Plaignant
M. Magella
Potvin
Mis en cause
Le Quotidien
[Chicoutimi] et M. Bertrand Tremblay (rédacteur en chef)
Résumé de la plainte
Le 28 septembre
1987, Le Quotidien abrège la lettre ouverte du plaignant au point d’en changer
le sens, portant ainsi atteinte à sa liberté d’expression. Cette lettre
commente un éditorial signé par M. Bertrand Tremblay, rédacteur en chef du
journal.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Magella Potvin qui reprochait au
Quotidien de Chicoutimi d’avoir modifié le sens des commentaires qu’il
exprimait dans une lettre ouverte en amputant certaines parties de celle-ci.
Monsieur Potvin
soutenait que cette lettre, qui commentait un éditorial du rédacteur en chef
Bertrand Tremblay au sujet d’une conférence du généticien Albert Jacquard où il
était question, entre autres, de l’accumulation des armes nucléaires sur la
planète, avoir été «trafiquée» à un point tel que son sens original n’était
plus reconnaissable.
Il expliquait
que la partie «tronquée» de son commentaire, qu’il avait pourtant écrite en
«caractère gras», avait pour but de «conscientiser la population régionale face
à la transparence et à l’authenticité de certaines personnalités régionales»
relativement à l’implantation d’un champ de tir pour les F-18 à l’Ascension, au
nord du Saguenay.
Faisant
référence au comportement de ces personnes autour de cette affaire, monsieur
Potvin estimait qu’il fallait s’attendre à ce que certains s’opposent à un tel
projet, et considérait que les «élites régionales» favorables à celui-ci
contrôlaient «par le biais de celui qu’ils ont honoré récemment, monsieur
Bertrand Tremblay, l’information locale».
Enfin, monsieur
Potvin reconnaissait que Le Quotidien, en tant qu’entreprise privée, était
libre de publier ou non sa lettre, mais il considérait que les modifications
apportées à son texte, modifications qu’il qualifiait de «censure», constituaient
«une pratique déloyale et inadmissible» ainsi qu’une «tendance fort dangereuse
en ce qui a trait à la liberté d’expression».
Commentaires du mis en cause
Invité à
commenter cette plainte, monsieur Bertrand Tremblay, rédacteur en chef du
Quotidien, indiquait qu’il avait reproduit l’essentiel de la lettre ouverte du
plaignant et que le journal prévenait régulièrement les lecteurs qu’il «se
réserve le choix des lettres, et la prérogative de résumer les écrits trop
longs, dans l’intérêt collectif des lecteurs».
Monsieur
Tremblay soumettait aussi, en guise de commentaires, un éditorial qu’il avait
écrit au sujet des lettres ouvertes et de la plainte de monsieur Potvin.
Dans cet
éditorial, monsieur Tremblay rappelait d’abord la politique du journal en
matière de courrier des lecteurs et signalait que celui-ci était ouvert à
publier les critiques des lecteurs sur les idées exprimées par les
journalistes.
Il considérait
cependant que les «lecteurs intransigeants» ne devraient pas «ressentir le
désir de brûler sur la place publique ceux qui ne partagent pas leur conception
des choses».
Référant ensuite
aux «détestables dogmatiques» qu’il avait en horreur, monsieur Tremblay donnait
en exemple le cas de la plainte de monsieur Potvin. Il mentionnait que dans la
lettre ouverte de ce dernier, qu’il qualifiait «d’épître vitriolique», «cet
«antimilitariste» furieux contre notre attitude dans l’affaire du champ de tir,
nous reproche d’avoir pratiqué une odieuse censure parce que nous avons biffé
une attaque personnelle».
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, monsieur Potvin disait d’abord que ceux-ci manquaient de rigueur.
De plus, il considérait que monsieur Tremblay ne savait pas de quoi il parlait
lorsqu’il le traitait de «détestable dogmatique», et il procédait à une
explication élaborée sur le sens de ce terme.
Par ailleurs, à
l’affirmation de monsieur Tremblay à l’effet que sa lettre constituait une
attaque personnelle, monsieur Potvin répondait que ce qu’il avait fait était
plutôt de dénoncer l’attitude et le comportement de l’intimé, et de ceux qui
l’avaient honoré, «pour avoir réussi si adroitement à convaincre la population
des bienfaits de la chose militaire et surtout du champ de tir pour F-18 dans
la région».
Monsieur Potvin
soutenait enfin qu’il n’avait nullement accusé monsieur Tremblay, mais qu’il
lui avait posé des questions sur ses agissements qu’il considérait «douteux»,
puisque ce dernier avait défendu le bien-fondé du champ de tir tout en pleurant
en public «avec Jacquard sur le sort de l’humanité».
Analyse
La politique d’un média en matière de publication de lettres ouvertes relève de la prérogative de l’éditeur. Si celui-ci doit favoriser l’expression de plusieurs points de vue, il doit cependant éviter que le courrier des lecteurs ne devienne une tribune pour l’expression de propos irrespectueux ou d’attaques personnelles.
Par ailleurs, les médias peuvent abréger les lettres ouvertes qu’ils publient, mais ils ne doivent pas, ce faisant, changer le sens de la pensée ou des propos de l’auteur.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que le journal n’a pas modifié le sens de la lettre du plaignant en en retranchant, comme il l’a fait, certaines parties.
Par ailleurs, le Conseil estime que les extraits non publiés de cette lettre s’avéraient davantage une attaque personnelle à l’égard de l’intimé que l’expression d’une opinion contraire à celle de ce dernier.
Le Conseil considère que le journal était parfaitement en droit d’user de sa discrétion à cet égard. Aucun blâme n’est donc retenu.
Analyse de la décision
- C08B Modification des textes