D2023-07-055

Plaignante

Isabelle Gérin-Lajoie

Mis en cause

Jean Siag, journaliste

Le quotidien La Presse

Date de dépôt de la plainte

Le 30 juillet 2023

Date de la décision

Le 26 avril 2024

Résumé de la plainte

Isabelle Gérin-Lajoie dépose une plainte le 30 juillet 2023 au sujet de l’article « Les Contes interdits transposés au petit écran », du journaliste Jean Siag, publié dans La Presse le 24 juillet 2023. La plaignante déplore la mention injustifiée d’antécédents judiciaires ainsi que du sensationnalisme.

Contexte

Le 24 juillet 2023, le journaliste Jean Siag rapporte dans La Presse que la maison de production télévisuelle Attraction adaptera « vraisemblablement » pour le petit écran la série de livres Les Contes interdits, publiée par la maison d’édition AdA. M. Siag ajoute qu’une annonce officielle à cet effet devrait être faite sous peu dans le cadre du Festival Fantasia.

Les Contes interdits est une série de plus de 40 romans d’horreur pour adultes signés par une quinzaine d’auteurs québécois et inspirés de contes populaires tels que Barbe bleue, Boucle d’or, La belle et la bête, Le petit poucet, Cendrillon, Hansel et Gretel et plusieurs autres.

Dans son article, Jean Siag rappelle les démêlés avec la justice qu’ont eu l’auteur Yvan Godbout et les Éditions AdA à la suite de la publication du roman d’horreur Hansel et Gretel en 2017. En 2019, M. Godbout a été arrêté et accusé de production et de distribution de pornographie juvénile après qu’une enseignante a porté plainte contre un passage de son livre qui décrit l’agression sexuelle d’une fillette de 9 ans par son père. En septembre 2020, l’auteur et la maison d’édition AdA ont été acquittés par la Cour supérieure. Puis, en avril 2021, une demande d’autorisation d’appel du Procureur général visant à porter la cause devant la Cour suprême a été refusée, mettant un terme à cette saga judiciaire.

Le 24 septembre 2020, dans un article intitulé « L’auteur Yvan Godbout acquitté de production de pornographie juvénile », le journaliste de La Presse Louis-Samuel Perron faisait état des conséquences dévastatrices de cette poursuite « aléatoire » sur l’auteur Yvan Godbout, qui a été « stigmatisé, ruiné et dépeint comme un pédophile ».

M. Perron rapportait dans cet article : « Le juge Marc-André Blanchard invalide des articles du Code criminel portant sur la pornographie juvénile, puisque ceux-ci violent le droit à la liberté d’expression. De ce fait, il acquitte Yvan Godbout et Les Éditions AdA inc. Les modifications apportées à la loi en 2005, notamment le retrait de l’exemption de la “valeur artistique” d’une œuvre, ont pour effet de “s’attaquer au matériel littéraire”, tranche le juge de la Cour supérieure. […] Des citoyens risquent ainsi de se retrouver “potentiellement” en position d’être accusés de possession ou de distribution de pornographie juvénile en consultant certains livres à la bibliothèque ou à la librairie, souligne le juge. […] Aussi, l’auteur se sent comme le “bouc émissaire des auteurs de la littérature d’horreur” et “paraît aux yeux du monde comme un pédophile”, relève le juge. »

Dans l’article visé par la présente plainte, le journaliste Jean Siag révèle que, selon le vice-président et producteur exécutif chez Attraction, Richard Jean-Baptiste, le roman Hansel et Gretel d’Yvan Godbout ne fait pas partie des titres qui seront adaptés pour la télévision, afin de ne pas « détourner l’attention de ce projet ». Il ne fait pas mention des trois autres romans de la série Les Contes interdits signés par le même auteur.

Quelques heures après la publication de cet article dans La Presse, M. Godbout annonce sur le réseau Facebook qu’il met fin à sa carrière d’auteur, expliquant : « Je n’en peux simplement plus de découvrir mon nom dans quelques articles, même pour une excellente nouvelle, parce que je sais que j’y découvrirai deux horribles mots [pornographie juvénile] juste à côté. » C’est en réaction à cette annonce que la plaignante dans le présent dossier a décidé de déposer une plainte au Conseil de presse.

Note 

Le 20 janvier 2024, Radio-Canada publie un article intitulé « Porte-parole de la Nuit de la lecture, Yvan Godbout redit “oui” à la littérature », dans lequel M. Godbout déclare qu’il est « vraiment à la bonne place en littérature, finalement » et qu’il renoue avec sa carrière d’auteur. 

Même si ces réactions de l’auteur font partie de l’histoire à ce jour, ni sa décision de quitter le milieu littéraire en 2023 ni celle de le réintégrer en 2024 ne doivent être prises en compte dans l’analyse du présent dossier, puisque ces événements se sont déroulés ultérieurement à la publication de l’article soumis ici pour analyse.

Griefs de la plaignante

Grief 1 : mention injustifiée d’antécédents judiciaires

Principe déontologique applicable

Antécédents judiciaires : « Les journalistes et les médias d’information ne font pas mention des antécédents judiciaires d’une personne ne faisant pas l’objet de procédures judiciaires, à moins qu’une telle mention soit d’intérêt public. » (article 20.3 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont manqué à leur devoir de ne pas faire mention des antécédents judiciaires de l’auteur Yvan Godbout, à moins qu’une telle mention soit d’intérêt public, dans les deux passages de l’article retranscrits ci-dessous.

« Ces titres pour adultes, inspirés de contes populaires, comprennent entre autres La belle et la bête, Cendrillon, Le magicien d’Oz, La légende de Sleepy Hollow ou encore Hansel et Gretel, de l’auteur Yvan Godbout, qui avait été acquitté en 2020 – tout comme la maison d’édition AdA – pour production de pornographie juvénile. »

(…)

« ”On ne touchera pas à celui-là [Hansel et Gretel]. Il y a eu assez de discussions là-dessus, on va le laisser de côté, on ne veut pas détourner l’attention de ce projet.”

– Richard Jean-Baptiste, vice-président et producteur exécutif chez Attraction » 

(Note : Les caractères gras sont du média.) 

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de mention injustifiée d’antécédents judiciaires.

Analyse

La plaignante reproche aux mis en cause d’avoir rappelé les antécédents judiciaires de l’auteur Yvan Godbout inutilement, estimant que cette information n’était pas d’intérêt public. Elle affirme : « En se vautrant à qui mieux mieux dans les souvenirs indécents des déboires de [M.] Godbout et en accolant à nouveau les deux mots pornographie juvénile à côté du nom de l’auteur, il est clair que le journaliste réussissait haut la main à situer la série des Contes interdits! Faut-il souligner aussi que, sur un total de 42 lignes d’un article dont le but est d’annoncer un projet d’envergure d’un producteur qui veut porter à l’écran Les Contes interdits, un total de 22 lignes ont servi à rappeler l’affaire Godbout alors que, pourtant, son livre Hansel et Gretel ne fait même pas partie du projet du producteur! Pour ajouter à la honte, le journaliste inscrit ledit rejet en caractères gras, sans autre forme de procès! »

Le représentant de La Presse, Patrick Bourbeau, réplique : « […] l’œuvre de cette série [Les Contes interdits] qui est sans conteste la plus connue par le grand public est Hansel et Gretel, principalement en raison d’une saga judiciaire qui a fait l’objet d’une couverture médiatique abondante suite aux accusations criminelles portées en 2019 contre son auteur et la maison d’édition AdA en lien avec sa publication. »

M. Bourbeau poursuit : « Il était donc manifestement d’intérêt public d’informer les lecteurs du fait que ce livre en particulier n’avait pas été retenu pour faire l’objet d’une adaptation télévisée. Il s’agissait tant d’un aspect de la nouvelle principale que d’un élément de contexte incontournable. Il était donc parfaitement légitime d’indiquer les motifs invoqués par le producteur au soutien de sa décision d’omettre Hansel et Gretel et, par ailleurs, de rappeler les grandes lignes des démêlés judiciaires de son auteur et de son éditeur. »

Il conclut : « À tout événement, pour les motifs élaborés [ci-dessus], le rappel des démêlés judiciaires entourant la publication d’Hansel et Gretel était d’un intérêt public incontestable dans le cadre d’un texte portant sur l’adaptation télévisuelle des livres de la série dont cette oeuvre faisait partie. »

En réponse aux arguments de La Presse, la plaignante rétorque : « La Presse n’a rien compris! Quelqu’un ici a-t-il accusé La Presse de divulguer les antécédents judiciaires? En tout cas, pas moi! On connaissait tous les antécédents judiciaires. Ce n’est pas la divulgation qui est reprochée à La Presse et ce n’est pas non plus d’avoir fait référence à un antécédent judiciaire, non, ce qui est reproché à La Presse, c’est de rappeler outre mesure l’affaire Hansel et Gretel dans un contexte d’une bonne nouvelle à annoncer. Ce qui est reproché, c’est aussi de s’être montré insensible et d’avoir tourné le fer dans la plaie de vieilles affaires qui avaient un haut potentiel de suinter à nouveau et de réinfecter le porteur de plaie et lui porter à nouveau préjudice alors qu’il en a assez bavé. »

Elle ajoute : « Contrairement à ce qu’avance La Presse, […] je ne crois pas que le rappel de la saga Hansel et Gretel était d’intérêt public, surtout dans le contexte de la raison mère de l’article. La Presse aurait dû et aurait pu faire la part des choses et mieux doser son approche. La Presse avance comme argument qu’elle est dans le droit de [rappeler] un événement à ses lecteurs. Or, ce qui est reproché à La Presse, c’est de [rappeler] un événement qui s’est déroulé il y a plusieurs années dans la maison de la rue d’à côté au lieu de la voir s’atteler à décrire les événements de la maison où se déroule une toute nouvelle actualité! »

Elle conclut en faisant valoir : « En somme, La Presse a priorisé une affaire datant de plusieurs années, une affaire qui a failli mener l’auteur dans l’espace intersidéral qui avoisine celui occupé par Dieu! Non seulement contente d’avoir fait ses choux gras hier de cette affaire, elle en profite pour goûter à nouveau aux choux gras en remémorant de douloureux souvenirs sans tenir compte du calvaire vécu par l’auteur. Notez d’ailleurs que La Presse ne s’est jamais excusée auprès de [M.] Godbout pour avoir provoqué sa démission comme écrivain, un auteur qui avait tant bien [que] mal réussi à tourner le dos à cette affaire, du moins jusqu’à ce qu’un journaliste [qui] aurait dû se limiter à annoncer la bonne nouvelle du producteur [s’accroche] les pieds sur la vieille mauvaise nouvelle! »

D’abord, soulignons que la saga judiciaire vécue par l’auteur du roman Hansel et Gretel a été très largement médiatisée en 2019 et 2020. De grandes questions d’ordre moral et juridique en ont découlé au sein de la société québécoise, notamment à savoir s’il est acceptable, éthique ou légal de mettre en scène le viol d’un enfant dans une œuvre de fiction. Cette affaire a provoqué un débat public de premier plan sur la liberté d’expression. En définitive, l’affaire Godbout aura eu un impact fondamental sur le droit criminel. Le chroniqueur Yves Boisvert soutient, dans La Presse du 28 septembre 2020, que l’acquittement d’Yvan Godbout a eu pour effet de « convain[cre] la Cour supérieure de l’invalidité de l’article du Code criminel portant sur la production de matériel pornographique ». Lorsqu’une œuvre provoque autant de débats juridiques et suscite à ce point l’attention des médias, il n’est pas déraisonnable que l’on continue de s’y intéresser et qu’on en assure le suivi quelques années plus tard. 

Bien que l’on comprenne que la plaignante ait pu être heurtée, voire choquée, par le rappel de la saga judiciaire d’Yvan Godbout dans l’article de Jean Siag, cette mention n’en était pas moins d’intérêt public dans le contexte de l’annonce de l’adaptation de la série Les Contes interdits pour la télévision.

Le fait de taire la raison pour laquelle le roman Hansel et Gretel n’a pas été retenu parmi les livres qui seront adaptés au petit écran par la maison de production Attraction n’aurait pas servi l’intérêt public, puisqu’il existe un lien évident entre la cause qui a été portée devant les tribunaux et le sujet de l’article. De plus, comme la maison de production procédait à une sélection d’oeuvres parmi la quarantaine de romans de la série Les Contes interdits – qui ne seront pas tous adaptés pour la télévision –, il était d’un intérêt public manifeste de questionner le vice-président et producteur exécutif d’Attraction, Richard Jean-Baptiste, sur le sort qui serait réservé au roman le plus malencontreusement célèbre de cette série, Hansel et Gretel, pour ensuite rappeler les événements passés justifiant une telle décision. 

Quant à la proportion de l’article en cause consacrée aux antécédents judiciaires de M. Godbout – 22 lignes sur un total de 42, selon la plaignante –, ce choix relève de la liberté éditoriale du média, conformément au paragraphe c) du préambule du Guide, qui établit « que la liberté de presse exige que les médias d’information et les journalistes jouissent d’une liberté éditoriale et donc que les choix relatifs au contenu, à la forme, ainsi qu’au moment de publication ou de diffusion de l’information relèvent de la prérogative des médias d’information et des journalistes ».

Certains jugeront regrettable que l’auteur Yvan Godbout se soit retrouvé à nouveau, bien malgré lui, sous le feu des projecteurs dans de telles circonstances. On ne saurait toutefois conclure à un quelconque manquement déontologique dans le cas présent. Il était d’intérêt public de rappeler la saga judiciaire entourant le roman Hansel et Gretel afin d’expliquer pourquoi ce livre, contrairement à d’autres titres de la série Les Contes interdits, ne fera pas l’objet d’une adaptation télévisuelle. C’est pourquoi le grief de mention injustifiée d’antécédents judiciaires est rejeté.

Au sujet de la notion d’antécédents judiciaires

Dans la réplique de La Presse, Patrick Bourbeau, son représentant, avance : « Nous vous soulignons que, selon la Commission des droits de la personne et de la jeunesse du Québec (la “CDPJQ”), l’expression “antécédents judiciaires” s’entend des “infractions inscrites au casier judiciaire d’une personne”. Toujours selon la CDPJQ, l’expression “casier judiciaire” signifie le “dossier concernant une personne contre laquelle un tribunal a prononcé une condamnation pénale pour une infraction à une loi ou à un règlement”. »

« Ainsi, puisque tant M. Godbout qu’AdA ont été acquittés des accusations portées contre eux et que le texte fait état de cet acquittement, il ne saurait être question de la divulgation d’antécédents judiciaires. »

À la lumière de cet argument, il est important de clarifier la notion d’« antécédents judiciaires » au sens entendu par le Guide de déontologie journalistique. L’article 20.3 du Guide se réfère aux « antécédents judiciaires » de manière plus large que les seules « infractions inscrites au casier judiciaire d’une personne ». Il s’agit des démêlés avec la justice qu’une personne a pu avoir par le passé, peu importe qu’elle ait été reconnue coupable ou qu’elle ait été acquittée. Par exemple, une personne qui a, dans le passé, été accusée d’un crime et subi un procès au terme duquel elle a été acquittée peut être visée par ce principe déontologique.

En effet, si l’article 20.3 du Guide sur les antécédents judiciaires ne s’appliquait qu’aux personnes ayant été condamnées pour un crime ou une infraction, les médias pourraient divulguer toute accusation portée contre une personne ayant été déclarée innocente, sans qu’une telle mention ne soit d’intérêt public. En agissant ainsi, les médias ne respecteraient pas la notion déontologique de respect des personnes.

Le principe 20.3 du Guide portant sur les antécédents judiciaires s’applique donc autant à une personne ayant été acquittée des accusations portées contre elle, comme ce fut le cas de l’auteur Yvan Godbout, qu’à un individu ayant été reconnu coupable d’un crime.

Grief 2 : sensationnalisme

Principe déontologique applicable

Sensationnalisme : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » (article 14.1 du Guide)

Le Conseil doit déterminer si les mis en cause ont déformé la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements, dans le passage de l’article retranscrit ci-dessous.

« Ces titres pour adultes, inspirés de contes populaires, comprennent entre autres La belle et la bête, Cendrillon, Le magicien d’Oz, La légende de Sleepy Hollow ou encore Hansel et Gretel, de l’auteur Yvan Godbout, qui avait été acquitté en 2020 – tout comme la maison d’édition AdA – pour production de pornographie juvénile.

Yvan Godbout avait décrit dans un passage de son livre l’agression sexuelle d’une fillette de 9 ans par son père. Une scène jugée “trop explicite” par une enseignante, qui avait porté plainte contre lui. »

Décision

Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de sensationnalisme. 

Analyse 

La plaignante affirme que les mis en cause ont fait preuve de sensationnalisme en rappelant les « déboires judiciaires » de l’auteur Yvan Godbout, alors que son roman Hansel et Gretel – pour lequel il a été accusé puis acquitté de production et distribution de pornographie juvénile – ne fait pas partie des livres qui seront adaptés pour la télévision par la maison de production Attraction.

La plaignante soutient : « Le journaliste n’avait pas à axer son texte sur l’histoire de l’écrivain Yvan Godbout étant donné que son livre Hansel et Gretel ne fait même pas partie intégrante des livres choisis pour la série télévisée. […] En axant l’article sur les déboires judiciaires liés à Hansel et Gretel, M. Siag a carrément déformé la réalité […]. »

Elle poursuit : « Pendant 22 lignes sur un total de 42, le journaliste décrit les déboires du livre d’un écrivain qui, hier, a fait sensation dans les médias, mais dont le livre ne fera même pas partie de la série télévisée d’Attraction alors que le but même de l’article est d’annoncer que Les Contes interdits feront l’objet d’une série télévisée. Clairement, le journaliste a “perverti” le sens profond de la raison première pour laquelle il écrit cet article! »

Elle mentionne également : « À l’évidence, il aurait nettement mieux valu au journaliste de ne faire aucune référence à Hansel et Gretel et de trouver une autre façon pour attirer l’attention du lecteur! Se pourrait-il aussi que la seule explication à ces déboires serait que le journaliste aurait voulu placer l’épopée malheureuse de [M.] Godbout au premier plan de son article dans le seul et unique but de profiter de son malheur pour attirer l’attention du lecteur? J’ai tendance à croire que c’est cette voie qu’a choisie [M.] Siag car il nous a ensuite appris, sans l’ombre d’une émotion, que le livre de celui dont il vient de parler pendant plus de 22 lignes est rejeté du projet! […] Cela m’apparaît comme un procédé malsain et inacceptable. »

Patrick Bourbeau, le représentant de La Presse, répond : « Nous vous soumettons respectueusement que le texte de M. Siag ne déforme pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’il rapporte. »

Il poursuit : « Tout d’abord, il est inexact de prétendre que le texte est “axé sur les déboires judiciaires liés à Hansel et Gretel”. Il s’agit tout au plus d’un volet accessoire de l’histoire. En effet, le sujet principal du texte est que la série de livres d’horreur Les Contes interdits sera adaptée à la télévision. »

« Or, l’œuvre de cette série qui est sans conteste la plus connue par le grand public est Hansel et Gretel, principalement en raison d’une saga judiciaire qui a fait l’objet d’une couverture médiatique abondante suite aux accusations criminelles portées en 2019 contre son auteur et la maison d’édition AdA en lien avec sa publication. »

M. Bourbeau ajoute : « Il était donc manifestement d’intérêt public d’informer les lecteurs du fait que ce livre en particulier n’avait pas été retenu pour faire l’objet d’une adaptation télévisée. Il s’agissait tant d’un aspect de la nouvelle principale que d’un élément de contexte incontournable. Il était donc parfaitement légitime d’indiquer les motifs invoqués par le producteur au soutien de sa décision d’omettre Hansel et Gretel et, par ailleurs, de rappeler les grandes lignes des démêlés judiciaires de son auteur et de son éditeur. »

Il conclut : « Ainsi, bien que la plaignante [aurait] préféré que le texte ne traite pas de cet aspect de la nouvelle, la présentation qu’en a fait M. Siag ne déforme aucunement la réalité. »

En réponse aux arguments de La Presse, la plaignante rétorque : « La Presse fait valoir qu’[elle] n’a pas déformé la réalité, ni exagéré les faits, ni interprété abusivement la portée réelle des faits ou des événements.  La Presse a raison… en partie! S’il est parfaitement possible de décrire une situation telle qu’elle s’est produite, sans rien déformer ni exagérer les faits, sans non plus interpréter sa portée de façon abusive, il n’empêche pas moins que l’article peut s’avérer inadéquat compte tenu d’une réalité dont il a fait fi et/ou d’une réalité qu’il a amplifiée compte tenu de la raison pour laquelle on le met sous presse. »

Elle avance : « Dans le cas présent, le journaliste insiste, pèse sur le crayon et souligne à grands traits noirs les détails d’une saga vécue il y a plusieurs années par l’auteur Godbout. Ce grossissement réveillait les morts pourtant endormis et cela n’avait pas lieu d’être! Revenir sur le vécu antérieur de cet auteur était démesuré, d’autant plus que la raison mère de la parution de l’article [était] d’annoncer une sacrée bonne nouvelle, celle d’un producteur annonçant son projet d’adapter plusieurs livres de la série Les Contes interdits en minisérie télévisée! Soulignons que Hansel et Gretel […] a été écarté du projet du producteur […]. »

« Notez également que La Presse plaide un fait inexact, soit que la plaignante, en l’occurrence moi, aurait préféré que l’article ne traite pas de cet aspect. C’est faux; j’ai surtout plaidé l’espace démesuré accordé à une vieille histoire alors qu’il aurait mieux valu axer l’esprit de l’article vers la bonne nouvelle, que pour la toute première fois, un producteur s’engage à utiliser une partie des livres Les Contes interdits pour en faire une série télévisée québécoise! N’est-ce pas sur ce sujet que La Presse aurait dû mettre l’accent? Je le crois », souligne la plaignante.

Elle conclut : « Dans sa défense, La Presse ne dit pas non plus un traître mot sur les conséquences humaines et dévastatrices que l’article de Siag a eu sur la personne d’Yvan Godbout! Gageons que si on s’approchait un peu plus, on entendrait La Presse murmurer : “C’est pas mon problème!” C’est à se demander si La Presse a perdu son sens de l’humanité. Bien sûr, la mission d’un journal est d’informer mais on sait aussi qu’il doit le faire en tenant compte du contexte l’entourant, sinon il vise à côté de sa cible. […] À nouveau, suite à l’article de Siag, il [Yvan Godbout] a vu sa vie replonger dans le tourbillon des médias duquel il venait tant bien que mal de s’extirper! Mais ni le journaliste ni La Presse n’admettent qu’ils ont eu tort. »

Il importe de préciser ici que, dans la mesure où on ne constate aucun manquement aux principes déontologiques liés à l’information judiciaire (article 20 du Guide), le rôle du Conseil de presse n’est pas de juger du degré d’acceptabilité morale d’une couverture journalistique. Bien que l’on puisse être sensible aux arguments de la plaignante, la mission du Conseil se limite à déterminer si un journaliste ou un média a enfreint un principe de déontologie journalistique. Certains sujets peuvent avoir un impact négatif sur la vie des gens, certains sujets peuvent blesser des personnes; il n’en demeure pas moins qu’ils peuvent être d’intérêt public et que les médias sont libres d’en parler.

Dans le cas présent, la plaignante aurait souhaité que le journaliste Jean Siag rappelle de façon plus succincte les démêlés de l’auteur Yvan Godbout avec la justice, et qu’il mette davantage l’accent sur la « bonne nouvelle » de l’adaptation télévisuelle des Contes interdits. Or, tel que mentionné au grief précédent, il relève de la liberté éditoriale des médias de déterminer quelle proportion d’un article est dédiée à un aspect ou un autre du sujet traité. Le fait de consacrer ce que certains pourraient considérer comme une « trop grande proportion » d’un article à un aspect du sujet ne constitue pas un manquement à la déontologie journalistique.

En ce qui concerne le principe de sensationnalisme du Guide, rappelons qu’il stipule : « Les journalistes et les médias d’information ne déforment pas la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements qu’ils rapportent. » Malgré l’abondance de ses arguments, la plaignante ne fait pas la démonstration que le journaliste Jean Siag a déformé la réalité, en exagérant ou en interprétant abusivement la portée réelle des faits et des événements. 

Un cas similaire a été observé dans le dossier D2017-11-130, où le Conseil a rejeté un grief de sensationnalisme visant un article intitulé « Une infirmière coupable d’avoir couché avec un patient ». Au moment de la publication de l’article, le Conseil de discipline de l’Ordre des infirmières avait pris le dossier en délibéré pour établir la sanction. La plaignante se questionnait « fortement à savoir s’il s’agit d’un article dans le but de faire du sensationnalisme », car « aucune accusation judiciaire n’a été portée et le média en question fait autant de place à cet article que s’il en était le cas ». Le Conseil n’a constaté aucune déformation de la réalité. Les faits présentés étaient, par ailleurs, de nature publique. Le journal était donc libre de traiter de ce cas de reconnaissance de culpabilité d’une infirmière devant un conseil de discipline comme étant un sujet d’intérêt public méritant une couverture médiatique et cela, même si elle ne faisait face à aucun chef d’accusation.

Dans l’article en cause ici, le journaliste se contente de rapporter des faits relatifs aux démêlés judiciaires passés de l’auteur Yvan Godbout. Ces faits ne sont déformés d’aucune manière, et M. Siag rappelle que M. Godbout a été acquitté des accusations portées contre lui. Il n’y a aucune déformation, exagération ou interprétation abusive de la portée réelle des faits et des événements dans le passage ciblé par la plaignante, qui déplore en particulier la phrase strictement factuelle : « Hansel et Gretel, de l’auteur Yvan Godbout, qui avait été acquitté en 2020 – tout comme la maison d’édition AdA – pour production de pornographie juvénile. »

Pour ces raisons, le grief de sensationnalisme est rejeté. 

Conclusion

Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte d’Isabelle Gérin-Lajoie visant l’article « Les Contes interdits transposés au petit écran », du journaliste Jean Siag, publié dans La Presse le 24 juillet 2023, concernant les griefs de mention injustifiée d’antécédents judiciaires et de sensationnalisme.

La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :

Représentants du public

François Aird, président du comité des plaintes

Mathieu Montégiani

Représentants des journalistes

Rémi Authier

Paule Vermot-Desroches

Représentants des entreprises de presse

Stéphan Frappier

Jean-Philippe Pineault