D2021-09-157
Plaignants
Carl St-Gelais
Steeve Fournier
Julie Boisclair
6 plaignants en appui
Mis en cause
Denise Bombardier, chroniqueuse
Le quotidien Le Journal de Montréal
Québecor Média
Dates de dépôt des plaintes
Les 24 septembre, 1er novembre et 6 décembre 2021
Date de la décision
Le 24 février 2023
Résumé de la plainte
Carl St-Gelais, Steeve Fournier, Julie Boisclair et six autres plaignants déposent une plainte les 24 septembre, 1er novembre et 6 décembre 2021 au sujet de l’article « Pourquoi je suis pour la vaccination obligatoire » de la chroniqueuse Denise Bombardier, publié dans Le Journal de Montréal le 24 septembre 2021. Les plaignants déplorent des informations inexactes, de la discrimination et de la partialité. Les griefs de discrimination et de partialité n’ont pas été traités (voir « Griefs non traités : discrimination » et « Grief non traité : partialité » à la fin de cette décision).
Principe déontologique relié au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Contexte
En septembre 2021, lorsque cette chronique a été publiée, le Québec était aux prises avec la pandémie de COVID-19 depuis un an et demi et se trouvait en plein cœur de la quatrième vague causée par le variant Delta. L’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) estimait à ce moment qu’environ 25 % de la population de la province n’était toujours pas adéquatement vaccinée, et on avait répertorié plus de 400 000 cas de COVID-19 depuis le début de la pandémie. Les tests de dépistage rapides n’étaient pas encore disponibles pour le grand public. Le déploiement de ces tests débutait tout juste dans certains établissements préscolaires et primaires.
Dans le texte faisant l’objet de cette plainte, daté du 24 septembre 2021, la chroniqueuse Denise Bombardier prend position en faveur de la vaccination obligatoire afin de lutter contre la pandémie de COVID-19. Elle affirme qu’il faut « faire la guerre » aux citoyens qui refusent de recevoir le vaccin au nom de leur liberté personnelle, et qualifie ces gens d’« irresponsables ». Elle soutient que « ces énergumènes antivax, antimasques et autres abrutis » sont la cause de la majorité des nouveaux cas de COVID, et qu’ils contaminent « des enfants et des jeunes en particulier ». Enfin, elle dénonce le fait que dans la semaine précédent la publication de sa chronique, « on apprenait qu’une enseignante a contaminé des enfants dans son école ».
Griefs des plaignants
Grief 1 : informations inexactes
Principe déontologique applicable
Qualités de l’information : « Les journalistes et les médias d’information produisent, selon les genres journalistiques, de l’information possédant les qualités suivantes : a) exactitude : fidélité à la réalité. » (article 9 a) du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
1.1 Transmission du virus
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte dans le passage suivant : « La grande majorité des nouveaux covidés sont des gens qui avaient refusé le vaccin et qui contaminaient à leur tour des enfants et des jeunes en particulier ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Carl St-Gelais affirme dans sa plainte : « Les vaccinés peuvent autant transmettre et attraper la maladie que les non-vaccinés, M. Arruda l’a dit. Donc cette information est erronée. »
Cependant, dans la phrase visée (« La grande majorité des nouveaux covidés sont des gens qui avaient refusé le vaccin et qui contaminaient à leur tour des enfants et des jeunes en particulier »), Mme Bombardier n’affirme pas que les vaccinés ne peuvent pas attraper et transmettre la COVID-19, ou que les non-vaccinés sont les seuls à pouvoir l’attraper et la transmettre. Le plaignant tire ici une signification des propos de Mme Bombardier qui ne correspond pas à ce qui est écrit.
De la même manière, dans la décision D2019-05-078, un grief d’information inexacte dans une chronique d’opinion a été rejeté, car l’inexactitude alléguée relevait de l’interprétation du plaignant.
Par ailleurs, concernant l’affirmation du plaignant voulant que « les vaccinés peuvent autant transmettre et attraper la maladie que les non-vaccinés », bien que les connaissances scientifiques à propos de la COVID-19 et des vaccins étaient plus fragmentaires en septembre 2021 qu’elles ne le sont aujourd’hui, l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ) observait déjà que la charge virale chez les personnes vaccinées semblait diminuer plus rapidement que chez les personnes non vaccinées1.
1 Référence : « INSPQ – Revue de la littérature scientifique sur le variant Delta : transmission, virulence et efficacité vaccinale », page 5, paragraphe 3. Publication du 13 août 2021.
1.2 Risques de transmission du virus
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte dans le passage suivant : « Il faut faire la guerre à ces gens qui sous des prétextes délirants font en sorte que chaque jour des centaines de cas se déclarent ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief d’information inexacte sur ce point.
Analyse
Steeve Fournier indique que le passage retranscrit ci-haut est inexact. Selon lui, « il y a encore beaucoup d’incertitudes scientifiques sur l’efficacité et l’innocuité des vaccins contre le syndrome respiratoire COVID-19. En effet, il y a chaque jour selon ce que rapportent officiellement les autorités entre 25 % et 47 % de gens qui sont vaccinés qui sont positifs. Il n’y a donc pas lieu de prétendre que le risque de transmission repose exclusivement sur les non-vaccinés ».
À la lecture de la chronique en cause, on constate qu’à aucun endroit, la chroniqueuse n’affirme que les risques de transmission de la COVID-19 reposent « exclusivement sur les non-vaccinés », tel que l’allègue le plaignant.
De plus, le plaignant ne fournit pas la preuve que le passage de l’article qu’il a identifié contient une quelconque inexactitude. Il n’était pas inexact d’écrire que « chaque jour des centaines de cas se déclarent ». En effet, cinq jours avant la chronique en cause, Le Journal de Montréal rapportait dans l’article « Variant et 3e dose », que 821 nouveaux cas de COVID-19 avaient été répertoriés ce jour-là au Québec, parmi lesquels 609 personnes n’étaient pas adéquatement vaccinées, ce qui semble corroborer l’affirmation de Mme Bombardier selon laquelle les non-vaccinés « font en sorte que chaque jour des centaines de cas se déclarent ». Ainsi, comme au sous-grief précédent, puisqu’il y a ici interprétation erronée du plaignant au sujet de ce qui est écrit dans la chronique, le Conseil rejette ce sous-grief d’information inexacte.
1.3 Enseignante contaminatrice
Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont produit de l’information inexacte dans le passage suivant : « Cette semaine, on apprenait qu’une enseignante a contaminé des enfants dans son école ».
Décision
Le Conseil de presse du Québec retient le grief d’information inexacte sur ce point, car il estime que Denise Bombardier et Le Journal de Montréal ont contrevenu à l’article 9 a) du Guide.
Analyse
Julie Boisclair estime qu’il était faux d’affirmer dans la chronique qu’une enseignante avait contaminé des enfants dans son école, parce qu’on ne savait pas, à ce moment, si l’enseignante était responsable de la contamination. La plaignante soutient que la chroniqueuse « réfère à un article paru la veille qui mentionne : “L’enquête ne dévoile pas, pour l’instant, qui est responsable de cette éclosion.” Il n’y a pas eu d’article à des dates ultérieures pour confirmer ce que Denise Bombardier affirme. »
Steeve Fournier souligne quant à lui que « l’enquête épidémiologique n’était même pas terminée à ce moment et la responsabilité de l’enseignante n’était qu’une présomption ». Il ajoute que « tout cela était basé sur l’opinion de parents et élèves inquiets ».
Le 22 septembre 2021, deux jours avant la parution de la chronique en cause, Le Journal de Montréal publiait un article non signé intitulé « Une enseignante pourrait être responsable d’une éclosion dans une école de Montréal ». Cet article factuel révélait qu’une enseignante d’arts plastiques de l’école primaire Saint-Émile, à Montréal, incitait ses élèves à retirer leur masque en classe, et qu’elle pourrait être à l’origine d’une éclosion de COVID-19. On rapportait à ce moment « au moins 39 cas » de COVID-19 dans l’école, en précisant que « plus de 75 % des personnes contaminées » auraient côtoyé l’enseignante.
Le lendemain, le 23 septembre, le Centre de services scolaires de Montréal a ouvert une enquête pour tenter de déterminer la source de l’éclosion, ce qui a fait l’objet de plusieurs reportages dans les médias québécois. Les soupçons qui pesaient sur l’enseignante n’étaient que des allégations au moment où Denise Bombardier a publié sa chronique, le 24 septembre 2021.
D’autres médias faisaient état de la situation le même jour, relatant l’incertitude concernant la provenance de la contamination puisque l’enquête était toujours en cours. Par exemple, la chroniqueuse Isabelle Hachey écrivait dans La Presse, à propos de cette même affaire : « Personne ne sait encore si cette enseignante est le “patient zéro” à la source de l’éclosion. Mais tout le monde la soupçonne d’avoir contribué à propager le virus à l’école. »
À la lumière des informations disponibles au moment des faits, Mme Bombardier ne pouvait pas soutenir avec certitude « qu’une enseignante a contaminé des enfants dans son école », tel qu’elle l’a écrit, puisque la preuve n’en avait pas été faite. Il aurait suffi d’employer un verbe au conditionnel (« une enseignante pourrait avoir contaminé […] »), ou encore d’écrire qu’il « est possible qu’une enseignante ait contaminé des enfants dans son école », ou toute autre formulation laissant entendre que la preuve n’était pas encore faite, mais la chroniqueuse a plutôt formulé cette phrase sous forme d’affirmation, comme s’il s’agissait d’un fait avéré.
Dans le dossier D2018-10-104, le Conseil a retenu un grief d’information inexacte dans lequel l’affirmation d’une chroniqueuse n’était soutenue par aucune preuve. Lise Ravary avait écrit que, lors d’une manifestation à Montréal, « [d]eux jeunes hommes, drapeau noir de l’État islamique sur leurs épaules, suivaient le cortège qui comportait son lot de banderoles du Hamas, du Hezbollah […] », ce qui était faux. Le Conseil a rappelé l’importance d’accorder « une attention particulière quant à l’exactitude des faits avancés ». De la même façon, dans le cas présent, Mme Bombardier a présenté comme un fait confirmé une présomption à propos de laquelle elle ne détenait pas de preuve.
Grief non traité : discrimination
Discrimination : « Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 (1) du Guide)
Carl St-Gelais soutient que la chroniqueuse « discrimine ouvertement les personnes qui ont fait un choix libre de ne pas se faire vacciner ».
Julie Boisclair affirme pour sa part que la chroniqueuse « utilise, à l’endroit de personnes non vaccinées, des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés ».
Un grief visant le principe déontologique de discrimination (Guide, article 19) doit comporter un motif discriminatoire, c’est-à-dire qu’il doit concerner des personnes en raison de leurs caractéristiques personnelles telles que la race, l’orientation sexuelle, le handicap, ou la religion, notamment.
Le fait de choisir de ne pas se faire vacciner contre la COVID-19 ne correspond pas à un motif discriminatoire. La plainte n’est donc pas recevable en vertu de l’article 13.09 du Règlement 2 du Conseil de presse du Québec qui stipule qu’un « grief visant le principe déontologique de discrimination doit comporter un motif discriminatoire. Le Conseil se base sur la liste des caractéristiques personnelles établie par la Commission des droits de la personne et des droits de la jeunesse, à savoir la race, le sexe, la couleur, l’orientation sexuelle, l’âge, l’identité ou l’expression de genre, l’état civil, la religion, la grossesse, la langue, les convictions politiques, l’origine ethnique ou nationale, la condition sociale et le handicap ».
En l’absence d’un motif discriminatoire reconnu, ce grief est irrecevable.
Grief non traité : partialité
Dans sa plainte, Steeve Fournier déplore de la partialité. Ce grief n’a pas été traité puisque Denise Bombardier pratique le journalisme d’opinion et que ce genre journalistique n’est pas soumis au principe d’impartialité, comme l’indique l’article 10.2 du Guide de déontologie journalistique.
Note
Le Conseil déplore le refus de collaborer du Journal de Montréal qui n’est pas membre du Conseil de presse, et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec retient la plainte de Carl St-Gelais, Steeve Fournier, Julie Boisclair et six autres plaignants visant l’article « Pourquoi je suis pour la vaccination obligatoire », publié le 24 septembre 2021, et blâme la chroniqueuse Denise Bombardier ainsi que Le Journal de Montréal concernant un sous-grief d’information inexacte. Le Conseil rejette par ailleurs deux sous-griefs d’informations inexactes.
Le Conseil de presse du Québec rappelle que : « Lorsqu’une plainte est retenue, l’entreprise de presse visée par la décision a l’obligation morale de la publier ou de la diffuser. Les entreprises de presse membres s’engagent à respecter cette obligation et à faire parvenir au Conseil une preuve de cette publication ou diffusion dans les 30 jours de la décision. » (Règlement No 2, article 31.02)
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Suzanne Legault, présidente du comité des plaintes
Mathieu Montégiani
Représentantes des journalistes
Lisa-Marie Gervais
Camille Lopez
Représentants des entreprises de presse
Jeanne Dompierre
Stéphan Frappier