Plaignant
Mme Katherine
Lippel et Mme Suzanne Guillet (avocates)
Mis en cause
Allô Police
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Georges-André
Parent (directeur, Allô Police [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans son édition
du 25 avril 1982, Allô Police mène une campagne de salissage à l’endroit de la
cliente des plaignantes, assassinée par son mari. Le journal rapporte sans
discernement le témoignage de ce dernier à l’enquête du coroner, et décrit à
tort la victime comme une femme infidèle qui a abandonné ses enfants et son
mari. Les jugements de valeur du journal ont pour effet de promouvoir la
violence faite aux femmes et d’approuver tacitement un meurtre des plus sanguinaires.
L’orientation générale d’Allô Police va à l’encontre de l’intérêt public.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de mesdames Katherine Lippel et Suzanne
Guillet, avocates, qui reprochaient au journal Allô Police d’avoir publié, dans
son édition du 25 avril 1982, des faussetés sur une de leurs clientes,
assassinée par son mari, en rapportant sans discernement le témoignage de ce
dernier à l’enquête du coroner. Allô Police avait mené, selon les plaignantes,
une campagne de salissage à l’endroit de la victime, comparable à cette
traditionnellement réservée aux victimes de viol, en la décrivant, sans prendre
la peine de vérifier les nombreux rapports de police révélant que son mari
l’avait battue à maintes reprises, comme une femme infidèle ayant abandonné ce
dernier ainsi que ses enfants.
Mesdames Lippet
et Guillet reprochaient aussi à votre journal ses jugements de valeur à
l’endroit de la personne en question tels: «Cette femme au coeur plutôt volage»,
«morte d’avoir été trop libérée», etc. Selon elles, un tel langage avait pour
effet de promouvoir la violence faite aux femmes et d’approuver tacitement un
meurtre des plus sanguinaires. Un autre article paru dans la même édition
intitulé: «Tout le monde s’accorde pour dire que c’était une fille toujours à
sa place», illustrait aussi très bien, à leur avis, le sort que votre journal
réservait aux femmes.
Enfin, les
plaignantes précisaient que leur plainte ne se limitaient pas à un cas en
particulier, mais à la politique générale de votre journal qui, selon elles, va
à l’encontre de l’intérêt public.
Commentaires du mis en cause
Vous informiez
pour votre part le Conseil que les soi-disant faussetés qu’aurait rapportées
Allô Police étaient uniquement imputables au mari de la victime dont les
déclarations à l’enquête du coroner avaient été rapportées honnêtement et
fidèlement. Selon vous, il n’appartenait pas à la presse, mais plutôt aux
autorités policières et judiciaires, de vérifier l’authenticité des déclarations
faites devant elles.
Quant à la
conclusion du reportage à l’effet que la dame en question était morte pour
«avoir été trop libérée», elle découlait simplement du seul témoignage entendu.
A ce sujet, vous faisiez remarquer au Conseil que la légère peine
d’emprisonnement imposée au mari, soit quarante mois de prison, ne s’expliquait
que par le «caractère» et la façon de vivre dite «libre et libérée» de la
victime. Enfin, il était farfelu, selon vous, de prêter au reportage en
question l’intention de «rechercher l’acceptation sociale d’un meurtre» comme
le soutenaient les plaignants.
Analyse
Le Conseil est d’avis qu’en faisant état du témoignage du mari de la victime au cours de l’enquête du coroner, Allô Police n’a pas dérogé aux exigences de l’éthique journalistique. Le fait de rapporter fidèlement les propos de quelqu’un ne constitue pas un manque de rigueur professionnelle.
Toutefois, le Conseil est d’avis que, en concluant que la victime était «morte pour avoir été trop libérée» et qu’elle «aura payé de sa vie sa libération féminine», Allô Police a porté un jugement de valeur effectivement préjudiciable à la victime et aux femmes en général, susceptible d’encourager la violence envers elles. Aussi, le Conseil invite-t-il Allô Police à prendre les mesures nécessaires pour éviter dans l’avenir d’exploiter ce genre de clichés et d’entretenir ce genre de préjugés.
Enfin, le Conseil déplore que dans le traitement de sujets de ce genre, Allô Police ait trop souvent recours au sensationnel sans mesurer les lourdes conséquences qui peuvent en résulter et il incite une fois de plus votre journal à une grande circonspection dans le traitement de ces drames humains.
Analyse de la décision
- C03C Sélection des faits rapportés
- C14A Sensationnalisme/exagération/insistance indue
- C18C Préjugés/stéréotypes