Plaignant
La Corporation
professionnelle des médecins du Québec
Représentant du plaignant
M. François
Folot (avocat, Flynn, Rivard 1/4 Ass.)
Mis en cause
CBFT-TV [SRC,
Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Pierre O’Neil
(directeur du service de l’information, Société Radio-Canada [Montréal])
Résumé de la plainte
Le reportage «La
Corporation des médecins utilise la méthode dure contre les médecines douces»,
diffusé par la Société Radio-Canada le 23 septembre 1987, dans le cadre de
l’émission «Actuel», traite de manière partiale des enquêtes menées par la
Corporation des médecins sur des thérapeutes pratiquant des médecines douces,
et notamment d’une poursuite intentée au massothérapeute Claude Saint-Amant.
Radio-Canada ne rapporte que le point de vue ce dernier dans une cause qui, de
surcroît, est pendante devant les tribunaux.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de la Corporation professionnelle des médecins du
Québec [CPMQ] contre la Société Radio-Canada concernant un reportage diffusé le
23 septembre 1987 dans le cadre de l’émission «Actuel».
La Corporation,
par l’entremise de maître François Folot, estimait que la Société Radio-Canada
n’avait pas «respecté l’éthique professionnelle du journalisme parlé» en
diffusant le reportage «La Corporation des médecins utilise la méthode dure
contre les médecines douces».
Ce reportage,
qui traitait des enquêtes effectuées par la Corporation sur les activités de
thérapeutes pratiquant des médecines douces, et notamment d’une poursuite
intentée par celle-ci au massothérapeute Claude Saint-Amant, manquait
d’objectivité, selon maître Folot, tant au niveau de l’atmosphère créée qu’aux
niveaux du choix des participants interviewés et du traitement du sujet.
Concernant
l’atmosphère créée, maître Folot signalait que les agents enquêteurs de la CPMQ
avaient été filmés en cachette, avec des effets spéciaux (téléobjectif,
ralenti) alors que le massothérapeute Claude Saint-Amant avait été filmé
naturellement, en bavardant et en exécutant un massage. Maître Folot ajoutait
qu’un gros plan des massages de monsieur Saint-Amant avait été pris à plusieurs
reprises comme si le massage constituait la seule activité de ce dernier et
qu’il avait été poursuivi pour cette seule activité.
Il s’objectait
de plus à la mention en ondes du fait que les auteurs du reportage avaient dû
être patients, mais que les enquêteurs n’avaient pas échappé à la caméra, comme
si ces derniers ne faisaient pas ouvertement leur travail.
Quant au manque
d’objectivité dans le choix des participants, maître Folot indiquait que l’on
avait interviewé deux personnes se disant satisfaites des soins de monsieur
Saint-Amant «comme si aucune personne ne pouvait avoir porté plainte auprès de
la CPMQ».
Il ajoutait que
seul un avocat «à la défense» des thérapeutes avait été interrogé, mais aucun
agissant en poursuite. En outre, «Actuel» semblait faire sien, du moins
implicitement, le commentaire de cet avocat à l’effet que les thérapeutes,
«écoutant leur grand coeur», n’agissaient que pour ce seul motif.
Maître Folot faisait
remarquer de plus que le reportage ne mentionnait pas que le policier utilisé
pour simuler une perquisition effectuée à la clinique de monsieur Saint-Amant
était le fils de ce dernier.
Par ailleurs,
maître Folot estimait que le reportage manquait d’objectivité dans la façon
dont il traitait le sujet, en choisissant pour titre «La Corporation des
médecins utilise la méthode dure contre les médecines douces», et en qualifiant
l’agent enquêteur de la CPMQ de «délateur».
Il en allait de
même de la mention «ce n’est pas la première fois que monsieur Saint-Amant est
pris au filet de la CPMQ», alors que l’activité pour laquelle ce dernier avait
été poursuivi antérieurement n’était pas décrite, ainsi que de la mention à
l’effet que monsieur Saint-Amant avait plaidé coupable à deux accusations
antérieures parce qu’il préférait «l’amende aux tracasseries judiciaires, comme
si ce ne pouvait être que le seul motif des condamnations antérieures» de ce
dernier.
Enfin, maître
Folot estimait que le reportage manquait d’éthique professionnelle en traitant
la cause d’un accusé qui était pendante devant les tribunaux [sub judice] et
qui venait à procès dans quelques semaines, et en interviewant des personnes
appelées à témoigner dans cette cause.
Dans l’ensemble,
maître Folot considérait que l’émission «s’apparentait à un « trial by the
media » [procès par les médias] où le « thérapeute » plaidait sa
cause et où, à toutes fins pratiques, une seule des parties y était entendue».
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, monsieur Pierre O’Neil, directeur du service de l’information à
Radio-Canada, signalait que l’objectif essentiel du reportage consistait à
montrer que la Corporation des médecins utilisait des méthodes d’enquête
qu’elle réprouvait elle-même. Monsieur O’Neil ajoutait que cet objectif avait
été «indiqué très clairement dans la présentation du reportage». Ainsi, cette
présentation référait à l’utilisation, par la police, d’agents doubles déguisés
en patients pour confondre les médecins «trop complaisants», procédé que la
CPMQ avait dénoncé vivement, alors que la Corporation avait recourt elle-même à
des méthodes similaires pour confondre les thérapeutes.
Monsieur O’Neil
faisait de plus remarquer que la plaignante ne constestait aucun des faits
établis dans le reportage à cet égard.
Aux griefs de la
plaignante concernant l’atmosphère de l’émission, monsieur O’Neil répliquait
que celle-ci n’avait pas été créée «de toute pièce», mais qu’elle était celle
«dans laquelle semblent opérer les agents de la CPMQ».
Il signalait que
les agents enquêteurs de la Corporation avaient été filmés sans téléobjectif,
dans des endroits publics et à leur insu, parce que le président de la
Corporation avait refusé à l’équipe d’«Actuel» la permission de rencontrer ces
agents.
Quant aux effets
spéciaux, monsieur O’Neil faisait remarquer que le ralenti et la présentation
de plans fixes «zippés» ne duraient que quelques secondes pour chacun des
enquêteurs, et que l’utilisation de ces techniques avait pour but «d’établir
l’existence des agents et de les situer dans le reportage».
Ajoutant que
monsieur Saint-Amant avait accepté de répondre aux questions de l’équipe
d’«Actuel», monsieur O’Neil niait que ce thérapeute avait été filmé «jasant
tout bonnement». Les extraits d’entrevue avec monsieur Saint-Amant étaient
courts et faisaient essentiellement état des réactions de ses clients à la
perquisition, et de ses propres sentiments de méfiance et de stress depuis
celle-ci.
Concernant les
gros plans des massages de monsieur Saint-Amand, une dizaine en tout, monsieur
O’Neil indiquait que ceux-ci n’avaient duré qu’une quarantaine de secondes dans
un reportage de quatorze minutes, et qu’il lui semblait normal que l’on montre
ce massothérapeute en train de faire des massages. Il ajoutait que c’était dans
le cadre de ses activités de massothérapie que monsieur Saint-Amant avait été
accusé d’exercice illégal de la médecine, le reportage ne se prononçant pas par
ailleurs sur les massages ou sur ce qui pouvait les faire considérer comme des
actes médicaux.
Quant au fait
que le reportage mentionne qu’il avait fallu être patient pour capter des
images des enquêteurs, monsieur O’Neil répliquait que cette mention avait trait
à l’agent double et non aux enquêteurs. Ceci aurait été clairement indiqué dans
le reportage, lequel établissait une «distinction très nette entre les
enquêteurs officiels de la Corporation et les agents doubles». Monsieur O’Neil
ajoutait que le président de la Corporation aurait pu établir clairement, en
réponse à une question de l’intervieweuse, que l’agent double en question
exerçait ouvertement son métier, ce qu’il n’avait pas fait.
Concernant le
choix des participants, le directeur du service de l’information à Radio-Canada
faisait remarquer d’abord que le président de la CPMQ n’avait pas voulu,
invoquant des raisons de confidentialité, fournir quelque information que ce
soit sur l’existence et sur la source d’une plainte du public contre monsieur
Saint-Amant. De plus, le président avait laissé entendre dans le reportage que la
Corporation recevait des plaintes du public, mais que c’étaient les enquêteurs
qui portaient plainte devant les tribunaux.
En ce qui a
trait au témoignage de personnes se disant satisfaites des services du
massothérapeute Saint-Amant, monsieur O’Neil indiquait que les deux séquences
en question ne duraient que vingt secondes chacune, et qu’elles servaient de
«pont» avec le volet suivant du reportage.
Par ailleurs,
monsieur O’Neil précisait que l’avocat interviewé l’avait été à titre
d’analyste indépendant et qu’il n’avait jamais agi comme avocat dans des causes
impliquant des thérapeutes de médecines douces. Et à l’affirmation de la
plaignante à l’effet que le reportage semblait faire sien le commentaire de cet
avocat, monsieur O’Neil rétorquait que Radio-Canada n’endossait aucune des
opinions exprimées par les différents intervenants dans ses émissions.
Enfin, il
précisait que le policier apparaissant dans le reportage était de service au
moment de la perquisition effectuée à la clinique de monsieur Saint-Amant.
En ce qui a
trait au manque d’objectivité dans le traitement du sujet, monsieur O’Neil
indiquait d’abord que le titre du reportage lui semblait résumer exactement
celui-ci, d’autant plus que la Corporation s’était précédemment indignée de
l’utilisation de ce genre de procédé contre elle. Il faisait ensuite remarquer
que le mot «délateur» n’avait été utilisé qu’une seule fois pour désigner
l’agent double dont il était question dans le reportage.
Par ailleurs, monsieur
O’Neil considérait que la mention «Accusé à deux reprises par le passé
d’exercice illégal de la médecine» établissait clairement pour quelle activité
monsieur Saint-Amant avait été poursuivi antérieurement, contrairement à ce que
prétendait la plaignante. Quant à savoir si le massothérapeute n’avait plaidé
coupable que pour le seul motif qu’il «préférait payer l’amende aux
tracasseries judiciaires», monsieur O’Neil faisait remarquer que «le reportage
se bornait à rapporter le motif que monsieur Saint-Amant donne pour expliquer
son plaidoyer de culpabilité».
Enfin, en
réponse à l’affirmation de maître Folot à l’effet que cette émission
s’apparentait à un «procès par les médias», monsieur O’Neil soutenait que le
reportage ne portait aucunement sur la cause de monsieur Saint-Amant, mais sur
les techniques utilisées par la CPMQ pour établir ses preuves de pratique
illégale de la médecine.
Il ajoutait que
la Société Radio-Canada avait examiné attentivement la question de référer à
une cause encore pendante devant les tribunaux [sub judice] avant de diffuser
le reportage. Monsieur O’Neil indiquait que la Société en était alors venue à
la conclusion que la «règle du « sub judice » n’empêche pas les médias
de donner des informations factuelles sur la nature des accusations portées
devant les tribunaux, ni sur les circonstances entourant ces procédures». De
plus, un tribunal présidé par un juge seul ne pourrait pas être aussi
facilement influencé par l’opinion publique qu’un tribunal comportant un jury.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, maître François Folot estimait d’abord que l’objectif atteint par
le reportage avait bel et bien été de faire le procès des plaintes de pratique
illégale portées par la CPMQ, et en l’occurrence contre monsieur Saint-Amant.
Il considérait
que tel avait été le message transmis, compte tenu qu’«énormément d’emphase
[était] mis sur les soi-disant actes professionnels de monsieur Saint-Amant»,
alors qu’aucune vérification n’avait été faite de l’ensemble ni du contexte des
services qu’il rendait.
Maître Folot
soutenait de plus que le reportage «s’attaque au fond des poursuites en
stipulant que les condamnations antérieures de monsieur Saint-Amant ne
proviennent que de sa volonté d’éviter des tracasseries judiciaires».
Par ailleurs,
maître Folot estimait que les témoignages de satisfaction exprimés pour les
«soi-disant actes professionnels» de ce dernier valorisaient ceux-ci et
pouvaient laisser croire que la CPMQ «pourchasse des professionnels non
seulement inoffensifs pour la santé publique [de simples masseurs], mais qui
prodiguent des services qui sont appréciés du public».
Quant à la
présentation des méthodes d’enquête de la CPMQ, maître Folot considérait que
des éléments importants avaient été omis dans le reportage, notamment le fait
que ces méthodes étaient utilisées depuis une vingtaine d’années, et qu’elles
étaient connues et reconnues par les tribunaux.
Indiquant que
ces enquêtes étaient faites au grand jour et non clandestinement, maître Folot
était d’avis que le reportage projetait par ses effets spéciaux, un «effet de
police «secrète», d’espions, d’agents doubles, de délateurs».
Il en allait de
même de certains commentaires, tels: – «Ce n’est pas la première fois que
Claude Saint-Amant est pris au filet de la Corporation»; – «Lorsqu’un
thérapeute est leur point de mire, ils envoient chez celui-ci un agent double»;
– «Maintenant c’est un délateur qui travaille pour le compte de la
Corporation».
Maître Folot
ajoutait que si Radio-Canada avait fait sa recherche plus sérieusement, elle se
serait rendu compte que les enquête de la CPMQ faisaient suite très souvent aux
plaintes du public, donc de gens «insatisfaits ou exploités».
En ce qui
concerne l’entrevue avec l’avocat que monsieur O’Neil qualifiait «d’analyste indépendant»,
maître Folot faisait d’abord remarquer que celui-ci était secrétaire d’une
association vouée à la défense du groupe de médecines douces, le Réseau
d’action pour une santé intégrale.
In ajoutait
ensuite que celui-ci était l’auteur d’une étude sur le cadre juridique des
accusations d’exercice de la médecine dans laquelle il «prend carrément parti
contre la loi actuelle et la CPMQ», et qu’il publiait des articles dans
certaines revues sur le sujet.
Considérant que
cette personne avait droit à son opinion, et que l’on ne pouvait pas ignorer la
cause qu’elle défendait, maître Folot estimait que sa présence à l’émission à
titre de «soi-disant analyste indépendant» était «fort significative».
Maître Folot
terminait en soutenant que le reportage avait «coloré négativement, mais non
objectivement le travail de la CPMQ dans son rôle de protecteur du public» et
qu’il constituait un «plaidoyer en faveur du «thérapeute» Saint-Amant».
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet ou d’un événement relèvent du jugement rédactionnel des médias et des professionnels de l’information, lesquels peuvent avoir recours aux moyens les plus efficaces pour rendre l’information vivante et intéressante.
Ce faisant, ils doivent cependant livrer une information juste, équilibrée et conforme aux faits, afin de donner au public les éléments nécessaires pour éclairer son jugement sur les sujets, questions ou événements qui sont traités. Ceci n’implique évidemment pas qu’ils doivent rendre compte de façon exhaustive de tous les aspects du sujet ou d’une question qu’ils ont choisi de présenter.
Par ailleurs, la liberté de la presse et le droit du public à l’information seraient compromis si les médias s’abstenaient de faire état de poursuites judiciaires d’intérêt public avant que les jugements des tribunaux n’aient été rendus. Les médias doivent toutefois faire preuve de rigueur, de prudence et de discernement afin d’éviter de porter atteinte au droit des parties impliquées d’obtenir un procès juste et équitable.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que les responsables du reportage n’ont pas outrepassé leur latitude en présentant, comme ils l’ont fait, certains procédés d’enquête de la Corporation professionnelle des médecins du Québec. Clairement présenté et traité de façon équilibrée, le reportage faisait état des points de vue des divers intervenants concernés, soit la Corporation professionnelle des médecins, certains thérapeutes impliqués dans des enquêtes de cette dernière, ainsi qu’un juriste au fait des questions soulevées dans l’émission.
Par ailleurs, le Conseil ne considère pas que les techniques et les effets visuels utilisés par les défendeurs aient dénaturé les faits présentés ou aient créé une atmosphère incompatible avec le contenu de l’information qu’ils illustraient. Ces moyens font partie de l’ensemble des techniques utilisées couramment par les médias pour présenter et illustrer l’information. Le Conseil tient cependant à rappeler qu’il eût été indiqué de signaler que les images reconstituant la perquisition étaient une simulation afin d’éviter toute confusion à cet égard.
Enfin, le Conseil considère qu’il était pertinent de faire état des poursuites intentées à l’un des thérapeutes impliqués, puisqu’il s’agissait là d’informations d’intérêt public nécessaires à la bonne compréhension des événements décrits. Le Conseil tient à rappeler que le fait que des poursuites judiciaires aient été engagées ne doit pas avoir pour conséquences de museler les médias qui doivent être libres, dans la mesure prévue par les lois, d’informer le public de façon aussi complète que possible.
Analyse de la décision
- C11C Déformation des faits
- C12A Manque d’équilibre
- C17H Procès par les médias
- C20A Identification/confusion des genres
Date de l’appel
22 April 1988
Appelant
La Corporation
professionnelle des médecins du Québec
Décision en appel
La Commission
d’appel juge que les éléments nouveaux soumis à son attention ne sont pas
suffisamment importants ni déterminants pour remettre en question la décision
du Comité des cas.
Les membres de
la Commission conviennent donc à l’unanimité de rejeter cet appel et de maintenir
intégralement la décision rendue par le Comité des cas.
Griefs pour l’appel
La plaignante en
appelle de cette décision.