En France, un collectif de citoyens prônant la qualité de l’information réagit à l’immobilisme du politique et du milieu médiatique quant à la création d’une instance de déontologie journalistique. Un conseil de presse d’initiative citoyenne verra le jour en décembre prochain, promettent les Indignés du PAF.
« On existe depuis deux ans et demi. On se rend compte que ça n’avance pas », a déploré Philippe Guihéneuf, fondateur et porte-parole du collectif, lors d’une entrevue accordée au Magazine du CPQ. « On veut que quelque chose de fort se passe. »
Le 16 mai, devant le Sénat, les Indignés du PAF exprimaient leur intention de passer à l’action. « Nous avons décidé, si aucune initiative n’est prise avant la fin juin, de créer nous-mêmes pour la fin de l’année au plus tard, un » Conseil de presse d’initiative citoyenne » qui rassemblera un collège de citoyens n’appartenant pas au monde des médias et un autre de journalistes pour les conseiller. »
La fin juin est arrivée et Philippe Guihéneuf dit n’entretenir aucun espoir de voir les choses évoluer d’elles-mêmes.
Les astres sont donc alignés pour une action déjà toute dessinée : colloque de réflexion les 4 et 5 juillet à Paris; établissement du cahier des charges; constitution des équipes et du réseau national d’ici la fin de l’été; tests et rodage à l’automne. Le fil d’arrivée est fixé au 6 décembre, date où les Indignés souligneront leur troisième anniversaire.
D’ici là, tout est à bâtir. Le noyau du projet résidera dans une plateforme internet collaborative, qui deviendra à la fois un lieu d’échange d’idées et de suivi des travaux du futur conseil, lequel se saisira de cas de dérives déontologiques et rendra des décisions.
Un engagement sans suite
L’initiative des Indignés s’inscrit à la suite de l’effilochement, ces derniers mois, de l’espoir de voit naître un conseil de presse dans l’Hexagone. En avril 2013, le Parti socialiste s’engageait à créer un conseil de presse et une charte déontologique.
En décembre de la même année, la ministre de la Culture et des Communications, Aurélie Filippetti, sollicitait une expertise indépendante sur la question de la création d’une instance de déontologie journalistique en France.
Dans son rapport publié en février dernier, la juge Marie Sirinelli, à qui a été confié ce mandat, constate que la création d’un conseil de presse adossé à une législation ne fait pas consensus en France. Elle avance deux scénarios alternatifs : la création d’un organe d’autorégulation avec adhésion volontaire ou le renforcement d’outils déontologiques déjà existants, comme l’Observatoire de la déontologie de l’information (ODI).
Lors d’une rencontre des Indignés du PAF avec des représentants du ministère de la Culture et des Communications le 2 juin, on a présenté la position de la ministre comme « assez nettement favorable » à la question de la création d’une instance de déontologie. Cependant, aucune indication claire n’a été donnée quant à la suite des choses et aucun calendrier parlementaire n’a été établi.
« Des « indignés » trop pressés »
L’Association de préfiguration d’un conseil de presse (APCP), qui prône la création d’un d’une telle instance en sol français depuis 2006, reproche malgré tout aux Indignés du PAF d’être « trop pressés ». Dans le bulletin de juin de l’Association, le président Yves Agnès emploie des mots durs pour qualifier le projet citoyen de conseil de presse.
« […] la création d’un pseudo conseil de presse autoproclamé, faisant fi notamment des organisations d’une profession, n’est pas la bonne réponse », écrit M. Agnès, qui souligne les trois axes de l’action de son organisme : proposer, convaincre, rassembler. « Nous ne croyons pas qu’un quelconque rassemblement, si bruyant soit-il, puisse avoir la moindre légitimité en la matière. »
Notons que les Indignés du PAF quittaient, au début de l’année, l’APCP et l’ODI (une initiative de l’APCP).
Philippe Guihéneuf commentait ce départ dans son blogue du 4 juin : « Les médias qui voyaient dans la présence des Indignés du PAF un obstacle à leur présence au sein de l’ODI ont été rassurés par notre départ en début d’année 2014. Cela nous avait été demandé il y a un an par l’ODI, mais nous tenions à rester, dans un premier temps »*, notamment pour contribuer à la rédaction du premier rapport de l’Observatoire, publié à l’automne 2013, note M. Guihéneuf.
Ce dernier réfute le manque de légitimité de son collectif en soulignant sa visibilité et les actions menées depuis sa création, en 2011. Les Indignés du PAF font entendre leur voix sur les réseaux sociaux et par des pétitions qui ont eu des échos dans les officines gouvernementales, ainsi qu’en organisant des débats et en mettant de l’avant des propositions, fait-il valoir.
À cela s’ajoutent les vitrines des blogues du Huffington Post et de Mediapart, où sont présentés régulièrement des cas de dérive déontologique des médias français.
Bien qu’il ne s’appuie pas sur un membership formel, le groupe a plus de 10 000 abonnés à son compte Twitter et autant de visiteurs sur sa page Facebook toutes les semaines. Des milliers de personnes ont signé ses pétitions, notamment celle préconisant une présence citoyenne au Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) qui a recueilli quelque 7000 signatures, en 2012.
Depuis le lancement de l’appel à la création d’un conseil de presse d’initiative citoyenne, les Indignés ont reçu l’appui d’une centaine de personnes, mentionne leur porte-parole. Ces appuis proviennent de citoyens, dans une proportion de 60%, précise M. Guihéneuf. L’autre part des sympathisants sont issus du milieu journalistique : « surtout des jeunes en formation ».
Mais par-dessus tout, Philippe Guihéneuf insiste sur la légitimité de la préoccupation de remettre à l’avant-plan la qualité de l’information.
Espoir de rassembler
Dès les premiers instants de l’entretien avec le Magazine du CPQ, le porte-parole souligne le problème de crédibilité des médias français et la perte de confiance du public. « Seulement 23% des Français croient aux médias », déplore-t-il en citant les résultats d’un sondage récent.
Philippe Guihéneuf s’inquiète de la dynamique qui s’installe au profit de la démocratisation de l’information issue des médias sociaux. « Si les journalistes ne sont plus les courroies de transmission de l’information, on devra s’en remettre aux médias sociaux, sans déontologie. Le filtre des journalistes est essentiel. »
Clairement, le fait que l’indignation portée par le collectif soit extérieure à l’industrie des médias est une source d’irritation pour les entreprises de presse et même pour certains journalistes. Avec l’initiative citoyenne qui se dessine, le canal de communication est-il définitivement coupé avec le milieu? Les Indignés ont-ils mis une croix sur l’option d’une autorégulation avec la participation conjointe du public et des professionnels de l’information?
« Non », répond Philippe Guihéneuf. « On fait ça pour revaloriser le journalisme. Je crois naïvement qu’un jour ou l’autre, les entreprises vont se joindre [au conseil de presse en voie d’être créé], si on réussit à faire comprendre aux patrons de presse que notre idée n’est pas d’intervenir sur l’éditorial, mais sur la déontologie. »
L’indignation originelle Les Indignés du PAF portent bien leur nom. C’est bien l’indignation, face à un reportage de l’émission Appel d’urgence diffusée par TF1, qui a provoqué sa création. Des images vidéo intégrées dans le reportage et sensées illustrer la délinquance à Paris avaient en fait été filmées dans des villes américaines. « La profession des journalistes ne s’est pas offusquée de ça », déplore Philippe Guihéneuf, porte-parole et fondateur du collectif. |
Autres liens intéressants :Les citoyens, les journalistes et le prix de l’informationFrance : Vers une déontologie pour tous?
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* Ce passage a fait l’objet, le 9 juillet 2014, d’une mise à jour ajoutée au haut du texte original de Mediapart : « Cela nous avait été demandé il y a un an par l’ODI » a été remplacé par « Cela nous avait été demandé il y a un an par le président de l’APCP » dans le passage précédant l’astérisque dans notre texte.