Plaignant
Mme Susan De
Rosa (membre, Fédération des femmes du Québec)
Mis en cause
The Gazette
[Montréal], Mme Susan Semenak (journaliste) et M. Clair Balfour (ombudsman)
Résumé de la plainte
La journaliste
Susan Samenak de The Gazette rapporte mal le discours prononcé par la
plaignante lors d’un séminaire organisé par des regroupements de femmes. Son
reportage, paru le 24 septembre 1984 sous le titre «Confront the buyers of
porn, women told», fausse le sens de certaines déclarations de la plaignante et
laisse croire qu’elle a incité son auditoire au désorde public. L’ombudsman du
journal, M. Clair Balfour, reconnaît les lacunes du reportage dans l’article «The
checkable must be checked», paru le 11 octobre, mais affirme à tort que
celles-ci n’altèrent pas le sens de la nouvelle.
Griefs du plaignant
Le Conseil de
presse a terminé l’étude de la plainte de Mme Susan De Rosa qui reprochait à la
journaliste Susan Semenak de The Gazette de l’avoir mal cité au point de la
placer en position précaire face à la justice tout en nuisant à sa crédibilité.
Cette plainte
faisait référence à un article paru le 24 septembre 1984 sous le titre
«Confront the buyers of porn, women told» et relatant une conférence donnée la
veille par la plaignante lors d’un séminaire organisé par des regroupements de
femmes.
Mme De Rosa
reprochait en premier lieu à la journaliste d’avoir totalement mal interprété
ses propos sur la législation concernant la vente et la distribution de
matériel pornographique. En effet, alors que Mme De Rosa aurait affirmé lors de
sa conférence que des moyens tels que l’éducation du public n’étaient pas
suffisants contre la pornographie et que la législation était nécessaire, la
journaliste lui faisait dire dans son article qu’une législation plus sévère à
ce niveau n’était pas, en soi, suffisante. Pour la plaignante, c’était lui
faire dire tout le contraire de ce qu’elle affirmait.
La plaignante
disait encore avoir été mal citée dans le cadre d’une phrase prétendant qu’elle
avait déclaré que chacun devait faire quelque chose pour rendre la vie plus
difficile aux producteurs et consommateurs de pornographie. Mme De Rosa affirmait
avoir plutôt déclaré que l’action directe est un outil qui peut rendre la vie
difficile aux consommateurs et producteurs de matériel pornographique, ce qui,
pour elle, était une déclaration neutre et générale plutôt qu’une incitation
explicite à entreprendre quoi que ce soit.
A ce sujet, Mme
De Rosa faisait remarquer que M. Clair Balfour, ombudsman à The Gazette, avait
reconnu dans un article paru le 11 octobre 1984 et titré «The checkable must be
checked» que la journaliste avait erré sur la déclaration de la plaignante. Il
considérait cependant que cette mauvaise citation n’altérait nullement la
nouvelle, ce avec quoi la plaignante n’était pas d’accord.
En troisième
lieu, Mme De Rosa protestait contre un passage de l’article où il était dit
qu’elle avait invité l’auditoire à poser des gestes tels la distribution de
pamphlets, l’interpellation des clients de commerces de pornographie, ou le jet
de peinture sur les autos des clients et vendeurs de matériel pornographique.
Pour la plaignante, c’était la placer en position précaire face à la justice en
faisant injustement croire qu’elle en avait appelé au désordre public et au
vandalisme. Mme De Rosa protestait également contre l’affirmation de M. Balfour
qui, dans son article, considérait cette mauvaise citation comme étant mineure.
Pour mineure qu’elle soit, cette erreur avait quand même valu à la plaignante
un éditorial de The Gazette paru le lendemain de l’article de Mme Semenak et
qui, sous le titre «Crusaders could do better», dénonçait la volonté de Mme De
Rosa d’aller jusqu’à la violence s’il le fallait.
Commentaires du mis en cause
Pour sa part, M.
Clair Balfour, conjointement avec Mme Semenak, considérait que les propos de la
journaliste concernant la législation ne diminuaient en rien l’importance de
cet élément par rapport aux autres méthodes citées. Le carnet de notes de la
journaliste indiquait trois techniques que Mme De Rosa avait énoncées lors de
sa conférence, à savoir: l’éducation du public, des actions directes et le
«lobbying». Selon M. Balfour, les notes de la journaliste indiquaient que Mme
De Rosa s’était dite favorable à une législation plus sévère ainsi qu’à
l’adoption de d’autres mesures. De l’avis de la journaliste, elle et la
plaignante avaient donc dit la même chose, mais en des termes différents.
En ce qui a
trait, à la déclaration de Mme De Rosa concernant les moyens de rendre la vie
plus difficile aux consommateurs et producteurs de matériel pornographique, M.
Balfour reconnaissait effectivement que les imprécisions dans le texte de la
journaliste étaient regrettables, mais il soutenait que cela n’altérait en rien
le sens de la nouvelle.
Finalement, en
regard du troisième grief de la plaignante, la journaliste aurait affirmé à M.
Balfour que le discours de Mme De Rosa contenait effectivement des exemples de
moyens directs que d’autres femmes avaient déjà utilisés lors de manifestations
antérieures, tels la destruction de panneaux-réclame et la mise d’engins
explosifs dans des commerces de matériel pornographique. Ces moyens n’avaient pas
été rapportés dans son article, faisait remarquer la journaliste. De plus, les
notes de Mme Semenak feraient explicitement référence à des passages du
discours de la plaignante dans lesquels celle-ci suggérait la distribution de
tracts dans le voisinage d’un magasin qui vend du matériel pornographique,
l’application de peinture aérosol sur les automobiles, etc.
M. Balfour
faisait remarquer que la plaignante n’avait pas remis en cause les passages de
l’article la citant alors qu’elle aurait affirmé que le combat contre la
pornographie devait débuter en faisant honte aux hommes qui en consommaient et
alors qu’elle incitait les individus et groupes concernés à être plus militants
voire même outrageants («more militant, even outrageous»).
M. Balfour
notait également que le nom de Mme De Rosa était associé à la parution d’une
brochure intitulée «Pornography: A Human Rights Issue Which Concerns Both Men
and Women» et publiée par le Conseil des femmes de Montréal. Cette brochure
faisait mention d’actions similaires à celles nommées par la plaignante durant
son discours.
Enfin, M.
Balfour déclarait que la plaignante avait téléphoné le lendemain de la parution
de l’article à Mme Semenak pour la féliciter de la façon dont elle avait relaté
sa conférence, exception faite du passage où la journaliste la désignait comme
étant une représentante de la Fédération des femmes du Québec. Plus tard,
lorsqu’elle formula sa plainte à M. Balfour, Mme De Rosa aurait refusé de lui
transmettre une transcription de son discours malgré la demande expresse de
l’ombudsman de The Gazette.
Réplique du plaignant
Dans sa
réplique, Mme De Rosa affirmait que l’apparente inhabileté de la journaliste à
noter correctement ses propos ne pouvait suffire à excuser les torts causés. De
plus, Mme de Rosa soutenait toujours que l’article diminuait réellement
l’apport d’une législation plus sévère contre le phénomène de la pornographie
par rapport aux autres méthodes décrites dans l’article.
Quant à la
mauvaise citation, reconnue comme telle par le journal, Mme De Rosa estimait
que cela ne changeait peut-être pas le sens de l’article mais sûrement ce qui
avait été réellement dit lors de sa conférence.
Pour ce qui est
de la présumée incitation de la plaignante au désordre public, Mme De Rosa
était d’avis qu’il était horrible («abhorrent») de la part de la journaliste de
laisser supposer que les exemples d’actions directes cités dans son discours
étaient une incitation explicite à agir.
Par ailleurs,
Mme De Rosa précisait que son nom figurait bel et bien dans la brochure citée
par M. Balfour, mais seulement en tant que personne-ressource et non pas à
titre de co-auteure, ce qui constituait selon elle une différence importante en
termes de responsabilité quant au contenu de la brochure. De plus, Mme De Rosa
affirmait n’avoir jamais lu cette brochure.
En ce qui a
trait à son refus de transmettre à M. Balfour une copie de son discours, Mme De
Rosa affirmait que l’ombudsman lui aurait déclaré qu’il ne pouvait lui garantir
que des passages de son discours ne seraient pas employés ultérieurement par
The Gazette et qu’il était normal qu’elle refuse compte tenu de la possibilité
d’une répétition des fautes dénoncées. De toute façon, d’ajouter la plaignante,
il n’existait pas, à sa connaissance, de copie de ce discours.
Enfin,
concernant les félicitations qu’elle aurait offertes à la journaliste, Mme De
Rosa trouvait incroyable que l’on puisse qualifier ses propos de «félicitations».
S’il y avait quiproquo ici, c’était sans doute parce que la plaignante disait
avoir adopté une approche «diplomatique» face à la journaliste.
Analyse
Le choix et le traitement des informations relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes. Les professionnels de l’information doivent cependant se conformer à l’obligation et au devoir qu’impose leur rôle d’informateurs publics et livrer une information équilibrée, conforme aux faits et aux événements.
Dans le présent cas, toutefois, le Conseil estime ne pas pouvoir rendre un jugement valable vu le manque de pièces pertinentes permettant de corroborer l’une ou l’autre des versions en présence. En effet, l’absence d’une copie du discours de la plaignante empêche le Conseil de juger de l’importance des inexactitudes dénoncées par elle, alors que la journaliste et le journal n’ont pas, non plus, démontré avec suffisamment de clarté que les imprécisions qui leur sont reprochées, et dont certaines sont admises par eux, n’ont pas altéré le sens du message qu’a livré la plaignante.
Analyse de la décision
- C11D Propos/texte mal cités/attribués