La mise en demeure des procureurs du Journal de Montréal qui demandaient au Conseil de presse du Québec de suspendre son intervention dans la plainte de Gaétan Rivest contre ledit journal et son journaliste Michel Auger, nous a conduit à procéder à une étude de notre position dans ces cas qui sont de plus en plus nombreux au Conseil.
Le Conseil refusait auparavant de suspendre un dossier de plainte lorsqu’il lui était demandé de le faire pour le motif qu’il y avait parallèlement une poursuite au civil. Le raisonnement sous-jacent était que la finalité du tribunal d’honneur n’étant pas la même que les tribunaux civils, il pouvait rendre sa décision et ne pas se mettre à la remorque des jugements des tribunaux. Le Conseil allait de l’avant en faisant abstraction de toutes les procédures soumises aux tribunaux civils.
Le Conseil se doit aujourd’hui de réviser sa position à la lumière d’un jugement de la Cour d’appel du Québec dans l’affaire » Société Radio-Canada c. Radio Sept-Îles et als « . En effet, la Cour d’appel a décidé que la responsabilité des médias doit être assimilée à une responsabilité d’ordre professionnel, basée sur un critère de faute. Celui-ci doit faire appel au critère de la personne raisonnable œuvrant dans le secteur de l’information. La Cour d’appel rajoute que dans le cas d’un reportage, on doit rechercher si l’enquête préalable a été effectuée en prenant des précautions normales, en utilisant des techniques d’investigation disponibles traditionnellement employées. Il s’agit de déterminer si le média a procédé avec un soin raisonnable à la préparation de l’article ou du reportage. Il y aura faute s’il y a inexécution d’une obligation de diligence ou de moyen, comme cela arrive en responsabilité professionnelle. La faute n’aura ce caractère que si l’on retrouve une violation des standards professionnels de l’enquête et de l’activité journalistique. La Cour d’appel a analysé la démarche journalistique pour apprécier la responsabilité professionnelle.
Voici comment s’exprime la Cour d’appel :
« On se trouve beaucoup plus devant une responsabilité assimilable à la responsabilité professionnelle. Les médias ont pour fonction de rechercher, de traiter et de communiquer l’information. Ils ont aussi vocation à la commenter et à l’interpréter. Dans leur activité de recherche de l’information, leur responsabilité paraît essentiellement une responsabilité d’ordre professionnelle, basée sur un critère de faute. Celui-ci fait certes appel au critère de la personne raisonnable, mais œuvrant dans ce secteur de l’information. Dans le cas d’un reportage, il faut rechercher si l’enquête préalable a été effectuée en prenant des précautions normales, en utilisant des techniques d’investigation disponibles ou habituellement employées. On déterminera si l’on a procédé, en somme, avec un soin raisonnable à la préparation de l’article ou du reportage. L’on doit retenir alors quelques réalités ou difficultés du métier de journaliste ou d’informateur.
La faute ne se réduit pas à la seule publication d’une information erronée. Elle se rattache à l’inexécution d’une obligation de diligence ou de moyen, comme cela arrive fréquemment en responsabilité professionnelle. […] S’il y a atteinte à la réputation, cette atteinte ne peut être source de responsabilité civile que lorsqu’elle est fautive. Elle n’aura ce caractère que si l’on retrouve une violation des standards professionnels de l’enquête et de l’activité journalistique. On doit ainsi rechercher si les règles de prudence normale dans l’exercice de cette activité ont été respectées par les auteurs d’un reportage.
L’appréciation de la responsabilité d’une entreprise médiatique ou de l’un des ses journalistes ne s’arrête pas à la vérification, même minutieuse, de l’exactitude d’une information. Paraît alors appropriée l’approche suggérée par Nicole Vallières dans l’appréciation de la responsabilité de médias :
« Dans chaque cas concret, il s’agit de comparer la conduite de l’auteur du dommage avec la description de ce modèle de prudence. Les tribunaux devraient donc appliquer en matière journalistique ce critère traditionnel d’habileté et de prévoyance. »
Cette approche de la Cour d’appel rejoint en tous points la démarche du tribunal d’honneur quand il reçoit une plainte. Le Conseil pourrait se retrouver en violation de la règle du sub judice s’il poursuivait sa démarche alors qu’un litige est pendant devant les tribunaux civils. Sa décision pourrait avoir une influence sur le procès et constituerait une interférence indue et même illégale dans le processus judiciaire.
Par conséquent, par respect et déférence pour les tribunaux civils, le Conseil a décidé d’adopter la position suivante pour toutes les plaintes déjà soumises et celles à venir : devant la double démarche d’un plaignant, le Conseil lui demandera de choisir son recours. Si le plaignant maintient son recours au civil, le Conseil fermera son dossier.
À notre avis, cette position est conforme à l’obligation de respecter la règle du sub judice et le droit du plaignant de prendre le recours qu’il juge le plus approprié pour faire valoir ses prétentions.