Plaignant
M. David Giauque
Mis en cause
La Société
Radio-Canada [Montréal] et M. Pierre Leduc (réalisateur)
Représentant du mis en cause
M. Thomas
Wm.
Clark (conseiller juridique, Société Radio-Canada [Ottawa])
Résumé de la plainte
Le réalisateur
Pierre Leduc de Radio-Canada enregistre une conversation téléphonique avec le
plaignant portant sur de présumées irrégularités à la Société d’habitation du
Québec. Il transmet ensuite cet enregistrement à un ex-associé du plaignant,
qui s’en sert pour le poursuivre en diffamation.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de monsieur David Giauque qui vous
reprochait d’avoir, au cours d’une enquête journalistique sur de présumées
irrégularités commises à la Société d’habitation du Québec (SHQ), enregistré, à
son insu, une conversation téléphonique et de l’avoir transmise à l’un de ses
anciens associés, qui s’en est servi pour lui intimer une poursuite en
diffamation. Monsieur Giauque considérait qu’une telle façon d’obtenir et de
transmettre ainsi des renseignements confidentiels constituait un manquement
grave à l’éthique professionnelle.
Commentaires du mis en cause
La Société
Radio-Canada informait le Conseil que vous étiez entré en contact à deux
reprises avec le plaignant. C’est en la présence de l’ex-associé, par ailleurs votre
principale source d’information dans le dossier de la SHQ, que vous auriez
enregistré la deuxième conversation. L’ex-associé en question aurait alors pris
connaissance, «took communication of», d’une transcription ou de
l’enregistrement même. Quant à vous, vous n’auriez remis cet enregistrement
qu’au tribunal sans vous en servir dans vos reportages d’information,
respectant ainsi le caractère confidentiel de votre conversation avec le
plaignant.
Considérant de
plus l’enregistrement des conversations comme une façon de prendre des notes
adaptée à l’évolution technologique, la Société Radio-Canada soutenait qu’il y
a des circonstances où il serait contre-indiqué d’en prévenir ses
interlocuteurs. Dans le présent cas, la nature sérieuse des allégations faites
sur la Société d’habitation, la réputation des personnes impliquées et la
vulnérabilité juridique des responsables du reportage vous commandaient
d’enregistrer, par mesure de prudence, les propos du plaignant. Comme ceux-ci
mettaient sérieusement en doute la crédibilité de son ex-associé et, par
conséquent, celle de la Société Radio-Canada même, vous aviez jugé prudent de
les enregistrer en vue d’en vérifier la teneur. Enfin, selon Radio-Canada, il
serait illusoire de penser que le plaignant vous eût parlé aussi ouvertement
s’il avait su que ses propos étaient enregistrés.
La Société
Radio-Canada affirmait aussi que les poursuites judiciaires engagées contre le
plaignant par l’ex-associé de ce dernier n’étaient pas basées sur
l’enregistrement, mais bien sur la nature même de ses propos; encore que le
plaignant aurait dû savoir, selon la Société, que vu leur gravité, ils seraient
nécessairement portés à la connaissance de l’ex-associé en question.
D’ailleurs,
jamais plaignant ne vous avait-il demandé de ne pas communiquer ses propos à
son ex-associé. Au contraire, et selon l’enregistrement même, vous avait-il
lui-même invité à les vérifier auprès de ce dernier. Votre seul engagement
avait été de ne pas les diffuser sur les ondes, engagement que vous aviez
respecté.
Enfin, la
Société Radio-Canada niait que vous ayez été le seul au courant des accusations
proférées par le plaignant, ce dernier ayant admis en avoir également fait part
au journal The Gazette ainsi qu’au réseau CTV.
Réplique du plaignant
Persistant dans
sa conviction que vous aviez fait preuve de «malhonnêteté» et que vous aviez
manqué à l’éthique professionnelle, monsieur Giauque maintenait que vous vous
étiez laissé guider par les étroites relations que vous mainteniez avec votre
informateur sur les insistances duquel vous aviez communiqué avec lui «dans le
but d’enregistrer cette conversation».
Selon monsieur
Giauque, vous n’auriez non plus aucunement vérifié ses allégations auprès de
votre informateur, allégations corroborées par deux autres personnes qui vous
avaient suggéré de le contacter. Il n’en voulait pour preuve que le fait que
ces deux personnes n’avaient aucunement été inquiétées par son ex-associé, lui
seul ayant été victime d’une poursuite judiciaire dont le libellé, faisant
référence à la conversation enregistrée, se lit comme suit: «Il y a trois
semaines approximativement, vous avez… tenu des propos libelleux et
diffamatoires». Etant donné que sa première conversation avec vous était
«complète en elle-même», monsieur Giauque se disait porté à croire que la
seconde n’avait pour but que de fournir des motifs de plaintes à son
ex-associé. D’autre part, si tel avait été votre intention de confronter les
parties, plutôt que d’enregistrer cette deuxième conversation, vous les auriez
rencontrées directement.
Analyse
Le Conseil doit vous blâmer dans ce cas pour la façon dont vous vous êtes comporté avec le plaignant en enregistrant ses propos à son insu et en présence de son ex-associé. Or, une telle façon de faire contrevient à l’éthique journalistique par son manque de probité et d’intégrité professionnelle. Le Conseil réprouve donc le fait que des professionnels de l’information aient recours à de semblables méthodes. L’utilisation de magnétophones comme instruments de travail ne doit pas exempter les professionnels de l’information de jouer franc jeu avec leurs sources.
Analyse de la décision
- C23E Enregistrement clandestin