Plaignant
La Société des
alcools du Québec [SAQ]
Représentant du plaignant
M. Serge Lamarche
(avocat, Lamarche, Bédard, Dubé 1/4 Proulx-Pasini)
Mis en cause
La Presse
[Montréal] et M. Guy Pinard (chroniqueur)
Résumé de la plainte
L’article «Deux
québécois au pays de Bacchus et de Gargantua», publié dans l’édition du 27
décembre 1981 de La Presse, a comme effet, par son ton tendancieux et sa
malveillance, de discréditer la plaignante aux yeux de l’opinion publique. Se
contentant d’une analyse superficielle d’un rapport confidentiel sur une
mission de la SAQ en France, le chroniqueur Guy Pinard semble prendre plaisir à
mettre l’accent sur les remarques humoristiques qu’y font les auteurs, et cela
en vue de faire croire au public que cette mission n’est pas sérieuse.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse du Québec a complété l’étude de la plainte de la Société des alcools du
Québec contre votre article paru dans La Presse du 27 décembre 1980 sous le
titre: «Deux Québécois au pays de Bacchus et de Gargantua». Dans cet article,
vous commentiez le rapport confidentiel de la mission qu’effectuaient, au cours
de l’année 1979, un administrateur et un cadre supérieur de la Société dans les
régions de Bordeaux et d’Armagnac.
La Société
dénonçait le ton tendancieux de votre article, y voyant «malveillance
délibérée» de votre part pour la discréditer aux yeux de l’opinion publique. Elle
vous faisait grief de votre analyse superficielle du rapport de la mission en
question et des véritables objectifs de ses responsables, vous contentant
plutôt de mettre l’accent sur certains des commentaires ou des remarques
humoristiques dont ces derniers ont étayé leur rapport et cela, en vue
d’inviter le public à croire qu’ils ne prenaient pas leur travail au sérieux.
La Société vous reprochait en outre d’avoir prêté à cette mission un mandat qui
lui était étranger soit celui de vérifier les possibilités d’acquisition d’une
entreprise vinicole.
Or, la liberté
de la presse, non plus que la liberté d’opinion, selon la plaignante, ne permet
à un journaliste, «qui prétexte l’humour parce qu’il n’a rien de sérieux à
dire, d’échafauder artificiellement quelques citations contenues dans un
rapport qu’il ne peut attaquer directement».
Commentaires du mis en cause
Contrairement à
votre habitude de traiter avec tout le sérieux qu’ils imposent les rapports que
vous êtes appelé à commenter, vous avez décidé, indiquiez-vous au Conseil,
d’emprunter, cette fois, un ton humoristique et sarcastique convenant, selon
vous, au rapport en question, le considérant «à tort ou à raison» comme une
«tartufferie».
D’autre part,
bien qu’ayant pris soin de décrire d’une façon exhaustive le mandat de la
mission en question, vous avertissiez le lecteur que vous mettiez l’accent sur
un aspect particulier du rapport de cette dernière qui se prêtait au ton que
vous aviez choisi de prendre pour rédiger votre article.
Quant à cette
facette du mandat confié à la mission en question de «vérifier les possibilités
d’acquisition par la Société d’une entreprise vinicole française», vous
repreniez l’évocation qu’y faisaient eux-mêmes les auteurs du rapport, appuyée
sur l’information contenue à ce sujet dans le plan quinquennal de la Société
dont vous aviez aussi pris connaissance.
Enfin, vous
informiez le Conseil que vous aviez invité la vice-présidente aux relations
publiques de la Société à donner son point de vue sur la série d’articles que
vous aviez consacrée à cette dernière. Or, comme votre série d’articles
concernait le plan quinquennal de la Société et non l’article qui fait l’objet
du présent cas, celle-ci s’était désistée vue que le plan en question ne
constituait et ne constitue encore qu’un document de travail qui ne représente
pas encore sa politique.
Analyse
Le Conseil ne retient pas, d’une part, de blâme contre vous pour votre article paru dans La Presse du 27 décembre 1980 sous le titre: «Deux Québécois au pays de Bacchus et de Gargantua» étant d’avis que vous vous êtes acquitté de votre fonction de chroniqueur conformément à votre responsabilité d’informateur public.
Le Conseil estime en effet que l’attention que décident de porter la presse et ses artisans à une question donnée relève de leur jugement et de leur discrétion rédactionnels. Le choix d’un sujet de même que la façon de le traiter leur appartiennent en propre. Encore un chroniqueur, de par le genre journalistique particulier que constitue la chronique, qui tient à la fois autant de l’éditorial et du commentaire que du reportage d’information, jouit-il d’une latitude particulière dans la formulation de ses jugements, l’expression de ses points de vue et de ses critiques. Il peut même, selon le style qui lui est propre, faire appel à l’humour et à la satire comme dans le présent cas. Bien sûr, cette discrétion et cette latitude ne sauraient s’exercer d’une façon absolue. Même par le truchement d’une chronique, le journaliste ne saurait se soustraire aux exigences de rigueur et d’exactitude, d’honnêteté et d’intégrité qui s’imposent à tous les professionnels de l’information.
Or, dans le présent cas, le Conseil n’est pas d’avis que la façon dont vous avez rédigé votre chronique vous vaille le blâme d’avoir manqué de rigueur ou de vous être laissé guider par un souci de recourir au sensationnel dans l’espoir de retenir la curiosité du public ou de vouloir discréditer la plaignante auprès de l’opinion publique.
Certes, si on peut à bon droit, comme le fait la Société des alcools, soutenir que votre article aurait largement gagné à être plus exégétique et que partant le public eut été informé d’une façon plus complète, le Conseil ne peut pour autant vous faire grief d’avoir manqué aux exigences de l’éthique journalistique ou aux impératifs du droit du public à l’information pour n’avoir pas traité d’une façon exhaustive de toutes les facettes du rapport en question.
D’autre part, un doute subsiste dans l’esprit du Conseil quant à l’invitation que vous auriez faite à la plaignante de faire valoir son point de vue sur l’article qui vous est reproché dans le présent cas. Rien n’indique en effet, dans vos explications, que ce soit à l’occasion de cet article en particulier que vous ayez offert à la plaignante d’exercer son droit de réplique.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C09B Droit de réponse insatisfaisant