Plaignant
M. Michel Krauss
(avocat)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et Mme Martha Gagnon (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Sisto
(éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
L’article «Le
divorce, nouveau Klondike des avocats : Deux avocats, deux réputations, deux
mentalités», paru dans l’édition du 15 avril 1980 de La Presse, présente un
caractère antisémite et entretient les préjugés à l’égard des Juifs. La
journaliste Martha Gagnon semble établir une relation entre la clientèle juive
d’une avocate de Montréal et la réputation que s’est créée cette dernière
d’être intraitable avec la partie adverse.
Griefs du plaignant
Le Conseil de Presse
a terminé l’étude de votre plainte contre Mme Martha Gagnon pour son article
que vous considériez comme antisémite, «Le divorce, nouveau klondike des
avocats: Deux avocats, deux réputations, deux mentalités», paru dans l’édition
du 15 avril 1980 de La Presse.
Vous dénonciez
particulièrement le paragraphe suivant de l’article en question:
«Curieusement,
elle (Me Micheline Parizeau-Popovici) attire dans une proportion de 20 p. cent une
clientèle composée de Juifs anglophones. Elle explique le phénomène de la façon
suivante: J’ai la réputation d’être intraitable, imperturbable lors des
négociations avec la partie adverse. C’est ce qui plaît à la clientèle».
Selon vous, ce
paragraphe était condamnable puisqu’il entretenait «un vieux stéréotype
antisémite». En juxtaposant un commentaire général de l’interviewée et la
mention «Juifs», la journaliste donnait à croire que «les Juifs aiment la
cruauté, le manque de compassion».
Vous vous demandiez
également pourquoi Mme Gagnon avait préfacé les propos de Me Parizeau-Popovici
du mot «curieusement». Ce phénomène, loin d’être curieux, selon vous,
s’expliquait entre autres par l’absence d’obstacles religieux au divorce dans
le judaïsme, la situation physique du bureau de l’avocate, des facteurs
linguistiques, économiques, etc. «Que dire des 4/5 de la clientèle de Mme
Popovici (présumément des Canadiens français)?» «Pourquoi n’est-il pas
«curieux» de les voir recourir aux services de l’avocate?», ajoutiez-vous.
Enfin, vous
demandiez à La Presse de s’excuser du caractère antisémite de ce reportage à un
endroit aussi en évidence que l’article en question. Votre demande est restée
sans réponse.
Commentaires du mis en cause
Selon la
journaliste et l’éditeur adjoint de La Presse, si l’article en question faisait
ressortir le fait qu’une bonne partie de la clientèle de Me Parizeau-Popovici
était juive, c’est que l’avocate elle-même avait insisté sur ce point. Madame
Gagnon affirmait en outre s’en être tenue à rapporter les propos de Me
Parizeau-Popovici.
Quant au mot
«curieusement», il était justifié, selon la journaliste, par le fait qu’une
avocate francophone avait réussi, dans un domaine aussi difficile que le droit
matrimonial, à se tailler une réputation chez les anglophones et plus
précisément chez les Juifs. Cet élément à lui seul «pique la curiosité»
puisqu’il différencie Me Parizeau-Popovici des autres avocats.
Analyse
En présence des versions opposées de Mme Martha Gagnon et de Me Parizeau-Popovici, le Conseil ne peut déterminer si effectivement la journaliste s’en est tenue à rapporter fidèlement les propos de cette dernière ou si elle a de son propre chef rattaché un commentaire d’ordre général à des considérations d’ordre technique; ce qui a pu avoir comme effet, comme vous le prétendez, de contribuer à entretenir un «vieux stéréotype antisémite».
A ce sujet, et bien que comprenant que le rapprochement en question ait pu susciter dans le public des réactions similaires à la vôtre, le Conseil ne peut pour autant accuser la journaliste d’avoir intentionnellement ou par manque de rigueur professionnelle voulu entretenir un tel préjugé.
Le Conseil espère que tel n’est pas le cas, car une telle pratique contre laquelle il a maintes fois mis en garde la presse serait contraire aux fonctions de celle-ci qui, plutôt que d’entretenir des préjugés populaires, doit au contraire se faire un devoir de les dissiper.
Enfin, le Conseil déplore que La Presse n’ait donné aucune suite à votre lettre du 7 juillet 1980 dans laquelle vous lui demandiez de s’excuser du caractère antisémite de ce reportage. A ce propos, le Conseil estime que La Presse aurait dû vous offrir la possibilité de faire valoir votre point de vue dans une lettre qu’elle aurait publiée.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C18C Préjugés/stéréotypes