Journalistes interdits à l’UdeM : un post mortem sera nécessaire, admet l’Université

Crédit photo: Uwe Hermann

À la tension s’est ajoutée la confusion, à l’Université de Montréal, le 28 août, quand la direction de l’institution a refusé aux journalistes l’accès à l’immeuble où s’était introduit le groupe tactique d’intervention du SPVM. Une décision qui méritera un examen post mortem, une fois la crise passée, admet le porte-parole de l’établissement.

Tout comme la veille, le Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) est intervenu sur le campus, avec le concours du groupe tactique d’intervention. La présence musclée des forces de l’ordre aurait fait grimper la tension, mardi.

« Le Service de police de la Ville de Montréal nous a recommandé de ne pas laisser entrer les journalistes, pour ne pas aggraver la situation, au moment où il y avait une activité policière », a expliqué Mathieu Filion, conseiller principal au service de relations médias de l’Université de Montréal, le lendemain des événements.

« C’était vraiment une situation sans précédent », souligne M. Filion. Est-ce que cela justifiait de barrer la route aux journalistes? « Il va falloir faire un post mortem de ce qui s’est produit. Je suis certain qu’on va en tirer des conclusions, mais à ce moment-ci, je ne peux pas répondre à cette question-là. On est encore en train de gérer cette crise-là. »

Confusion

En temps normal, « il faut une autorisation pour filmer des images à l’intérieur des pavillons, dit M. Filion. Pour plusieurs raisons, notamment parce qu’il y a des étudiants à l’intérieur qui sont en train d’étudier et pour qu’il n’y ait pas de perturbation. [Le 28 août] on a appliqué la même politique, c’est juste que le délai de réponse a été plus long qu’à l’habitude. »

Le porte-parole ne nie toutefois pas qu’il y ait eu une décision formelle, prise par la haute direction de l’institution, de maintenir les journalistes à l’extérieur du pavillon Jean-Brillant, dans lequel les policiers s’affairaient.

Il souligne cependant que les représentants des médias auraient dû avoir plus rapidement l’autorisation de franchir à nouveau le seuil de l’immeuble.

« Il y a eu une petite confusion: c’est que suite à ça [l’opération policière], on aurait pu laisser entrer les journalistes, mais on croyait que la police nous demandait de ne pas les laisser entrer. Ce que je disais aux journalistes qui étaient devant moi, c’est que je tentais d’obtenir l’autorisation pour les laisser entrer. Plusieurs journalistes ont quitté avant que je puisse obtenir une autorisation. Et certains journalistes sont entrés par la suite. »

Béton gênant

« Il faut comprendre aussi que le pavillon où ça se passait, c’est un pavillon de béton où les communications sont très difficiles. J’étais incapable de rejoindre les gens à l’intérieur pendant un moment, parce que les lignes cellulaires ne rentraient pas. »

Cette particularité a également gêné le travail des policiers, qui devaient gérer une situation complexe, fait valoir le sergent Laurent Gingras, porte-parole du SPVM. Dans une situation comme celle qui prévalait le 28 août, la présence de journalistes constitue un désavantage tactique, dit-il en somme.

« Dans ce genre de situation, on a à considérer l’impact opérationnel d’avoir la présence de journalistes sur les lieux. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux, avec les téléphones intelligents, avec Twitter, que les journalistes puissent filmer, que nos déplacements puissent être filmés à l’intérieur d’un établissement ou d’un local, c’est sûr que ça rend les choses difficiles pour nous.

« Je vais vous donner un cas fictif: on se fait filmer en train d’entrer dans un local X et les étudiants qui sont là se font envoyer des messages texte ou voient carrément sur leur téléphone qu’on se déplace à cet endroit : ils se déplacent dans un autre local et là ils font du trouble, et nous on arrive au local X et il n’y a plus personne. On est obligés de jouer au chat et à la souris à l’intérieur. Et on parle quand même d’un campus assez grand, à l’intérieur de l’Université de Montréal.

« Nous, c’est sûr qu’on veut avoir l’effet de surprise. Mais ce n’est pas à nous de prendre cette décision. Nous autres, on a un rôle de conseil, dans les événements qui se passent avec la rentrée universitaire et les étudiants. Si la direction de l’Université avait décidé de laisser les journalistes entrer à l’intérieur, nous, comme service de police, on ne pouvait pas les empêcher de le faire. »

Maintenir le calme

Selon Mathieu Filion, d’autres considérations ont motivé la décision de la haute direction. « On ne voulait pas perturber davantage les corridors où les cours se donnaient. On avait trois ou quatre cours qui étaient touchés par une perturbation, où il y avait du grabuge dans les corridors, et dans la bâtisse il se donnait près d’une centaine de cours. On voulait préserver un lieu où on pouvait donner de l’enseignement à nos étudiants. »

Quoique que la rentrée se soit effectuée plus calmement à l’UQAM, où l’on n’a pas eu recours aux services policiers, la porte-parole de cette université, Jenny Desrochers, ne cache pas avoir découragé la présence de journalistes dans les immeubles. « Ce qu’on ne souhaite pas, surtout avec les caméramans, c’est qu’on filme dans les classes où il y a levée de cours. Le climat est tendu. Ajoutons une caméra de télé à ça… Moi, je donne la consigne, juste pour éviter d’ajouter au climat. Mais on n’est pas dans l’interdiction de la présence de journalistes. »

Mme Desrochers concède qu’elle ne peut s’assurer que la consigne soit suivie sur le terrain et que de nombreux journalistes ont tout de même pénétré dans les pavillons de l’UQAM, dès le 27 août. « Je ne vais tout de même pas passer à travers les manifestants pour les en empêcher! »

À l’UQAM, comme à l’Université de Montréal, c’est surtout la présence de caméras qui est balisée, même en temps de « paix ». « Dans un contexte normal, on n’a pas besoin d’autorisation pour faire un vox pop sur le campus, illustre Jenny Desrochers. Mais quand les agents de sécurité voient une caméra, souvent, ils vont dire de m’appeler. » La plupart du temps, les consignes se limitent à des règles de sécurité, comme de s’assurer que le filage des équipes de télévision ne soit pas une entrave à la circulation des personnes, assure-t-elle. Règle générale, « on est des facilitateurs ».

Mais en temps de crise, des zones grises se dessinent. Invitée à donner un exemple où la décision d’empêcher l’accès aux journalistes serait prise, Mme Desrochers hésite avant de s’avancer. « Je pense à une situation comme Dawson, où il y aurait du sang, des morts. Avant que les policiers arrivent, et qu’il établissent un périmètre de sécurité, je pense qu’on les interdirait. »

Symbole

Mais la rentrée universitaire ne s’est pas faite dans le sang. Seulement, la tension du conflit étudiant, qui a pris des allures de mouvement social, au fil des mois, a migré de la rue vers l’intérieur des établissements d’études supérieures. Il fallait pouvoir témoigner de ces événements sans entrave, affirme Françoise Miquet, responsable de l’information au Syndicat des chargées et chargés de cours de l’Université de Montréal, (SCCCUM), qui fournit un soutien à ses membres dans le contexte de crise actuel. Avoir interdit l’entrée aux médias, « ce n’est pas une bonne décision », maintient-elle.

Mme Miquet a d’ailleurs joué la journaliste, mardi, pour alimenter la page Facebook de son syndicat. Prise en souricière par les policiers pendant vingt minutes dans une cage d’escalier, avec un groupe d’étudiants, elle dit avoir « ressenti une certaine peur. C’était très intense. Il faut absolument témoigner de ça. Il faut des observateurs. »

L’accès des médias et des journalistes à l’information est le premier principe abordé dans le document Droits et responsabilités de la presse, le document de référence du Conseil de presse du Québec. « Le libre accès des médias et des journalistes à l’information et à leurs sources est une condition essentielle à l’existence d’une presse libre et à la satisfaction et au respect du droit du public à l’information », peut-on y lire.

Dans une institution qui symbolise l’indépendance intellectuelle, entraver la liberté de presse frappe l’imaginaire. Le porte-parole de l’Université de Montréal ne nie pas la chose, mais laisse entendre que la direction a été dépassée par les événements.

« Vous savez, les universités, comme les grandes entreprises, ont toujours des plans de gestion de crise. Mais on ne s’attendait pas à ce genre d’événement-là, qui était une première à l’université. » La rétrospection à venir, dit Mathieu Filion, « on va juger quelles sont les meilleures pratiques pour nous. »