Plaignant
Le Carrefour de
la résistance indépendantiste [CRI]
Représentant du plaignant
M. Raoul Roy (président,
Carrefour de la résistance indépendantiste [CRI])
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Paul-André
Comeau (rédacteur en chef, Le Devoir [Montréal])
Résumé de la plainte
Le 10 janvier 1987,
Le Devoir publie une photo qui présente des membres du Carrefour de la
résistance indépendantiste contestant une récente vague d’immigration. En
coiffant cette photo du titre «La xénophobie s’affiche», le journal contribue à
déprécier le Carrefour auprès de l’opinion publique. Le Devoir récidive, le 13
janvier 1987, en reproduisant la même photo pour illustrer un article
d’information intitulé «Les xénophobes sont démasqués».
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte du Carrefour de la résistance indépendantiste
[CRI] contre Le Devoir concernant la publication, le 10 janvier 1987, d’une
photo coiffée du titre «La xénophobie s’affiche».
Selon le
président du CRI, monsieur Raoul Roy, ce titre plaçait son groupe dans un
éclairage «pour le moins péjoratif» visant à déprécier ce mouvement dans
l’opinion publique, dans la mesure où ladite photo de la Presse Canadienne
montrait des manifestants portant des pancartes contestant la vague récente
d’immigration.
Monsieur Roy
précisait que ces gens ne manifestaient pas contre les étrangers quels qu’ils
soient, mais contre le fait que le gouvernement fédéral laisse les portes du
pays ouvertes à tout venant alors qu’il y a plus d’un million de chômeurs dans
la Confédération, dont le Québec a plus que sa part, tout en portant le fardeau
de ses 700 000 assistés sociaux. S’ajouterait à cette situation déplorable le
fait que c’est Ottawa qui accepte les «faux réfugiés» et que c’est Québec qui
paie. Le groupe n’aurait donc manifesté aucune animosité envers une nationalité
en particulier.
Selon monsieur
Roy, Le Devoir, en agissant ainsi, était motivé par le désir de propager les
dogmes du multiculturalisme et du cosmopolitisme et voulait, à l’évidence,
causer du tort au mouvement indépendantiste.
Ceci serait
contraire au but pour lequel le journal avait été fondé, c’est-à-dire la
défense du peuple canadien français et non «sa noyade à la louisianaise» par
une immigration déréglée.
Monsieur Roy
disait croire que c’était parce que son groupe dénonçait cette situation que la
direction du Devoir lançait l’accusation de xénophobie. Cette opinion se serait
renforcée à la lecture de l’édition du Devoir du 13 janvier suivant, lorsque la
même photo fut une seconde fois reproduite pour illustrer un article du journaliste
Pierre Cayouette intitulé: «Les xénophobes sont démasqués». Pourtant, selon le
plaignant, son groupe n’aurait jamais tenté de dissimuler ses activités et, au
contraire, Le Devoir aurait été invité à maintes reprises à y envoyer des
représentants, y compris à la manifestation du 9 janvier 1987. Ce journal
aurait même publié les invitations du CRI au public à quelques reprises dans sa
chronique «Aujourd’hui».
Les titres de
ces articles donnaient pourtant l’impression au lecteur non averti que le CRI avait
honte de ses agissements, alors qu’il en était fier, et que ce groupe se
cachait jusqu’au jour où Le Devoir l’avait découvert.
Monsieur Roy
estimait que la tentation de se laisser aller au sensationnalisme grossier n’expliquait
pas seule cette attaque injustifiée du Devoir, laquelle relevait plutôt d’une
volonté de se livrer à une propagande haineuse contre des gens qui n’approuvent
pas les idées sur multiculturalisme, l’interculturalisme et le cosmopolitisme
«que Le devoir élève au rang de dogmes religieux intangibles».
Le plaignant
exigeait donc de la direction du Devoir des excuses publiées de façon aussi
visible et accessible que les articles où il considérait avoir été calomnié.
Commentaires du mis en cause
Le rédacteur en
chef du Devoir, monsieur Paul-André Comeau, constatait pour sa part qu’après
vérification dans les meilleurs dictionnaires, l’utilisation du terme
«xénophobie» n’était ni excessive ni mensongère. Pour mesurer le bien-fondé de
cette assertion, monsieur Comeau attirait l’attention du Conseil sur les propos
du plaignant ainsi que sur ceux d’un autre membre du même groupe, tels que
rapportés dans le texte du journaliste Pierre Cayouette.
Le Devoir avait
tenu à informer ses lecteurs de l’identité des manifestants auxquels la
première photo avait fait référence, cette démarche s’inscrivant dans le suivi
normal de toute information qui soulève des questions majeures. Dans les
circonstances, la direction du journal ne se sentait aucunement obligée de
publier une rétractation telle qu’exigée par le plaignant, les faits relatés
dans le bas de vignette ou l’article à l’origine de cette plainte paraissant à
monsieur Comeau véridiques et conformes à la réalité.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, le plaignant s’interrogeait d’abord ainsi: «A qui fera-t-on
croire que la direction du Devoir ne savait pas que la population
canadienne-française de la province s’oppose à l’immigration, et qu’elle vient
de le découvrir?» Du temps que ce quotidien restait fidèle à la mission de
défendre notre peuple, de poursuivre le plaignant, ses dirigeants n’ont cessé
de combattre l’immigration telle que pratiquée par Ottawa. Monsieur Roy
considérait par ailleurs que ces temps de clairvoyance de nos élites étaient
loin, l’impression générale étant plutôt qu’elles se donnent la main pour
accélérer les entreprises génocides dont nous sommes maintenant les victimes. A
ce sujet, monsieur Roy considérait que l’immigration indiscriminatoire en était
une des plus dangereuses.
«Pourquoi le
seul patriotisme (mot tabou au Devoir), de s’interroger par ailleurs le
plaignant, ne serait-il pas la motivation primordiale de l’inquiétude de la
population à propos de l’immigration, et non la haine pour les étrangers
qu’elle ne connaît pas et, par conséquent, qu’elle ne peut juger?». «Se sauver
soi-même ne comporte aucune haine pour autrui…», de poursuivre monsieur Roy.
Monsieur Roy
soulignait enfin que les accusations du Devoir étaient tellement extravagantes,
irrecevables et insoutenables qu’un collaborateur du journal, monsieur Albert
Brie, aurait tenu à s’en dissocier dans un texte publié dans les pages de ce
quotidien le 12 mars 1987, et dans lequel monsieur Brie, se référant à
l’utilisation du terme «xénophobie», constatait entre autres que «ceux qui
enrichissent leur vocabulaire de mots étranges dont il ne viendrait à personne
l’idée de les loger dans une conversation, devraient plutôt s’adonner aux mot
croisés extrêmement moins bêtes». De même, selon le plaignant, l’éditorialiste
Jean-Claude Leclerc se serait solidarisé avec monsieur Brie, son texte ayant
été placé justement face à l’autre.
Analyse
Le choix des titres et des vignettes relève de la discrétion de l’éditeur, mais celui-ci doit veiller à ce que ces titres et vignettes reflètent fidèlement l’esprit et le contenu des textes et des photos qu’ils accompagnent.
Le titrage des textes d’information ne doit par ailleurs pas devenir un véhicule d’opinions sous le seul prétexte d’illustrer et de rendre plus attrayante l’information diffusée.
Dans le cas présent, le Conseil blâme Le Devoir pour n’avoir pas su distinguer opinion et information en se servant des titres coiffant des textes et des vignettes au contenu informatif pour véhiculer des jugements de valeur.
Tout en reconnaissant à la direction du journal l’entière liberté de se réserver un espace éditorial pour énoncer ses opinions, quelles qu’elles soient, sur les positions du groupe présidé par le plaignant, le Conseil déplore que Le Devoir ait confondu ici les genres de façon aussi marquée.
Analyse de la décision
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
1 September 1987
Appelant
Le Devoir
[Montréal]
Décision en appel
Les membres du
Conseil jugent que les conclusions du Comité des cas étaient basées sur une
juste analyse des faits soumis à son attention et tenaient compte adéquatement
des principes déontologiques sur lesquels reposent la réflexion et l’action du
Conseil.
Les membres du
Conseil conviennent donc à l’unanimité de rejeter cet appel et de maintenir la
décision rendue par le Comité des cas.
Griefs pour l’appel
Le rédacteur en
chef du Devoir, M. Paul-André Comeau, en appelle de cette décision.