Plaignant
La Commission
des valeurs mobilières du Québec
Représentant du plaignant
M. Antoni Dandonneau
(chef du service du conseil juridique, Commission des valeurs mobilières du
Québec)
Mis en cause
Finance
[Montréal] et M. Françoy Roberge (rédacteur en chef)
Représentant du mis en cause
M. Jacques
Forget (éditeur, Finance [Montréal])
Résumé de la plainte
L’éditorial
«CVMQ-Finance : La croisade des ronds de cuir», publié par Finance le 17
février 1986, constitue une attaque en règle contre la Commission des valeurs
mobilières du Québec (CVMQ). M. Françoy Roberge, rédacteur en chef de ce
journal, y cherche à discréditer les membres de la CVMQ en formulant des
accusations gratuites et en omettant des éléments essentiels d’information. De
plus, l’article «Une première victoire pour Finance : L’ordonnance de la CVMQ
suspendue», paru sans signature le 17 mars, présente des informations fausses
ou trompeuses, en plus d’être incomplet.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte formulée par le chef du service du conseil
juridique de la Commission des valeurs mobilières du Québec (CVMQ), monsieur Antoni
Dandonneau, contre l’hebdomadaire Finance.
La CVMQ
reprochait au journal d’avoir manqué gravement à son obligation d’informer ses
lecteurs, «soit en omettant des éléments essentiels d’information, soit en
donnant des informations fausses» dans un éditorial de monsieur Françoy
Roberge, rédacteur en chef de Finance, publié le 17 février 1986 sous le titre:
«CVMQ-Finance. La croisade des ronds de cuir», de même que dans un court texte
non signé, intitulé «Une première victoire pour Finance. L’ordonnance de la
CVMQ suspendue», publié le 17 mars 1986.
L’éditorial du
17 février commentait une décision de la CVMQ rendue quelques jours plus tôt,
blâmant l’éditeur de Finance, monsieur Jacques Forget, et la société Publifor
qu’il dirige, d’avoir transgressé la Loi sur les valeurs mobilières «en
exerçant l’activité de conseiller sans être inscrits à ce titre auprès de la
Commission» et de s’être «livrés à des pratiques frauduleuses et déloyales en
diffusant des conseils au sujet de titres alors que, à l’insu de leurs
lecteurs, ils possédaient des positions importantes sur les titres de ces
sociétés et entendaient faire des opérations sur ces titres».
Selon la CVMQ,
cet éditorial constituait «une charge en règle» contre la Commission et
cherchait, à travers des «accusations gratuites et dépourvues de tout
fondement» à jeter le discrédit sur ses membres en rattachant leur nomination à
«un ministre des Finances bien connu du Québec». En outre, bien que
l’éditorialiste y affirmait qu’on devait s’interroger sur le fond de la
décision de la CVMQ, le journal ne donnait pas «la moindre idée à ses lecteurs
des faits sur lesquels se fonde la Commission et des reproches adressés à
monsieur Forget et à Publifor».
La plaignante
avait à l’époque «jugé préférable d’ignorer cet éditorial». Cependant, comme le
second article déformait encore les faits et donnait «à penser que le journal
Finance évite, de propos délibéré, de donner une information exacte sur ses
démêlés avec la Commission», cette dernière avait décidé de se plaindre.
Selon elle, en
effet le texte du 17 mars 1986, portant sur la décision de la Cour provinciale
de suspendre, à la demande de monsieur Forget et de Publifor, l’exécution de la
décision de la CVMQ, contenait «un certain nombre d’informations fausses ou trompeuses»
dont, entre autres, celle à l’effet que le juge avait «cassé» l’ordonnance de
la Commission alors qu’il n’avait fait qu’en «suspendre l’exécution».
L’article
prétendait en outre que le juge aurait expliqué dans son jugement que
l’ordonnance de la CVMQ «brimait injustement les droits d’individus, sans
qu’aucune atteinte à l’ordre public n’ait été signalée». Pourtant, selon la
CVMQ, l’on peut se rendre compte, à la lecture du jugement, qu’il n’y est
«aucunement question» de ce fait, pas plus que ce ne fut le cas, contrairement
à ce qu’affirme l’article, dans les observations qu’a pu faire le juge en
rendant son jugement, comme pouvait en témoigner monsieur Dandonneau, puisqu’il
était présent.
Enfin, l’article
taisait «entièrement un élément qui, lui, figure dans le dispositif du
jugement», soit l’engagement pris par monsieur Forget et Publifor de produire,
auprès de la Commission, une déclaration mensuelle de leurs opérations sur
valeurs mobilières, engagement qui ne faisait que reprendre une partie du
dispositif de la décision, «en sorte qu’on devrait parler d’une suspension
partielle d’exécution, ce qui est bien loin d’une décision cassée».
Commentaires du mis en cause
Dans un
commentaire publié dans l’édition du 31 mars 1986 de Finance, sous le titre:
«Ce n’est pas un poisson d’avril… La CVMQ se plaint au Conseil de presse:
Après la hargne… le délire», l’éditeur Jacques Forget affirmait d’abord ne
pas reconnaître l’autorité du Conseil de presse, pour ensuite réfuter les
arguments du plaignant.
Ainsi, monsieur
Forget soutenait que le titre de l’article du 17 mars était «sans équivoque»,
en ce qu’il précisait que l’ordonnance de la CVMQ avait été suspendue. Si le
texte employait le terme «cassé», c’est que le juge avait, dans le cadre de la
juridiction qui lui est attribuée en chambre de pratique, «bel et bien
« cassé » l’application de l’ordonnance de la CVMQ jusqu’à audition de
l’appel», précisait-il.
Monsieur Forget
signalait en outre sa présence à la Cour lors du prononcé du jugement et
déclarait très bien se souvenir que le juge, «après avoir soupesé les arguments
des deux parties et le droit», avait décidé d’accorder la suspension de
l’ordonnance parce qu’elle risquait de brimer injustement ses droits et ceux de
Publifor de faire commerce.
Enfin, il faisait
valoir que l’engagement relatif aux déclarations mensuelles sur ses opérations
et celles de Publifor avait été pris non pas pour se conformer à la décision de
la CVMQ mais, à sa suggestion même et à celle de Publifor, pour qu’on ne puisse
pas leur «opposer ultérieurement l’absence de connaissance en matière de
prescription», soutenant d’ailleurs que cette considération n’était pas
«essentielle au jugement».
Le rédacteur en
chef de Finance, monsieur Françoy Roberge, affirmait de son côté que son éditorial
du 17 février 1986 reflétait fidèlement ses «convictions les plus profondes».
Estimant que l’éditorial, «par ailleurs clairement identifié comme tel»,
constitue «la tribune où les éditorialistes, dans un régime de liberté de
presse, expriment leurs opinions», il ajoutait que la CVMQ avait exprimé ses
opinions «sur toutes les tribunes disponibles, tentant de discréditer Finance
dans l’opinion publique». Aussi, considérait-il que le champ d’expression de
cet organisme était «suffisamment étendu sans y ajouter les pages de Finance».
Réplique du plaignant
La CVMQ
répliquait que le premier reproche adressé à Finance ne visait «pas tant
l’éditorial que le reste du journal» qui n’aurait pas donné «la moindre idée à ses
lecteurs des faits sur lesquels se fonde la Commission et des reproches
adressés à monsieur Forget et à Publifor». Et, selon elle, «à défaut d’une
information objective dans un autre article, l’éditorial aurait dû, à tout le
moins, indiquer au lecteur quelle était la substance de la décision par la
Commission».
Le second
reproche de la CVMQ était à l’effet que l’éditorial «cherchait à jeter le
discrédit sur elle en rattachant la nomination de ses membres à des
considérations purement politiques», «un ministre des Finances, bien connu du
Québec», soit de toute évidence selon les indices donnés, monsieur Jacques
Parizeau, qui les aurait «lui-même nommés ou fait nommer». La CVMQ soulignait à
cet égard qu’aucun des trois membres qui ont siégé dans l’affaire Forget
n’avait été nommé à l’époque où monsieur Parizeau dirigeait le ministère. Un
membre à temps plein a bien été nommé vice-président par monsieur Parizeau,
«mais il s’agissait d’un quatrième renouvellement et son mandat de membre,
valable jusqu’à révocation, remonte à décembre 1969». Enfin, un seul des trois
autres membres à temps partiel, qui n’ont pas siégé dans l’affaire Forget, «a
été nommé pendant la période où la Commission relevait d’un ministère dirigé
par M. Parizeau».
Analyse
Le Conseil n’a pas, d’une part, à se prononcer sur les opinions exprimées en éditorial considérant qu’elles sont une manifestation de la liberté d’expression et de la liberté de la presse. Cependant, l’éditorialiste a le devoir de mesurer la portée de ses jugements aux exigences de rigueur, d’intégrité et de probité que lui impose le respect des faits qu’il commente.
Dans le présent cas, le Conseil estime que l’éditorial du 17 février 1986 omettait effectivement de renseigner les lecteurs du journal des faits sur lesquels se fondait l’ordonnance rendue contre lui par la CVMQ. Avant de commenter les faits, un journal devrait en informer ses lecteurs afin qu’ils puissent d’abord en prendre connaissance et se former une opinion à leur sujet. Le choix et le traitement de l’information relèvent du jugement rédactionnel des médias. Ceux-ci doivent cependant informer leurs lecteurs des faits pertinents à l’analyse, et à plus forte raison lorsque ceux-ci les concernent directement. Les taire, en l’occurrence, constitue une omission importante à l’obligation et au devoir des médias d’informer.
Le Conseil reproche aussi au journaliste d’avoir, dans cet éditorial, jeté le discrédit sur les membres de la Commission en laissant croire à ses lecteurs que leur nomination était liée à des considérations de politique partisane, ce qui ne semble pas être le cas, tel qu’en fait foi le témoignage de la CVMQ à ce sujet, témoignage qui n’a pas été informé par le journal devant le Conseil. Un journal et un journaliste devraient éviter de lancer des accusations gratuites sans expliquer à leurs lecteurs sur quoi elles reposent. L’éditorialiste, comme tout autre professionnel de l’information, doit en effet éviter de travestir les événements de façon à leur donner une signification qu’ils n’ont peut-être pas ou à laisser planer des malentendus qui risquent de discréditer les personnes ou les groupes auprès de l’opinion publique.
En ce qui a trait à l’article d’information du 17 mars, si le Conseil doit convenir avec Finance de l’exactitude de son titre, force lui est de reconnaître qu’en affirmant dans le texte que le juge avait «cassé» l’ordonnance de la CVMQ, le journal a informé ses lecteurs d’une façon inexacte: le mot «cassé» est rigoureusement et juridiquement inexact, car il signifie annuler, abroger.
D’autre part, le Conseil est incapable de trancher sur la nature des commentaires qu’aurait faits le juge en rendant son jugement, puisqu’il est en présence de versions contradictoires et qu’il n’en existe aucun enregistrement: le jugement ayant été rendu devant le «juge en chambre».
Enfin, le Conseil considère que l’engagement pris par monsieur Forget et Publifor de produire, auprès de la Commission, une déclaration mensuelle de leurs opérations sur valeurs mobilières constituait un élément essentiel d’information. Le Conseil estime que Finance n’a pas informé complètement ses lecteurs sur ce point.
Analyse de la décision
- C01C Opinion non appuyée sur des faits
- C11D Propos/texte mal cités/attribués
- C11H Terme/expression impropre
- C12B Information incomplète
- C17A Diffamation
Réplique du mis en cause
M. Roberge
présisait que depuis l’élection du gouvernement Lévesque, il était de notoriété
publique que monsieur Parizeau «dirigeait effectivement, jusqu’à sa démission,
tous les organismes importants à vocation économique du Québec» et qu’il
«téléguidait ceux dont il n’avait pas la responsabilité ministérielle
immédiate». Et dans le cas de la CVMQ, «l’autre ministre qui en fut responsable
sous le régime péquiste dépendait ou relevait de monsieur Parizeau qui avait
des responsabilités supra-ministérielles au Conseil exécutif».
Il ajoutait, par
ailleurs, avoir été informé dès 1980 «que la CVMQ était en train de
« framer » Finance» et que l’ex-président de cet organisme, critiqué
par le journal pour certains de ses actes publics, «était également déterminé à
avoir la « peau » de monsieur Forget et de la publication».