Plaignant
M. Yvon Trudel
Mis en cause
The Gazette
[Montréal] et Mme Stephanie Whittaker (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Mark Harisson
(rédacteur en chef, The Gazette [Montréal])
Résumé de la plainte
The Gazette
utilise des expressions telles «watch dog», «language police», «tongue trooper»
et «vocabulary constabulary» pour désigner la Commission de surveillance de la
langue française, tant dans ses articles d’information qu’en éditorial. Ces
qualificatifs contribuent à discréditer la Commission auprès de l’opinion
publique et à exarcerber les tensions linguistiques au Québec. De plus, la
pratique de ce journal est discriminatoire à l’endroit de l’organisme
concernée, puisqu’il respecte les appellations officielles dans le cas des
autres organismes gouvernementaux.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de monsieur Yvon Trudel qui reprochait à
votre journal d’utiliser fréquemment, dans ses articles d’information, le terme
«watchdog» pour désigner la Commission de surveillance de la langue française.
Il s’en prenait particulièrement à l’article «Sign watchdog told it was too
strict» ainsi qu’à l’éditorial «Give watchdogs vacation» parus dans l’édition
du 16 juillet 1983.
Une telle
appellation pour désigner l’organisme en question était inspirée, selon
monsieur Trudel, par la volonté de votre journal de promouvoir, dans ses pages
d’information, la politique défendue en éditorial qui lui est dictée par son
appartenance au groupe torontois Southam.
Confondre ainsi
délibérément et de façon répétitive «information» et «éditorial» lui semblait
donc constituer un manque d’éthique et de professionnalisme. Une telle pratique
était aussi discriminatoire à l’endroit de la CSLF, votre journal s’en tenant
aux appellations officielles dans le cas des autres organismes gouvernementaux.
Elle était non moins propre à discréditer cet organisme dans l’opinion publique
et à exacerber les tensions entre les francophones et les anglophones sur la
question linguistique.
Commentaires du mis en cause
Considérant la
plainte sans fondement, vous prétendiez que le terme «watchdog» n’était pas
plus péjoratif dans ce cas que dans de nombreux autres, tels l’Association des
consommateurs canadiens, la Société Sainte-Jean-Baptiste de Montréal, le
Mouvement national des Québécois qu’on désignait fréquemment sous cette
appellation dans les médias ou qui encore d’identifiaient eux-mêmes comme tel.
Rien n’obligeait non plus les médias à s’en tenir aux seules appellations
officielles, car en plus des problèmes de rédaction et d’espace que cela
pouvait occasionner, ils devraient s’interdire l’emploi d’expressions courantes
telles par exemple «The Mounties».
Réplique du plaignant
Monsieur Trudel
estimait que vos exemples étaient mal choisis et que le terme «watchdog» était
dans certains cas inapproprié car il avait comme effet de créer une image
déformée de la mission, du mandat et du rôle des organismes ainsi désignés.
Appliquée à la CSLF, cette appellation avait une connotation nettement
péjorative tout comme l’emploi fréquent dans votre journal des expressions
«language police», «tongue troopers» et «vocabulary constabulary». Quant aux
difficultés «d’édition» que vous évoquiez, monsieur Trudel prétendait que le
sigle CSLF prenait moins d’espace que le mot «watchdog» et était aussi
acceptable que les sigles que vous employez habituellement pour désigner les
autres organismes.
Analyse
Utilisés de façon répétée et systématique dans des articles d’information, les termes dénoncés pour désigner la Commission de surveillance de la langue française peuvent être péjoratifs et propres à discréditer cet organisme.
Le Conseil n’a pas à établir, bien sûr, de lexique des termes que les médias ou les professionnels de l’information doivent employer ou éviter, les décisions à cet égard relevant de leur autorité et de leur discrétion rédactionnelles. Les médias et les professionnels de l’information doivent cependant peser l’emploi des mots qu’ils utilisent, être fidèles aux faits et faire preuve de rigueur dans l’information afin de ne pas induire le public en erreur sur la vraie nature des situations ou encore l’exacte signification des événements. Ils doivent aussi éviter, de par le vocabulaire qu’ils emploient, d’entretenir les préjugés. Leur latitude rédactionnelle se mesure aussi au respect qu’ils doivent avoir pour les personnes, les organismes, les groupes et les événements.
Le Conseil ne retient pas de blâme cependant sur l’éditorial incriminé. L’éditorial se distingue de l’information brute en ce qu’il constitue une tribune réservée soit à l’éditeur soit à l’éditorialiste pour qu’ils expriment leurs vues, leurs convictions, leurs opinions et leurs points de vue. Ces genres sont essentiellement du journalisme d’opinion et une manifestation de la liberté de la presse. Son contenu relève de la liberté de l’éditeur qui est libre d’établir la politique de l’organe d’information en cette matière.
Analyse de la décision
- C17D Discréditer/ridiculiser
Date de l’appel
13 June 1984
Appelant
The Gazette
[Montréal]
Décision en appel
Le Conseil
maintient à l’unanimité et en tout point la décision rendue par le Comité des
cas, à l’exception du président du Conseil, M. Gérard Filion, qui enregistre sa
dissidence.
Commentaires des dissidents à propos de la décision en appel
Dissidence de M.
Gérard Filion:
1. La
distinction entre l’éditorial et «l’information brute», tel qu’il est mentionné
dans la décision originale, est valable, mais elle est loin de couvrir toute
les facettes du journalisme. Entre ces deux formes de journalisme, il y a un
grand nombre de genres qui se pratiquent dans tous les journaux. L’enquête,
l’analyse, la chronique, la correspondance, la «colonne», etc., sont autant de
fonctions qui donnent aux titulaires une grande liberté de manoeuvre. Le sport,
la mode, les affaires, les spectacles, le cinéma, la politique à tous les
niveaux, pour n’en nommer que les plus connus, donnent lieu à des jugements
critiques qui débordent largement la page éditoriale. Dans un quotidien bien
fait et bien équilibré, il y a plus de jugements formulés en dehors de la page
éditoriale que dans ses colonnes.
Par conséquent,
que le chroniqueur de The Gazette qui couvre les activités de la Commission de
surveillance de la langue française porte des jugements sur les actes qu’elle
pose ou les injustices, vraies ou appréhendées, qu’elle commet, il n’y a là
rien d’anormal. C’est du bon journalisme.
2. La Loi 101 et
les organes qui en découlent sont des institutions de droit public, financées
par des fonds publics et soumises à la critique de l’opinion publique. Au
surplus, des dispositions importantes de la Loi 101 ont été déclarées
insconstitutionnelles par les tribunaux. D’autres, aussi importantes, font
présentement l’objet de contestation devant les cours de justice. De plus, le
gouvernement qui a fait voter cette loi a lui-même reconnu que certaines
dispositions étaient injustes et vexatoires, et il les a corrigées par la Loi
57. Ce qui veut dire que la campagne menée par The Gazette était fondée puisque
le gouvernement a été forcé de laisser tomber des pans importants de l’édifice
qu’il avait érigé.
La fonction
d’une presse libre dans une société démocratique, c’est de dénoncer les abus de
pouvoir, de combattre les injustices, de stigmatiser l’arrogance des
gouvernements. Ce qui serait condamnable, ce serait de pousser à la
désobéissance de la loi, ce que The Gazette n’a pas fait, mais en dénoncer les
injustices, mettre au pilori ses auteurs, faire campagne pour faire battre le
gouvernement, c’est le droit strict d’une presse libre dans une société
démocratique.
3. Pour ce qui
est des expressions «watch dog», «tongue troopers», etc. – en français on
dirait les flics de la langue, les «beus» de la culture – il y a plus de trois
siècles qu’un dénommé Boileau, poète et critique littéraire de son métier, a
tranché le débat en enjoignant aux hommes de lettres de son temps d’«appeler un
chat un chat et Rollin un fripon».
Griefs pour l’appel
The Gazette
demande au Conseil de réviser sa décision pour les motifs que ce dernier, d’une
part, n’aurait pas respecté ses propres règlements en étudiant la plainte sans
que le plaignant ne se soit d’abord adressé au journal et, d’autre part, parce
que le terme «watch dog» ne peut être considéré en aucune façon comme péjoratif
et offensant, son utilisation étant largement répandue et l’Office de la langue
française en reconnaissant lui-même le caractère acceptable.
Dissidents en appel
M. Gérard Filion