Plaignant
M. Paul-Henri
Frenière, Mme Louise Lamothe, Mme Marielle Raîche et M. Alain Rodier (ex-journalistes,
Le Courrier de Saint-Hyacinthe)
Mis en cause
Le Courrier de
Saint-Hyacinthe et M. Pierre Bornais (rédacteur en chef)
Représentant du mis en cause
M. Jean Chartier
(président et éditeur, Le Courrier de Saint-Hyacinthe)
Résumé de la plainte
Le Courrier de
Saint-Hyacinthe se livre au sensasionnalisme en publiant la photo d’un homme
accusé d’inceste et de sa fille, alors mineure, présumée victime des
agissements de son père. Le journal congédie un des plaignants pour avoir
refusé de rédiger la nouvelle devant accompagner cette photo, et considère
comme démissionnaires ses collègues qui quittent leur travail par solidarité.
Le journal informe mal la population sur cette affaire en taisant les
nombreuses lettres de protestation, l’appel au boycottage lancé par les
plaignants et la pétition qui appuie ces derniers. Son rédacteur en chef, M.
Pierre Bornais, réécrit un article déjà paru dans Photo Police sans prendre le
temps de vérifier les informations qu’il rapporte.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de mesdames Louise Lamothe et Marielle
Raîche et de messieurs Paul-Henri Frenière et Alain Rodier, ex-journalistes au
Courrier de Saint-Hyacinthe. Ces derniers accusaient votre journal d’avoir
enfreint l’éthique journalistique en publiant une photo obtenue de Photo Police
et représentant un homme accusé d’inceste, son ex-épouse ainsi que l’une de
leurs filles, alors mineure, présumée victime de son père.
Monsieur
Frenière prétendait qu’après avoir refusé de rédiger la nouvelle que devait accompagner
ladite photo, vous l’auriez congédié pour ensuite considérer comme
démissionnaires ses trois collègues qui, par solidarité, ont quitté leur
travail, ne pouvant non plus accepter que des journalistes à l’emploi d’une
entreprise de presse dussent «se soumettre servilement à des décisions qui ne
respectent pas les règles de l’éthique et de la déontologie».
Les plaignants
estimaient en outre que par la publication de la photo en question, votre
journal s’était livré au sensationnalisme, au mépris des personnes en cause.
Cette photo, d’autre part, permettait l’identification d’une personne alors
mineure. Loin de servir l’intérêt public, une telle façon de faire ne faisait
«qu’alimenter la curiosité morbide d’une certaine clientèle» et n’ajoutait rien
à la compréhension de l’événement.
Les plaignants
vous reprochaient également d’avoir, en général, mal informé la population sur
toute l’affaire, notamment en passant sous silence les nombreuses lettres de
protestation adressées à votre journal et en taisant leur appel au boycottage
ainsi que la pétition les appuyant, signée par plus de 4 000 personnes.
Ils
considéraient enfin que vous aviez fait preuve «d’un manque de rigueur
professionnelle» incompatible avec le poste que vous occupez en réécrivant un article
déjà paru dans Photo Police sans prendre le temps de vérifier les informations
qui s’y trouvaient.
Commentaires du mis en cause
Dans votre
réplique, vous-même et le président et éditeur de votre journal, monsieur Jean
Chartier, prétendiez n’avoir aucunement brimé la liberté d’expression du
journaliste congédié non plus que de ne l’avoir entravé dans son travail, ce
dernier étant demeuré «libre d’écrire l’article qu’il désirait et d’y tenir les
propos qu’il souhaitait». En s’objectant toutefois à ce que des photos
accompagnent son article, le journaliste avait pris une décision qui relevait
de la mise en pages du journal en contestant de ce fait «le droit de
l’employeur à lui soumettre quelque directive que ce soit».
«Une nouvelle de
cette importance» se devait, disiez-vous, d’être «accompagnée de photographies
si possible». «L’importance du sujet, le fait que les événements se situaient
dans la région et l’impact sur la population des articles déjà publiés dans
d’autres journaux, obligeaient votre journal à faire plus qu’un entrefilet». Et
comme le journaliste chargé de cette affaire «avait cru bon de ne pas avoir
recours au photographe mis à sa disposition» pour illustrer la nouvelle, vous
aviez jugé utile de faire appel au seul dépositaire des photos pertinentes,
soit Photo Police.
La photo
utilisée en première page était tellement floue, selon vous, qu’elle rendait
«bien improbable toute identification». Sans légende ou précision particulière,
elle ne visait certes pas à causer préjudice à la fille mineure du prévenu,
puisqu’elle n’était pas identifiée et qu’aucun détail n’était donné sur les
crimes particuliers dont elle aurait été victime. Le problème ne se posait
d’ailleurs plus, prétendiez-vous, puisque cette jeune fille était maintenant
majeure et qu’elle avait témoigné au procès de son père. Enfin, la vignette
accompagnant la photo intérieure représentant l’ex-épouse du prévenu et un bébé
que celui-ci aurait eu de l’une de ses filles n’identifiait, pour sa part, que
l’ex-épouse. Il était donc douteux que «dans le futur cette photo puisse
permettre d’identifier le sujet qui s’y trouve».
Vous estimiez
aussi que les plaignants avaient bien tort d’accuser votre journal d’avoir mal
renseigné ses lecteurs sur les événements en question, celui-ci s’en étant tenu
à l’essentiel «afin d’éviter d’envenimer davantage une situation déjà mal
partie».
Enfin, vous
laissiez au Conseil le soin d’évaluer l’appel au boycottage des plaignants
contre votre journal, y voyant, pour votre part, une attaque directe contre le
droit à l’information et dénonçant le fait qu’on puisse l’utiliser «comme moyen
de pression ou pour donner des leçons à la direction d’un journal».
Analyse
Le Conseil estime que votre journal n’aurait pas dû publier les photos en question qui permettent, à l’aide des textes consacrés au drame, d’identifier les personnes mineures qui s’y trouvent. Même en l’absence de dispositions légales l’interdisant, la presse devrait s’abstenir d’elle-même de publier quoi que ce soit qui puisse permettre l’identification des personnes mineures victimes, accusées ou témoins de drames humains ou d’actes criminels afin de ne pas compromettre leurs chances de réhabilitation sociale ou familiale.
Indépendamment même de l’âge des personnes, la presse devrait éviter d’exploiter les crimes sexuels et d’en identifier les victimes pour épargner justement à ces dernières, en plus des traumatismes qu’elles subissent déjà, les vicissitudes de la notoriété publique.
Par ailleurs, bien que le choix et le traitement de l’information relèvent du jugement rédactionnel des médias, ceux-ci se doivent d’informer leurs lecteurs sur les événements d’intérêt public, même lorsque de tels événements les concernent directement. Or, en l’instance, le Conseil est d’avis que le journal aurait dû informer la population sur la controverse publique suscitée par la parution du reportage en question.
Le Conseil ne retient toutefois pas le grief vous accusant d’avoir manqué de rigueur, en récrivant la nouvelle en question à partir de l’information que vous déteniez de Photo Police. A ce qu’il semble, vous n’avez pas rapporté d’informations fausses ou inexactes et nul n’a à contester le choix des sources d’information d’un journaliste.
Le Conseil désapprouve l’appel au boycottage contre votre journal en rappelant qu’il s’agit là de méthodes susceptibles de porter atteinte à la liberté de la presse et au droit à l’information. Ce n’est pas parce qu’on est en désaccord avec la façon dont la presse s’acquitte de sa tâche qu’on doivent s’en remettre à pareilles méthodes. Nul ne peut en effet dicter à la presse le contenu de l’information ni la façon de la traiter sans s’exposer à faire de la censure ou à vouloir l’orienter à sa façon ou suivant ses intérêts.
Enfin, le Conseil, n’ayant pas compétence en matière de relations de travail dans les entreprises de presse, n’a pas à se prononcer sur la question du congédiement et des démissions qu’a entraînés cette affaire. Il regrette toutefois que les parties en cause n’aient pu en arriver à une entente sur le principe d’éthique soulevé dans ce cas.
Analyse de la décision
- C02A Choix et importance de la couverture
- C06C Appel au boycottage/représailles
- C06I Congédiement d’un journaliste
- C15A Manque de rigueur
- C16B Divulgation de l’identité/photo