D2023-11-076
Plaignant
François Gosselin Couillard
Mis en cause
Richard Martineau, chroniqueur
Mathieu Bock-Côté, chroniqueur
QUB radio
Québecor Média
Date de dépôt de la plainte
Le 9 novembre 2023
Date de la décision
Le 21 juin 2024
Résumé de la plainte
François Gosselin Couillard dépose une plainte le 9 novembre 2023 au sujet de l’épisode de l’émission « La rencontre Bock-Côté – Martineau » intitulé « Immigration : certaines communautés s’intègrent beaucoup plus difficilement, tranchent Mathieu et Richard », des chroniqueurs Richard Martineau et Mathieu Bock-Côté, diffusé sur QUB radio le 9 novembre 2023. Le plaignant déplore de la discrimination.
Contexte
La discussion visée par la plainte s’amorce alors que les deux chroniqueurs font état des résultats d’un sondage1 réalisé par l’Institut Environics et l’organisme Initiative du siècle portant sur l’immigration et les réfugiés. Le sommaire de l’étude indique : « En 2023, les Canadien.ne.s sont devenus moins satisfaits de l’orientation du pays et plus pessimistes au sujet de l’état de l’économie. En même temps, le pays a accueilli un nombre record d’immigrants. Dans ce contexte, la plus récente étude de Focus Canada montre qu’il y a eu une augmentation importante de la croyance selon laquelle il y a trop d’immigrants au Canada, en grande partie en raison d’un bond dans la proportion de personnes qui se disent préoccupées par la façon dont les nouveaux arrivants pourraient contribuer à la crise actuelle du logement. Cela reflète un changement radical depuis un an en ce qui concerne la façon dont le public perçoit le nombre d’immigrants acceptés, mais il n’y a pas eu de changement comparable dans ce que les Canadien.ne.s pensent des immigrants eux-mêmes ou de la contribution qu’ils apportent à leur collectivité et au pays. »
D’entrée de jeu, Richard Martineau qualifie ce sondage de « bonne nouvelle ». Il affirme : « On peut donc être contre l’immigration massive sans nécessairement être d’extrême droite ». Mathieu Bock-Côté observe que ce débat était auparavant inexistant au Canada. À son avis, les taux d’approbation à l’immigration massive ne correspondaient pas à la réalité. Selon lui, il y a un « interdit moral qui entoure la question de l’immigration massive » au Canada. Il affirme qu’« au Québec, là-dessus, on a réussi à imposer ce débat à partir des années 2007-2008, sur la crise des accommodements raisonnables. Et la vérité, c’est que ce débat-là, on a été capable de l’avoir tout au long de notre histoire jusqu’en 1995 et à partir de la crise des accommodements raisonnables. »
Par la suite, les deux chroniqueurs affirment que certains immigrants s’intègrent plus facilement que d’autres à la société d’accueil.
Principe déontologique relié au journalisme d’opinion
Journalisme d’opinion : (1) Le journaliste d’opinion exprime ses points de vue, commentaires, prises de position, critiques ou opinions en disposant, pour ce faire, d’une grande latitude dans le choix du ton et du style qu’il adopte. (2) Le journaliste d’opinion expose les faits les plus pertinents sur lesquels il fonde son opinion, à moins que ceux-ci ne soient déjà connus du public, et doit expliciter le raisonnement qui la justifie. (3) L’information qu’il présente est exacte et complète, tel que défini à l’article 9 du présent Guide. (article 10.2 du Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec)
Grief du plaignant
Grief 1 : discrimination
Principe déontologique applicable
Discrimination : « (1) Les journalistes et les médias d’information s’abstiennent d’utiliser, à l’endroit de personnes ou de groupes, des représentations ou des termes qui tendent, sur la base d’un motif discriminatoire, à susciter ou attiser la haine et le mépris, à encourager la violence ou à entretenir les préjugés. » (article 19 du Guide)
Le Conseil doit déterminer si les chroniqueurs se sont abstenus de tenir des propos discriminatoires envers des personnes ou des groupes dans les passages suivants :
« Richard Martineau : “Il y a personne qui se plaint qu’il y a trop de Chiliens au Québec ou qu’il y a trop de Vietnamiens ou qu’il y a trop d’Haïtiens ou qu’il y a trop d’Italiens, ce sont les gens qui s’intègrent bien. La communauté musulmane, c’est plus difficile. Je veux dire, qu’est-ce que tu veux que je te dise là, est-ce qu’on peut dire ça? […]”
Mathieu Bock-Côté : “Moi je pousserais ça plus loin. C’est le principe de compatibilité culturelle. Alors là, on le sait, les gardiens du régime diversitaire nous disent, ‘ah, vous parlez de compatibilité culturelle, c’est du racisme, c’est du racisme différentialiste’, ça c’est le terme qu’ils utilisent. Mais c’est les mêmes clowns habituels, on les connaît. […]”. »
Décision
Le Conseil de presse du Québec rejette le grief de propos discriminatoires suscitant ou attisant la haine et le mépris.
Analyse
Le plaignant considère que dans les extraits ci-dessus, les chroniqueurs ont tenu des propos discriminatoires qui suscitent et attisent la haine et le mépris envers les musulmans sur la base de leur religion.
Il affirme : « Richard [Martineau] classe les Chiliens, les Vietnamiens et les Haïtiens dans une catégorie. Puis, il place les musulmans dans une catégorie à part, “ils sont plus difficiles”, donc inférieure, nuisible. Et Mathieu [Bock-Côté] le relance en ajoutant le concept fumant de “compatibilité culturelle”. Sans toutefois avoir tout à fait le courage de le dire, Mathieu [Bock-Côté] sous-entend donc que les musulmans, dans leur ensemble, sont incompatibles avec la culture d’accueil, la québécoise. »
Selon le plaignant, les chroniqueurs « nomment des “groupes ethniques” puis les hiérarchisent ».
Il soutient : « Si vous prenez l’ensemble d’une catégorie de la population et que vous les jugez comme étant si étrangers à notre culture, si “incompatibles culturellement”, vous encouragez la haine envers ces personnes. Vous banalisez les violences qu’ils subissent. Vous dites à l’auditoire que c’est correct de les considérer comme des sous-humains. […] Dire qu’une catégorie de la population est incompatible fait d’eux des personnes inassimilables, à mettre au ban de la société. Simplement en raison de leur culture et/ou de leur religion. Comme lors des moments les plus sombres de l’histoire de l’humanité. »
Les mis en cause n’ont pas souhaité répondre à la plainte.
L’analyse d’un grief de discrimination doit se faire sur la base des propos diffusés et non sur l’interprétation que’on peut en faire. Alors que le plaignant considère que Richard Martineau « place les musulmans dans une catégorie à part, “ils sont plus difficiles”, donc inférieure, nuisible », on constate que ce n’est pas ce que dit M. Martineau. Lorsque le chroniqueur affirme : « Il y a personne qui se plaint qu’il y a trop de Chiliens au Québec ou qu’il y a trop de Vietnamiens ou qu’il y a trop d’Haïtiens ou qu’il y a trop d’Italiens, ce sont les gens qui s’intègrent bien. La communauté musulmane, c’est plus difficile », il ne dit pas que les musulmans sont «inférieurs » ou « nuisibles ».
Au sujet des propos de Mathieu Bock-Côté, le plaignant interprète les mots du chroniqueur lorsqu’il déplore : « Et Mathieu [Bock-Côté] le relance en ajoutant le concept fumant de “compatibilité culturelle”. Sans toutefois avoir tout à fait le courage de le dire, Mathieu [Bock-Côté] sous-entend donc que les musulmans, dans leur ensemble, sont incompatibles avec la culture d’accueil, la québécoise. » On ne saurait blâmer le chroniqueur alors que le plaignant reconnaît lui-même qu’il n’a pas « tout à fait le courage de le dire » et qu’il « sous-entend donc que les musulmans, dans leur ensemble, sont incompatibles avec la culture d’accueil, la québécoise ». L’analyse doit porter sur les propos tenus par les chroniqueurs et non l’interprétation que le public a pu en faire ou les sous-entendus qu’il a pu détecter.
Lorsque l’analyse des allégations démontre que le plaignant interprète les paroles du journaliste visé par sa plainte, le grief est rejeté, comme dans le dossier D2019-05-078. Dans ce cas, le chroniqueur soutenait que « Toutes les religions ont du mal à s’adapter à la modernité. C’est indéniablement au sein de l’islam que ces difficultés provoquent les tensions les plus vives. On peut, par exemple, être choqué par les écoles illégales des juifs ultra-orthodoxes, mais au moins, ces gens ne sont pas violents et n’aspirent pas à imposer leur foi au reste de l’humanité. » De son côté, le plaignant avançait qu’« avec ses propos [sur le fait que] que les musulmans sont violents », le chroniqueur « suscite et attise la haine et le mépris contre les musulmans » et qu’il « encourage indirectement la violence ou à entretenir les préjugés envers eux ».
De la même façon, dans le cas présent, en s’arrêtant uniquement aux propos tenus par les deux chroniqueurs, il apparaît qu’ils ne suscitent ni n’attisent la haine et le mépris envers les musulmans. Les chroniqueurs donnent leurs perspectives sur l’immigration. Leur point de vue peut déplaire à certains, mais il n’est pas pour autant discriminatoire, d’autant qu’à l’écoute de tout le segment, on constate qu’ils nuancent leurs prises de position en étayant leur argumentaire.
Ainsi, au sujet de l’intégration des musulmans, Richard Martineau nuance son opinion lorsqu’il dit : « La communauté musulmane, c’est plus difficile. […] Pas tous, pas tous, pas tous, évidemment. C’est comme les catholiques, il y a des modérés pis il y a des gens qui s’intègrent très bien, il n’y a aucun problème, mais il y a une frange de la communauté musulmane qui est plus difficile à intégrer. » Mathieu Bock-Côté, de son côté, même s’il observe des problèmes d’intégration en Europe, reconnaît que ce n’est pas le cas de la majorité des musulmans : « Mais qu’est-ce qu’on constate en Europe, c’est globalement l’islam qui s’y est installé massivement depuis 30 ou 40 ans, ça ne fonctionne pas. Ça ne veut pas dire qu’il n’y a pas des musulmans qui s’intègrent très bien, ça ne veut pas dire qu’il n’y en a pas des milliers qui s’intègrent très bien, ça ne veut pas dire qu’il y en a pas des millions qui s’intègrent très bien. Ça veut dire qu’il y en a beaucoup aussi qui s’intègrent pas très bien et l’enjeu est le suivant, et c’est là la bataille, c’est là où la distinction entre islam et islamisme est importante. »
Au sujet de la « compatibilité culturelle », Mathieu Bock-Côté précise sa pensée dans ce passage : « Il y a plus de chances qu’un Haïtien s’intègre au Québec qu’un Pakistanais ne s’y intègre. Pas parce que les Pakistanais sont des mauvaises personnes, pas parce que les Haïtiens sont en soi des meilleures personnes. Parce qu’il y a plus de points de contacts culturels à cause de la langue, à cause de la proximité géographique, à cause de la présence déjà d’une diaspora. Il y a plus de points de contact, par exemple, entre le Québec et les Haïtiens qu’entre le Québec et le Pakistan. On pourrait donner d’autres exemples. C’est plus facile d’intégrer un Français, au Québec, que d’intégrer un Allemand. »
Ces extraits permettent de constater que les chroniqueurs ne généralisent pas leur opinion à tous les immigrants de confession musulmane et qu’ils ne suscitent ni n’attisent la haine et le mépris envers eux. Leur point de vue ne concerne qu’une frange de la communauté musulmane plus fondamentaliste. Même si le plaignant ne partage pas leur opinion, les chroniqueurs peuvent l’exprimer, avec toutes les nuances apportées, sans pour autant faire preuve de discrimination.
Les propos visés par la décision D2017-10-117 sont un exemple de ce qui constitue, en déontologie, susciter de la haine ou du mépris sur la base d’un motif discriminatoire. Ce dossier visait l’intervention suivante d’un chroniqueur : « On pourrait prendre nos guns comme les Américains, pis on tire des écureuils […] En fait, moi, j’aurais aimé pouvoir chasser les séparatistes, mais ça a l’air que c’est pas possible. » Le Conseil a fait valoir que le chroniqueur « a dénigré les partisans de la séparation du Québec en les assimilant à des écureuils que l’on souhaite tuer, ce qui est déshumanisant et témoigne d’un sentiment de haine. »
A contrario, dans le cas présent, les chroniqueurs ne tiennent pas de propos qui suscitent ou attisent la haine et le mépris envers un groupe en général.
Grief irrecevable : propos discriminatoires entretenant les préjugés et encourageant la violence
Dans sa plainte, le plaignant considérait également que les propos des deux chroniqueurs entretenaient les préjugés et encourageaient la violence. Ces aspects du grief de discrimination ont été jugés non recevables parce que les arguments du plaignant n’étaient pas suffisamment précis, malgré les explications fournies à la demande du Conseil. Or, comme l’indique l’article 13.01 du Règlement 2 du Conseil de presse du Québec sur l’étude des plaintes du public : « Une plainte doit viser un journaliste ou un média d’information et porter sur un manquement potentiel au Guide de déontologie journalistique du Conseil de presse du Québec. Ce manquement doit être significatif et précis. »
Note
Le Conseil de presse déplore le refus de collaborer de QUB radio, qui n’est pas membre du Conseil et n’a pas répondu à la présente plainte.
Conclusion
Le Conseil de presse du Québec rejette la plainte de François Gosselin Couillard visant l’épisode de l’émission « La rencontre Bock-Côté – Martineau » intitulé « Immigration : certaines communautés s’intègrent beaucoup plus difficilement, tranchent Mathieu et Richard », les chroniqueurs Richard Martineau et Mathieu Bock-Côté, ainsi que QUB radio concernant le grief de discrimination.
La composition du comité des plaintes lors de la prise de décision :
Représentants du public
Renée Lamontagne, présidente du comité des plaintes
Olivier Girardeau
Représentants des journalistes
Rémi Authier
Vincent Brousseau-Pouliot
Représentant des entreprises de presse
Stéphan Frappier
1 Environics Institute, « Canadian Public Opinion About Immigration », https://www.environicsinstitute.org/projects/project-details/public-opinion-about-immigration-refugees