mario Dumont diffusée dans le cadre de l’émission « Mario Dumont », le 26 mars 2021 sur les ondes de la chaîne de télévision LCN. La plaignante déplore de l’information inexacte, du sensationnalisme, un manque de fiabilité des informations transmises par une source et de la discrimination.
CONTEXTE
Au moment de la diffusion en direct de cette émission, d’importantes mesures sanitaires sont en place afin de limiter la propagation de la COVID-19. Dans le segment de l’émission visée par la plainte, l’animateur Mario Dumont fait état d’un rapport de la vérificatrice générale qui critique l’Agence de santé publique du Canada chargée du respect de la quarantaine imposée aux voyageurs entrant au Canada. L’animateur discute de la situation avec Jean-Pierre Fortin, président du Syndicat des douanes et de l’immigration, qui dénonce le manque de suivi de la part des agents de l’Agence de santé publique. M. Fortin affirme qu’au cours des jours précédents, les membres de son syndicat ont constaté une augmentation significative du nombre de voyageurs entrant au Canada. Cette situation coïncide avec le début de la Pâque juive.
Analyse
PRINCIPE DÉONTOLOGIQUE RELIÉ AU JOURNALISME D’OPINION
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte, rigoureuse dans son raisonnement et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
GRIEFS DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : information inexacte
Principes déontologiques applicables
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité ». (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Illustrations, manchettes, titres et légendes : « Le choix et le traitement des éléments accompagnant ou habillant une information, tels que les photographies, vidéos, illustrations, manchettes, titres et légendes, doivent refléter l’information à laquelle ces éléments se rattachent. » (article 14.3 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le média a transmis de l’information inexacte au sujet du nombre de juifs ayant traversé la frontière dans le sous-titre « 8000 juifs en 48 heures à la frontière » publié à l’écran en surimpression des images télévisuelles. Mario Dumont n’est pas mis en cause pour ce grief d’information inexacte parce que les titres et sous-titres présentés à l’écran durant une entrevue ou un reportage relèvent de la responsabilité du média et non des journalistes qui sont en ondes.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’information inexacte.
Analyse
La plaignante estime que le sous-titre : « 8000 juifs en 48 heures à la frontière » est inexact. Elle précise que « c’est 7557 personnes qui sont entrées au Québec, tous postes, origines, appartenances religieuses, et raisons confondus ».
Ce passage de la plainte vise le sous-titre intégré dans l’image. Dans le milieu télévisuel, ce procédé est aussi appelé « super » ou « surimpression ». Les supers sont généralement ajoutés par une personne en régie durant la diffusion d’une entrevue, d’un bulletin de nouvelles ou un reportage ou programmés par l’équipe de mise en ondes.
L’information présentée dans ce sous-titre est effectivement inexacte. Alors qu’au cours de l’entrevue, le président du Syndicat des douanes et de l’immigration, Jean-Pierre Fortin, et l’animateur Mario Dumont parlent à plusieurs reprises de 8000 personnes entrées au Canada par le poste-frontière de Lacolle, le sous-titre indique erronément : « 8000 juifs en 48 heures à la frontière » plutôt que 8000 « personnes ».
L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) a indiqué, quelques heures après la diffusion de l’entrevue, que « l’information rapportée n’est pas exacte. Les 24 et 25 mars 2021, un total de 7557 voyageurs sont entrés par un des points d’entrée situés au Québec. » Bien que le nombre de voyageurs ait été arrondi dans le sous-titre en surimpression, cela ne constitue pas en soi un manquement. L’inexactitude concerne plutôt le fait qu’on ait indiqué que les voyageurs étaient de confession juive. Même si le président du Syndicat faisait un lien entre la Pâque juive et l’afflux de voyageurs à la frontière, on ne pouvait conclure, comme le fait le sous-titre, que tous les voyageurs étaient de confession juive, d’autant plus que la porte-parole de l’ASFC, Judith Gadbois-St-Cyr, explique que l’Agence « ne recueille pas de données sur l’appartenance religieuse des voyageurs ».
Dans le dossier D2019-03-041, le Conseil a également retenu un grief d’information inexacte, parce qu’il a constaté que le titre de l’article en cause – « Les plus hautes et plus rapides montagnes russes au monde seront canadiennes » – était erroné. La décision indique que « les recherches du Conseil ont permis de constater que, contrairement à ce qu’avance l’article, à ce jour, les montagnes russes les plus hautes, toutes catégories confondues, sont, comme l’affirme le plaignant, le Kingda Ka aux États-Unis avec 139 mètres. Le nouveau Yukon Striker canadien mesure 75 mètres. »
Pareillement dans le cas présent, l’information présentée dans le sous-titre n’étant pas fidèle à la réalité, le grief d’information inexacte est retenu.
Grief 2 : sensationnalisme
Principe déontologique applicable
Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si le sous-titre en surimpression « 8000 juifs en 48 heures à la frontière » déforme la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits. L’animateur de l’émission n’est pas mis en cause parce que les sous-titres présentés à l’écran durant une entrevue ou un reportage relèvent de la responsabilité du média et non de l’animateur qui est en ondes.
Décision
Le Conseil rejette le grief de sensationnalisme.
Analyse
La plaignante considère que l’information contenue dans le sous-titre « 8000 juifs en 48 heures à la frontière » « n’a que pour but d’attirer l’attention ».
Bien qu’il y ait une erreur de fait dans le sous-titre, tel que conclu au grief précédent, cette inexactitude publiée à l’écran lors du direct pouvait être une simple erreur d’inattention. On ne peut conclure ici à une exagération ou une interprétation abusive des événements ayant pour objectif de faire sensation.
Par ailleurs, bien que la plaignante estime que ce super « n’a que pour but d’attirer l’attention », la nature d’un titre est généralement d’attirer l’attention vers une nouvelle afin que le public en prenne connaissance. Le fait qu’un titre, ou dans le cas présent un sous-titre, attire l’attention du public ne signifie pas nécessairement qu’il est sensationnaliste, comme le rappellent plusieurs décisions antérieures du Conseil. Dans la décision D2018-01-004 notamment, le Conseil a souligné qu’il est « important de distinguer un titre accrocheur d’un titre sensationnaliste, en termes de déontologie journalistique. Un titre rédigé pour attirer l’attention du lecteur n’est pas sensationnaliste à moins qu’il ne déforme les faits. Le sensationnalisme implique une exagération abusive ou une interprétation qui ne représente pas la réalité. »
Dans le cas présent, bien qu’il était faux d’inscrire dans le sous-titre que « 8000 juifs » traversaient la frontière à la veille de la Pâque juive étant donné qu’on ne connaissait pas la confession de chacune de ces personnes, cette erreur de fait n’était pas rapportée dans la discussion. Le sous-titre pouvait donc comporter une simple faute d’inexactitude sans être de nature sensationnaliste.
Grief 3 : manque de fiabilité des informations transmises par une source
Principe déontologique applicable
Fiabilité des informations transmises par les sources : « Les journalistes prennent les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources, afin de garantir au public une information de qualité. » (article 11 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont pris les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par Jean-Pierre Fortin.
Décision
Le Conseil rejette le grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source.
Analyse
La plaignante déplore que « la personne interviewée, M. Jean-Pierre Fortin, représente le syndicat des douanes et de l’immigration. Malheureusement au lieu de présenter des données officielles, celui-ci a présenté des ouï-dire des membres du syndicat. » Elle ajoute : « M. Fortin s’est permis de faire des liens de cause à effet sans preuve, c’est-à-dire, que c’est la Pâque et la possibilité d’avoir des rassemblements jusqu’à 250 personnes qui expliquent cet afflux de personnes aux postes frontaliers ».
L’analyse d’un grief de manque de fiabilité des informations transmises par une source consiste à déterminer non pas la fiabilité d’une personne à titre d’individu, mais plutôt la fiabilité des informations qu’elle avance. Cette fiabilité peut-être évaluée selon les connaissances ou l’expérience de la personne, par exemple, ou selon son rôle à titre de témoin d’un événement, ou de porte-parole d’un organisme lié à la nouvelle. La déontologie rappelle que les journalistes doivent prendre les moyens raisonnables pour évaluer la fiabilité des informations transmises par leurs sources.
La plaignante ne précise pas quelles sont les données transmises par M. Fortin qui ne seraient pas officielles, mais lorsqu’elle parle « des ouï-dire des membres du syndicat », on peut comprendre qu’il s’agit des 8000 personnes ayant traversé la frontière puisque M. Fortin indique que cette information provient des « estimations des agents à qui j’ai parlé hier ».
Bien que les données présentées par M. Fortin soient moins précises que celles de l’Agence des services frontaliers du Canada, l’animateur n’avait pas de raison de douter de la fiabilité des informations transmises par le président du Syndicat des douanes et de l’immigration, qui rapportait les observations de ses membres. En raison de sa position, il était bien placé pour partager les informations dont il avait connaissance.
Grief irrecevable : discrimination
« Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis.
Une plainte ne doit pas constituer simplement un commentaire ou une critique générale, ni une interprétation de ce qui a été rapporté ou écrit. » (articles 13.01 et 13.02 du Règlement No 2)
La plaignante considère que « les informations et opinions véhiculées ne font que stigmatiser et fomenter la haine envers les communautés juives, puisque ce n’est pas tous les Juifs (ni tous les Juifs hassidiques) qui refusent de respecter les mesures sanitaires. » Cependant, elle ne pointe pas quels termes propageraient un tel préjugé. De plus, ni Mario Dumont ni le président du Syndicat n’affirment que les juifs ne respectent pas les mesures sanitaires, contrairement à ce qu’avance la plaignante.
En raison de cette interprétation, des propos de M. Dumont et de ceux de son invité, le grief de discrimination n’est pas recevable.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Sarah Som visant l’entrevue « Un “afflux incomparable” de personnes à la frontière de Lacolle » diffusée lors de l’émission « Mario Dumont » et blâme LCN concernant le grief d’information inexacte dans le sous-titre. Cependant, il rejette les griefs de sensationnalisme et de manque de fiabilité des informations transmises par une source. Le grief de discrimination est jugé irrecevable.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
François Aird, président du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentants des journalistes :
Simon Chabot-Blain
Lisa-Marie Gervais
Représentants des entreprises de presse :
Marie-Andrée Chouinard
Jean-Philippe Pineault