Plaignant
M. Aimé
Trottier; M. Raymond Martel
Mis en cause
CFCF-AM
[Montréal] et M. Chrys Goyens (animateur)
Représentant du mis en cause
M. Guy Morin
(vice-président, CFCF-AM [Montréal])
Résumé de la plainte
Au lendemain de
la fusillade du 8 mai 1984 à l’Assemblée nationale du Québec, l’animateur Chrys
Goyens de CFCF exacerbe les sentiments francophobes de ses auditeurs en leur
demandant de réagir à l’opinion de ceux qui approuvent les motifs ayant poussé
le caporal Denis Lortie à poser son geste.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude des plaintes de messieurs Aimé Trottier et Raymond
Martel qui s’en prenaient à la question posée par l’animateur Chrys Goyens, au
cours d’un sondage lancé par CFCF auprès de ses auditeurs, dans laquelle il
leur demandait de réagir à l’opinion de ceux qui approuvaient les motifs qui
avaient poussé le caporal Denis Lortie à la fusillade de l’Assemblée nationale,
le 8 mai 1984.
Selon monsieur
Trottier, CFCF méritait un blâme sévère car, «sans vouloir faire de procès
d’intention à la direction de ce poste, l’on peut affirmer qu’elle savait très bien
à l’avance quelle serait la nature des propos et des opinions de ses auditeurs
dont les sentiments francophones lui étaient bien connus».
Pour sa part,
monsieur Martel considérait que CFCF incitait une fois de plus ses auditeurs à
la violence «par des questions piégées». Selon lui, en effet, les événements du
8 mai à l’Assemblée nationale étaient en eux-mêmes assez désastreux et
inquiétants sans que «le lendemain CFCF mette de l’huile sur le feu par cette
honteuse ligne téléphonique».
Commentaires du mis en cause
Vous souteniez
pour votre part que les commentaires des plaignants n’étaient pas fondés sur le
texte même de la question posée en ondes, «mais plutôt sur la perception»
qu’ils en ont eue à la suite des reportages et commentaires de la presse écrite
et parlée. Dès lors, vous apparaissait-il important que l’analyse du Conseil
porte également «sur l’environnement créé par les médias dans les jours qui ont
suivi les agissements de monsieur Lortie le 8 mai 1984».
De plus, l’on ne
pouvait prêter des intentions malicieuses à CFCF ou à son journaliste dans
cette affaire. Comme à chaque matin, on avait posé aux auditeurs une question
et enregistré leurs réponses sans qu’ils ne puissent s’exprimer en ondes
puisqu’ils ne s’agissait pas d’une ligne ouverte. Par ailleurs, CFCF ne
prétendait pas non plus et n’avait jamais prétendu que ces «instapolls» avaient
quelque valeur scientifique.
Le matin
du 9 mai, la question posée fut «Many people calling radio phone-in shows in
the wake of the National Assembly shooting have expressed sympathy with the
Caporal’s motives. Do you feel this way?».
Par cette question, le
journaliste tentait de savoir si de telles réactions étaient généralisées dans
le public.
Vous indiquiez
enfin au Conseil que CFCF n’avait reçu aucun appel téléphonique le 9 mai
condamnant cette interrogation, mais ceux-ci fusèrent une fois que Le Devoir
eut publié un article sur le sujet le lendemain. C’est alors que la direction
de CFCF émit un communiqué dans lequel elle reconnaissait que la question était
«inappropriée et regrettable» et s’excusait «auprès des personnes qui auraient
pu être offensées».
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, monsieur Trottier, disait trouver «boiteux» votre argument à l’effet
que la plainte n’était pas basée sur le texte même de la question. Selon lui,
en effet, «le médium par lequel une information est reçue avec fidélité ne
change en rien la nature même de cette information». Il lui paraissait normal,
par ailleurs, que la population francophone n’ait réagi que le lendemain, une
fois que les médias l’eurent instruite de votre question qui avait non
seulement offensé «certaines personnes» auxquelles vous adressiez vos excuses,
mais péché même contre «la liberté de l’information».
Analyse
Le Conseil réprouve, d’une part, le procès d’intention que fait l’un des plaignants à CFCF d’avoir misé sur les sentiments francophones de ses auditeurs pour poser sa question au cours du sondage-maison «instapoll» diffusé au lendemain de la fusillade à l’Assemblée nationale du Québec.
Le Conseil estime, d’autre part, que CFCF a manqué à sa responsabilité d’informateur public en formulant comme elle l’a fait cette question.
CFCF a manqué de jugement en exploitant d’une façon inconsidérée un événement déjà extrêmement dramatique. La question témoignait d’une absence flagrante de respect envers les victimes de la tragédie et leurs proches.
Il ne s’agit pas ici pour le Conseil de nier la liberté rédactionnelle des médias et des journalistes quant à l’attention et à l’importance qu’ils décident d’accorder à un sujet particulier ou encore quant à leur façon de le traiter, mais plutôt de mettre l’accent sur les exigences de rigueur et de discernement qui s’imposent à eux.
Tout en assurant le droit à l’information, les médias et les journalistes doivent faire preuve d’une conscience sociale aiguë et mesurer la portée de leurs décisions rédactionnelles. Ils doivent éviter de devenir des instruments de conditionnement de l’opinion et doivent redoubler de discernement lorsque les sujets abordés sont délicats. Ils doivent éviter le sensationnalisme.
Une telle exigence est d’autant plus stricte dans le cas des médias électroniques à cause de leur large audience et du fait que le public qu’ils atteignent se fonde une opinion en très grande partie, sinon exclusivement, sur l’information qu’il en retire. A cause aussi de la fonction de légitimation d’attitudes violentes, haineuses et même parfois illégales, qu’on leur prête, ils doivent éviter d’exacerber les situations tragiques.
Le Conseil a pris acte des excuses publiques de CFCF qui, admettant son erreur, entend prendre toutes les mesures pour éviter qu’elle ne se reproduise.
Analyse de la décision
- C15I Propos irresponsable
- C17A Diffamation