Depuis de nombreuses années, le Conseil de presse du Québec et la Fédération professionnelle des journalistes du Québec dénoncent les saisies de matériel journalistique effectuées par divers corps policiers en vue d’élaborer ou de compléter les dossiers d’enquête susceptibles d’être déposés en preuve devant les tribunaux.
Pour mémoire, citons les quelques cas suivants :
- NOVEMBRE 1976 : saisie par la Sûreté du Québec de films, photos et autres documents appartenant à plusieurs médias ayant couvert une manifestation aux usines de l’Alcan à Arvida;
- JANVIER 1981 : saisie par la Sûreté du Québec, détachement de La Tuque, de films et de matériels cinématographiques appartenant à Radio-Québecdont une équipe préparait un reportage sur un conflit de travail à la Compagnie internationale de papier;
- MARS 1986 : saisie par la police de la Communauté urbaine de Montréal de films tournés par Télé-Métropolelors d’une manifestation au Consulat haïtien de Montréal;
- OCTOBRE 1986 : saisie par la Sûreté du Québec de bandes magnétoscopiques tournées dans le cadre d’une manifestation au Manoir Richelieu par une équipe de Radio-Canada(Québec);
- DÉCEMBRE 1986 : obligation faite au quotidien La Presse de remettre au coroner les photographies prises par le représentant du journal lors de la manifestation au cours de laquelle M. Gaston Harvey a perdu la vie.
Le Conseil de presse et la FPJQ ont également souligné à plusieurs reprises les dangers que présente, pour la liberté de presse et le droit du public à l’information, le recours par les instances judiciaires au témoignage de journalistes qui, ce faisant, peuvent être forcés de divulguer l’identité de leurs sources d’information.
De telles pratiques (saisies et témoignages des journalistes) ont inévitablement comme conséquence de priver la presse de sources d’information qui, rendues méfiantes, s’abstiendraient de communiquer des renseignements d’intérêt public. Par ailleurs, outre d’être perçue comme une menace par les gens qui font l’actualité, la presse pourrait également se refuser de couvrir certains événements de crainte que son travail ne serve à incriminer les personnes impliquées.
Déjà en 1981, le ministère de la Justice reconnaissait l’existence du problème en formant un groupe de travail chargé d’étudier les relations entre la presse et l’administration de la justice.
Dans son rapport publié en février 1984, ce groupe recommandait :
- Que le journaliste qui participe à la recherche d’information pour le compte d’une entreprise de presse ne puisse être contraint de témoigner sur les faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de cette fonction ni de divulguer la source de son information.
De même, que la personne qui a en sa possession pour le compte d’une entreprise de presse du matériel journalistique concernant de tels faits ne puisse être contrainte de le produire.
Cette immunité cesserait lorsqu’une partie démontrerait que la preuve de ces faits revêt une importance déterminante pour la solution du litige et qu’elle ne peut raisonnablement être obtenue autrement que par le témoignage du journaliste ou la production du matériel journalistique;
- Que lorsque le journaliste ou l’entreprise de presse ne sont pas impliqués dans la commission de l’infraction reprochée, le gouvernement prenne des dispositions, dans les limites de sa compétence, pour que les perquisitions en vue de la saisie de matériel journalistique pour les fins de poursuites criminelles n’aient lieu que très exceptionnellement, c’est-à-dire uniquement lorsqu’il n’existe pas d’autre alternative raisonnable.
Le Conseil de presse et la FPJQ avaient pris acte avec satisfaction de ces recommandations et le ministre de la Justice de l’époque, M. Marc-André Bédard, les avaient entérinées.
Un projet d’amendement à la Loi sur la presse avait été suggéré en novembre 1984 par le ministère pour concrétiser ces recommandations mais, à ce jour, aucune suite ne lui a été donnée.
À la lumière des événements récents et vu la répétition des pratiques que nous dénonçons depuis longtemps, nous vous demandons d’agir rapidement dans le sens de ces recommandations.
Déjà plusieurs États américains, les tribunaux de certaines provinces canadiennes et quelques pays européens accordent une certaine immunité aux journalistes qui, dans le cadre de leur travail, sont témoins d’événements dont les acteurs doivent par la suite faire face à des procédures judiciaires.
Il ne s’agit pas là d’une immunité absolue qui placerait les journalistes au-dessus des lois et qui en feraient des citoyens à part. Ce dont il est question, c’est d’une immunité relative, qui permettrait de concilier adéquatement droit à l’information et droit à une justice pleine et entière.
Il est essentiel qu’une telle protection existe pour que soient respectés, dans le cadre d’une société démocratique, le droit qu’a le public à être informé et, son corollaire, la liberté que doit avoir la presse d’informer la population.