Synthèse des études et des rapports considérés
De l’ensemble des études et des rapports considérés, on peut tirer les constatations suivantes :
a. Il y a unanimité sur la nécessité d’une intervention législative en matière de témoignage des journalistes ainsi que sur la protection des sources et du matériel journalistiques. Même si nos tribunaux reconnaissent dans une certaine mesure les impératifs reliés à la liberté de la presse, cette reconnaissance n’est pas suffisante.
b. La nécessité d’une telle intervention législative se fonde « globalement » sur l’intérêt public à ce que les journalistes puissent conserver l’accès à toutes les sources d’information, afin de signaler à l’attention du public des informations qu’il a intérêt à connaître.
Que ce soit en vertu du droit du public à l’information ou au nom de la libre circulation des idées, la notion d’intérêt public à préserver les conditions d’exercice de l’activité journalistique en constitue le fil conducteur.
c. Ce sont dans les modalités de cette intervention législative que se retrouvent les plus grandes disparités.
De la promotion d’une immunité relative du journaliste libre de témoigner ou non, à la protection de la source confidentielle d’information qui deviendrait une affaire d’intérêt public dont le juge aurait à décider, en passant par la reconnaissance d’un secret professionnel pour les journalistes, il y a encore place pour la discussion.
Dans la majorité des opinions toutefois, on constate un déplacement de la responsabilité de la protection de la source confidentielle d’information depuis le journaliste au tribunal qui aura charge de défendre l’intérêt public.
d. La reconnaissance législative des impératifs reliés à la liberté de la presse et du droit du public à l’information aura pour conséquence certaine d’accorder au juge un plus grand rôle dans l’arbitrage que nécessitera la confrontation entre les différentes facettes de l’intérêt public. Elle lui donnera, par contre, des assises plus solides.
Les propositions du Conseil de presse du Québec
On ne peut pas parler exclusivement de liberté individuelle quand on parle de liberté de presse. Si cette conception a déjà prévalu, il semble évident qu’elle est en train de devenir périmée. Le journaliste et les médias d’information sont les agents qui mettent en œuvre dans une très large mesure la liberté de la presse, la liberté d’expression et la liberté d’opinion dans le but d’assurer le droit du public à l’information. L’importance des moyens matériels nécessaires pour exercer la liberté de publier ou de diffuser, la complexité de la société et l’importance des affaires traitées par l’État et, en l’occurrence, par nos mandataires, font en sorte qu’il est totalement irréaliste d’exiger que chaque citoyen aille par lui-même à la recherche de l’information et effectue l’analyse de toute l’information pertinente à l’exercice de ses droits ainsi qu’à l’épanouissement même de son individualité au sein de la collectivité.
La liberté de la presse en tant que condition d’existence réelle du droit du public à l’information est donc abordée, par le Conseil de presse, dans sa dimension de droit collectif. Ceci implique que la finalité ultime de l’exercice de la liberté de la presse n’est pas la liberté d’expression du journaliste ou de l’entreprise de presse, mais bien le droit du public à l’information. La protection des sources et du matériel journalistiques est donc réclamée non pas dans l’intérêt des journalistes et des médias, mais plutôt dans l’intérêt du public.
De la même façon que c’est l’ensemble de la société qui garantit nos droits individuels, c’est aussi l’ensemble de la société qui doit reconnaître et garantir le droit du public à l’information. C’est pourquoi le Conseil de presse renonce à l’immunité relative, comme au secret professionnel pour les journalistes qui se sont toujours opposés à s’incorporer et même à se voir dotés d’un statut privilégié.
Le Conseil de presse réclame la reconnaissance législative de pratiques déontologiques propres à préserver l’exercice de la liberté de la presse sans laquelle le droit du public à l’information n’existe pas. Les objectifs du Conseil de presse sont :
Premièrement : la reconnaissance légale de la dimension d’intérêt public de l’information pour tous les membres de la société, c’est-à-dire le droit du public à l’information;
Deuxièmement : la reconnaissance légale de la nécessité de préserver les conditions essentielles de l’exercice de l’activité journalistique par l’ensemble de la société qui doit en être la première bénéficiaire. Le Conseil de presse estime que les mesures législatives demandées contribueront à la fois à donner un contenu à la liberté de presse, autant que la liberté de publier : en effet, la liberté de publier ne rend absolument pas compte de la réalité de la liberté de la presse et ne constitue pas l’assise qui correspond à la nature et au rôle de la liberté de la presse.
Sources confidentielles d’information
Le Conseil de presse convient qu’en règle générale, les journalistes et les médias doivent identifier les sources dont proviennent les informations qu’ils livrent au public.
Il reconnaît que la presse joue un rôle essentiel dans notre société, un rôle de critique et de surveillance de nos institutions démocratiques.
Pour ce faire, les médias ne doivent pas s’alimenter uniquement aux sources d’information officielles – et le Conseil de presse le préconise d’emblée – ils doivent, pour jouer adéquatement leur rôle, avoir accès à toutes les sources possibles d’information.
Le Conseil de presse admet que pour avoir accès à toute l’information nécessaire, les journalistes et les entreprises de presse doivent parfois s’engager, auprès de certaines sources d’information, à ne pas divulguer leur identité, sans quoi une information d’intérêt public leur serait refusée.
Le Conseil de presse soutient que ces sources d’information dites « confidentielles », même si elles demeurent l’exception dans la pratique journalistique, n’en sont pas moins fort importantes et qu’il importe que toute la société en reconnaisse le bien-fondé et la nécessité.
PROPOSITION
Que l’identité des sources confidentielles d’information des journalistes et des entreprises de presse soit considérée comme confidentielle.
Que seules des situations exceptionnelles et soigneusement délimitées par le législateur puissent justifier la divulgation de l’identité des sources confidentielles d’information et ce, après arbitrage contradictoire du tribunal entre les différentes facettes de l’intérêt public.
Témoignages des journalistes
Le Conseil de presse considère que le recours au témoignage du journaliste concernant des événements dont il a été témoin ou des informations dont il a pris connaissance dans l’exercice de ses fonctions est nocif et contraire à l’exercice des libertés et des droits individuels et collectifs.
Lorsque des personnes s’engagent dans l’exercice de leurs droits et libertés, que ce soit la liberté d’expression, d’association ou d’opinion, elles doivent le faire avec l’assurance qu’elles n’en subiront aucun préjudice. Tout comme existe la présomption d’innocence, il y a présomption de légalité pour les individus et les groupes dans l’exercice de leurs droits et libertés.
Le journaliste et l’entreprise de presse, observateurs des événements de la société, ne doivent pas être considérés et utilisés comme des témoins à charge, lorsque les événements qu’ils couvrent donnent lieu à des enquêtes policières ou à des poursuites judiciaires. Ils exercent leurs activités d’abord et avant tout pour rendre compte de l’évolution de la société. Ils n’ont pas à être appelés pour constituer une preuve pour quelque instance que ce soit. Le journaliste est d’abord et avant tout un témoin au service de l’information exacte et complète du public. Plus il s’en tiendra à ce rôle, mieux il le remplira.
PROPOSITION
Que le journaliste ne puisse être contraint de témoigner sur des faits dont il a été témoin ou dont il a pris connaissance dans l’exercice de ses fonctions.
Matériel journalistique
C’est également en s’appuyant sur la sauvegarde et le libre exercice des droits et libertés reconnus dans notre société, et notamment la liberté d’expression, d’opinion et d’association, que le Conseil de presse soutient que le matériel journalistique ne doit pas être reçu en preuve.
PROPOSITION
Que le matériel journalistique non publié ou non diffusé ne soit pas recevable en preuve devant quelque instance judiciaire, quasi judiciaire ou administrative que ce soit.
Que le matériel journalistique publié ou diffusé par le journaliste ou l’entreprise de presse puisse être identifié par déclaration sous serment.
Extraits du Livre blanc
1989-06