Plaignant
Nancy Courchesne
Mis en cause
Suzanne Colpron, journaliste
Le quotidien La Presse
Résumé de la plainte
Nancy Courchesne dépose une plainte le 28 septembre 2021 au sujet de l’article « Pas un cas isolé » de la journaliste Suzanne Colpron, publié dans La Presse le 25 septembre 2021. La plaignante déplore un manque d’équilibre. Les autres griefs avancés par la plaignante sont irrecevables pour imprécision et ne seront pas traités par le Conseil (Règlement No 2, article 13.01).
CONTEXTE
Cet article publié dans La Presse du 25 septembre 2021 sous la plume de Suzanne Colpron fait suite à une chronique d’Isabelle Hachey parue la veille et intitulée « Protéger les élèves hors des écoles… et dedans aussi ». Au moment de la publication, à l’automne 2021, le Québec était aux prises avec la pandémie de COVID-19 depuis environ un an et demi, le variant Delta venait de faire son apparition, et un débat à propos des mesures sanitaires à appliquer dans les écoles – telles que le port obligatoire du masque et la nécessité ou non d’exiger la vaccination des enseignants – avait lieu dans l’espace public.
Dans l’article visé par la plainte, il est question de divers enseignants ou membres de la direction d’écoles québécoises qui ne respectent pas les mesures sanitaires ou qui se disent « antivaccins ». La journaliste rapporte notamment que la directrice de l’école primaire Montessori de Chelsea, Nancy Courchesne, qui est aussi la plaignante dans ce dossier, « relaie sur Facebook des publications antivaccins et antimasques dans un français truffé de fautes ». Deux publications qui auraient été retransmises par la plaignante sur sa page Facebook personnelle sont décrites dans l’article.
Analyse
GRIEF DE LA PLAIGNANTE
Grief 1 : manque d’équilibre
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : d) équilibre : dans le traitement d’un sujet, présentation d’une juste pondération du point de vue des parties en présence. » (article 9 d) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir d’équilibre dans la portion de l’article qui concerne Nancy Courchesne.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief de manque d’équilibre, car il estime que Suzanne Colpron et La Presse ont contrevenu à l’article 9 d) du Guide.
Analyse
Nancy Courchesne déplore que la journaliste Suzanne Colpron ne lui ait pas donné l’occasion d’exprimer son point de vue alors que l’article constitue « une attaque » contre ses partages personnels sur Facebook et que cela n’a aucun lien avec l’école Montessori de Chelsea dont elle est la directrice. « Nous n’avions eu aucun cas de COVID dans notre école en 2021 et nous sommes un[e] des seul[e]s [écoles] qui avaient zéro cas de COVID dans l’Outaouais en septembre 2021. Nous avons toujours suivi toutes les mesures sanitaires et la journaliste aurait été au courant si elle m’avait joint comme elle devait le faire. » Mme Courchesne affirme que la journaliste lui a laissé un message vocal le vendredi 24 septembre au numéro de téléphone général de l’école et qu’elle a publié son article « à minuit », avant qu’elle ait pu la rappeler. « Elle n’a jamais mentionné d’où elle téléphonait. Quand j’ai rappelé samedi matin, elle n’a pas donné suite. »
La plaignante explique au sujet des publications Facebook dont il est question dans l’article : « [En] aucun cas, je [ne] parle d’antivaccin ou [d’]antimasque. En tant que maman j’ai le droit de ne pas être d’accord que mon enfant de 6 ans porte un masque [pendant] 8 heures dans une classe. Mais est-ce que mes enfants ont porté le masque? Oui, il et elles l’ont porté comme tous les enfants de l’école et nous avons suivi toutes les recommandations du gouvernement. » On peut notamment lire dans l’article : « Le 2 septembre, elle a fait partager un montage vidéo où le premier ministre François Legault et le directeur national de santé publique du Québec, Dr Horacio Arruda, demandent de ne pas utiliser de masques à des fins préventives, lors de la première vague de la pandémie de COVID-19. “J’ai jamais vu autant de contradiction ! Ils le disent eux même et on force des enfants a porter ca 8 hrs [sic]”, écrit-elle. »
Les mis en cause soutiennent que l’article « visait à informer les lecteurs de La Presse de situations troublantes au sujet de l’application des mesures sanitaires dans les écoles qui avaient été rapportées par des parents et professeurs inquiets suite à la publication de la chronique de Mme Hachey [“Protéger les élèves hors des écoles… et dedans aussi”] ». Ils avancent également que « les paragraphes du texte qui portent sur Mme Courchesne décrivent de façon factuelle le contenu de sa page Facebook ou encore la réaction d’un parent de l’école Montessori aux publications de Mme Courchesne. Ainsi, cette portion du reportage n’exigeait aucune vérification additionnelle, puisque le contenu de la page Facebook de Mme Courchesne était accessible au moment de la publication et que son auteure était clairement identifiée. »
Or, c’est justement parce que l’article portait sur des « situations troublantes » et que Mme Courchesne était pointée du doigt par la mère d’un ancien élève qu’il était essentiel que Mme Colpron fasse les démarches nécessaires pour joindre la directrice d’école. Puisque cet article faisait suite à une chronique qui traitait de la gestion des mesures sanitaires, et que la journaliste y qualifie les publications Facebook de Mme Courchesne d’antimasques et antivaccins, il fallait avoir le point de vue de la directrice de l’école Montessori. Suzanne Colpron écrit : « À Chelsea, près de Gatineau, la directrice de l’école primaire Montessori, Nancy Courchesne, relaie sur Facebook des publications antivaccins et antimasques dans un français truffé de fautes. » Contrairement à ce qu’avancent les mis en cause, les publications de la plaignante sur Facebook ne sont pas simplement décrites « de façon factuelle ».
Plus loin, la journaliste écrit : « Une mère, qui a requis l’anonymat pour protéger l’identité de son enfant ayant fréquenté cette école privée, s’interroge : “Comment est-ce possible qu’une telle personne assure la gestion d’un établissement scolaire?” ». Ces propos laissent planer des soupçons évidents quant à la manière dont les mesures sanitaires ont été appliquées à l’école Montessori de Chelsea à l’automne 2021. C’est pourquoi il était impératif d’inclure le point de vue de Nancy Courchesne dans le texte. Le cœur de l’article porte sur la façon dont on applique les mesures sanitaires dans les écoles et on ne permet pas à la personne visée par ces allégations de s’expliquer. La journaliste aurait dû permettre à Mme Courchesne de présenter sa gestion des mesures sanitaires, en tant que directrice de l’école.
Les mis en cause expliquent que « Mme Colpron a téléphoné à Mme Courchesne aux alentours de midi dans la journée du 24 septembre 2021 au numéro de téléphone qui apparaissait sur le site Internet de l’école Montessori […]. Or, il appert que Mme Courchesne n’a pas été en mesure de retourner l’appel avant la publication du texte. »
La journaliste, en se contentant de laisser un message dans la boîte vocale générale de l’école, un vendredi après-midi, alors qu’il y avait d’autres manières de tenter de joindre Mme Courchesne, notamment sur Facebook et à l’adresse courriel mentionnée sur le site Web de l’école, n’a pas pris les moyens raisonnables pour obtenir la version des faits de Mme Courchesne. De plus, Mme Colpron n’a jamais répondu à cette dernière après qu’elle l’eut rappelée le lendemain. Compte tenu du contexte, et bien que les mis en cause affirment que cet article devait paraître « de manière contemporaine » à la chronique d’Isabelle Hachey, il n’y avait pas de réelle urgence à le publier sans le point de vue de la plaignante.
Les efforts déployés par la journaliste Suzanne Colpron pour recueillir les propos de Nancy Courchesne ont été insuffisants, tout comme le délai de réponse qui lui a été accordé. Tel que le rappelle la décision antérieure D2015-10-051, où la question du temps de réponse alloué était soulevée, « il est difficile de justifier, dans les circonstances, l’empressement que semble avoir eu le journaliste à publier ce texte, avant d’avoir pu parler au principal intéressé. En effet, considérant l’importance des accusations [de “faux avocat” formulées à son endroit] et le fait que la réputation du plaignant était en jeu, il était important d’obtenir le point de vue du plaignant, et le journaliste ne pouvait prétendre avoir satisfait à cette obligation en ne laissant que quelques heures au plaignant pour obtenir une réponse. » Pour les mêmes motifs, le Conseil retient le grief de manque d’équilibre dans ce dossier.
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Nancy Courchesne visant l’article « Pas un cas isolé », publié le 25 septembre 2021, et blâme la journaliste Suzanne Colpron et La Presse concernant le grief de manque d’équilibre.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public :
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Olivier Girardeau
Représentantes des journalistes :
Madeleine Roy
Paule Vermot-Desroches
Représentants des entreprises de presse :
Éric Grenier
Maxime Bertrand