Plaignant
CKCN-AM
[Télémédia, Sept-Iles]
Représentant du plaignant
M. Daniel Jouis
(avocat, Gauthier, St-Onge, Jouis)
Mis en cause
CBSI-FM [SRC,
Sept-Iles] et M. Réjean Desmeules (journaliste)
Représentant du mis en cause
Mme Christiane
Marais (directrice, CBSI-FM [SRC, Sept-Iles])
Résumé de la plainte
Le 30 octobre
1987, à l’intérieur d’un bulletin de nouvelles, CBSI diffuse sans autorisation
des extraits d’une entrevue exclusive accordée à la station CKCN par le Premier
ministre Brian Mulroney. Cette appropriation de matériel journalistique
témoigne d’une manque flagrant d’éthique professionnelle, en plus de violer les
droits d’auteurs.
Griefs du plaignant
Le Conseil a terminé
l’étude de la plainte de CKCN Radio Sept-Iles contre le journaliste Réjean
Desmeules et la station radiophonique Radio-Canada Côte-Nord [CBSI-Sept-Iles].
CKCN Radio
Sept-Iles, par l’entremise de maître Daniel Jouis, reprochait à CBSI-Sept-Iles
d’avoir diffusé, à l’intérieur d’un reportage du bulletin de nouvelles
régionales du 30 octobre 1987, des extraits d’une entrevue exclusive accordée à
CKCN par monsieur Brian Mulroney, premier ministre du Canada et député du comté
de Manicouagan, sans obtenir préalablement l’autorisation de la station.
Ce reportage du
journaliste Réjean Desmeules, qui visait à renseigner les auditeurs sur la
position du premier ministre concernant la relance économique de Sept-Iles,
alors que les Septiliens s’apprêtaient à faire une manifestation pour la survie
de la ville, reproduisait deux courts extraits de l’entrevue réalisée et
diffusée le soir précédent sur les ondes de CKCN.
Maître Jouis
considérait que cette «appropriation illégale sans permission, du travail et
des efforts de l’équipe de Radio Sept-Iles», constituait un «manque flagrant
d’éthique professionnelle» et un «cas flagrant de violation des droits
d’auteurs».
Il ajoutait
qu’il ne suffisait pas de faire référence à ceux qui avaient réalisé l’entrevue
pour permettre d’en diffuser des extraits, mais qu’il fallait «l’autorisation
expresse» de ces derniers.
Maître Jouis
estimait enfin que le journaliste Réjean Desmeules avait manqué de «respect
pour le travail de son confrère», et que la Société Radio-Canada avait fait
preuve de négligence en permettant la diffusion de ces extraits sans demander
préalablement une autorisation à cet effet.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, madame Christiane Marais, directrice de la station de
Radio-Canada à Sept-Iles, indiquait que les journalistes de Radio-Canada
Côte-Nord, conscients de l’importance d’une déclaration du premier ministre à
deux jours de la marche pour la survie de Sept-Iles, avaient tenté d’obtenir
une entrevue avec monsieur Mulroney, mais que leurs appels étaient demeurés
sans réponse.
Madame Marais
expliquait que le journaliste Réjean Desmeules, afin de renseigner les
auditeurs sur la position de monsieur Mulroney dans le dossier de la relance
économique de Sept-Iles, avait alors préparé un reportage reprenant les
principales idées émises par ce dernier «en mentionnant clairement que le tout
avait été diffusé dans une entrevue exclusive accordée à la station CKCN».
Ce reportage
ayant été diffusé le matin suivant l’entrevue à CKCN, madame Marais disait
avoir reçu, quelques minutes plus tard, un appel d’un journaliste de
Radio-Canada «[l’] avisant que la station CKCN le sommait de ne plus diffuser
ce reportage, car le matériel était sa propriété».
Madame Marais
indiquait qu’elle avait alors immédiatement demandé que l’on retire le
reportage et que l’on fasse un texte «pour passer le message sans les extraits
sonores de monsieur Mulroney». Elle signalait de plus qu’elle avait communiqué
avec CKCN afin d’obtenir la permission de diffuser certains extraits,
autorisation qui lui fut refusée. Le matériel de CKCN n’avait donc pas été
utilisé par la suite.
Madame Marais
faisait enfin remarquer que le reportage, dans lequel avait été diffusé ces
brefs extraits, mentionnait à deux reprises la source de l’entrevue, et que
cette diffusion n’avait certainement pas été faite dans le but de manque «de
respect pour le travail [d’un] confrère».
Le journaliste
Réjean Desmeules soutenait pour sa part que les propos de monsieur Mulroney
étaient publics et que «l’entrevue devenait en soi un événement à couvrir»,
d’autant plus qu’il y avait un «caractère d’urgence» compte tenu que le
«premier ministre voulait faire connaître son point de vue avant la
manifestation d’envergure des Septiliens».
Indiquant qu’il
existait généralement une collaboration tacite entre les médias permettant une
plus large diffusion de l’information entourant ce genre d’événements, monsieur
Desmeules faisait remarquer qu’il avait donné tout le crédit nécessaire au
journaliste de CKCN et qu’il n’avait en aucun cas «voulu être irrespectueux à
son endroit».
Disant ne rien
comprendre au «préjudice et au discrédit que toute cette affaire aurait pu
causer à CKCN», monsieur Desmeules considérait plutôt que la réaction du
propriétaire de CKCN «aura eu comme conséquence de faire rejaillir sur un autre
média la petite gloire d’une entrevue avec le premier ministre». Monsieur
Desmeules ajoutait que «plutôt que d’avoir un discrédit, c’est plutôt à bon
coup publicitaire qu’aurait eu droit la station privée si elle avait montré
plus de collaboration et plus de respect envers les auditeurs».
Réplique du plaignant
Répliquant
d’abord aux commentaires de la directrice de CBSI, madame Christiane Marais, maître
Daniel Jouis soutenait qu’un des éléments importants des commentaires de cette
dernière était «l’aveu candide d’avoir utilisé des extraits sonores de
l’entrevue». Il estimait que cet aveu faisait preuve d’une «insouciance
marquée» à l’égard des lois et des règles d’éthiques et que CKCN était en droit
de s’attendre à une demande d’autorisation avant la diffusion de ces extraits.
Par ailleurs,
maître Jouis considérait inacceptable l’argumentation de madame Marais à l’effet
qu’il avait été impossible pour les journalistes de Radio-Canada d’obtenir une
entrevue avec le premier ministre. Il lui apparaissait plutôt «irrégulier de
diffuser l’enregistrement d’une entrevue prise en violation des droits de son
auteur, lorsque [l’on était] incapable d’obtenir cette entrevue».
Maître Jouis ne
voyait aucun inconvénient à ce que Radio-Canada Côte-Nord «couvre» l’événement,
mais considérait que cette couverture aurait pu se faire sans la diffusion
desdits extraits et que le contenu de l’entrevue aurait pu être livré sans
«s’approprier le travail d’autrui».
Répliquant
ensuite aux commentaires du journaliste Réjean Desmeules, maître Jouis
signalait que ce dernier avait aussi avoué avoir utilisé les extraits de
l’entrevue et qu’il avait invoqué, pour ce faire, le caractère public des
propos de monsieur Mulroney ainsi que l’urgence de la situation. Maître Jouis
se demandait «en quoi le caractère public d’un événement» permettait à un
journaliste de «s’accaparer» des extraits d’entrevue réalisée par un confrère.
Il ajoutait que si le caractère public d’un événement permettait à tous d’être
informé sur celui-ci, il n’accordait cependant pas «le droit à un journaliste
d’enregistrer l’entrevue obtenue par une autre station pour ensuite en diffuser
des extraits sur les ondes de sa propre station».
Par ailleurs, en
réponse à la remarque du journaliste à l’effet que la réaction du propriétaire
de CKCN dans cette affaire «aura eu comme conséquence de faire rejaillir su un
autre média la petite gloire d’une entrevue avec le premier ministre», maître
Jouis citait un dirigeant de CKCN qui rétorquait que «la petite gloire d’une
entrevue avec le premier ministre vaut bien celle d’être cité à Ce Soir
Côte-Nord de Radio-Canada». Maître Jouis considérait que monsieur Desmeules
semblait prendre cette plainte à la légère en se permettant ainsi de faire de
l’esprit.
Enfin, quant à
la remarque de monsieur Desmeules à l’effet que la station CKCN aurait eu droit
à un bon coup publicitaire «si elle avait montré plus de collaboration et plus
de respect envers les auditeurs», maître Jouis rétorquait que la station «use
habituellement de sa propre initiative» pour choisir les véhicules
publicitaires qui lui sont appropriés.
Analyse
L’information diffusée par les médias relève du domaine public. Les professionnels de l’information peuvent, par conséquent, s’y référer, en rapporter la substance, à la condition d’en mentionner la source ou la provenance.
Par contre, il serait contraire à l’éthique journalistique de reproduire ou de diffuser la totalité ou une partie d’un reportage écrit, radiophonique ou télévisuel, d’une entrevue ou d’une émission d’information ou d’affaires publiques, sans l’autorisation du journaliste ou du média qui en est propriétaire.
Dans le cas présent, le Conseil blâme les défendeurs pour avoir diffusé des extraits d’une entrevue réalisée et diffusée par la station radiophonique CKCN sans obtenir préalablement l’autorisation de cette dernière.
Quoique le journaliste ait mentionné dans son reportage la provenance de ces extraits, en informant les auditeurs que cette entrevue avait été accordée exclusivement à CKCN par le premier ministre Brian Mulroney, le Conseil considère que cette seule mention était insuffisante pour en légitimer la diffusion sans autorisation.
Une telle façon de faire de la part des défendeurs est contraire à l’éthique journalistique et professionnelle, et le Conseil les invite instamment à une plus grande rigueur en la matière.
Analyse de la décision
- C23G Plagiat/repiquage