Plaignant
La Corporation
professionnelle des psychologues du Québec et M. Luc Granger (président)
Mis en cause
L’Actualité
[Montréal] et Mme Micheline Lachance (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean Paré
(directeur, L’Actualité [Montréal])
Résumé de la plainte
Dans l’article
«Le coup du psy», publié en septembre 1987 par L’Actualité, la journaliste
Micheline Lachance porte atteinte à l’image des psychologues et de leur
corporation professionnelle en rapportant des informations inexactes, non
vérifiées et partiales. L’Actualité fait paraître la lettre de rectification de
la plaignante, mais en abrègeant le texte et en modifiant l’identification de
son représentant.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de la Corporation professionnelle des
psychologues du Québec contre la journaliste Micheline Lachance et le magazine
L’Actualité concernant un article paru dans l’édition de septembre 1987 au
sujet des rapports sexuels entre thérapeute et cliente.
La Corporation,
par l’entremise de son président, monsieur Luc Granger, reprochait à cet article,
intitulé «Le coup du psy», d’avoir terni sans justification l’image de la
Corporation et de ses membres par les «informations inexactes, non vérifiées et
partiales» qu’il contenait. Monsieur Granger estimait que la journaliste aurait
davantage fait preuve d’éthique professionnelle si elle avait communiqué avec
la Corporation afin d’obtenir des informations de sources compétentes.
Dans une lettre
ouverte qu’il faisait parvenir au directeur du magazine pour publication, le
président de la Corporation faisait remarquer que si le sujet «hautement
délicat» de cet article avait été traité convenablement, cela aurait permis aux
lecteurs de «comprendre la complexité d’une relation entre un psychologue et
son client, et surtout l’efficacité des mécanismes qui existent pour protéger
le client victime d’abus de la part d’un professionnel».
S’en prenant aux
passages de l’article référant à l’existence d’une «conspiration du silence» à
l’effet que les professionnels se protégeraient entre eux en taisant ces actes,
monsieur Granger indiquait que la Corporation aurait été «tout à fait disposée
à discuter avec la journaliste des facteurs qui peuvent conduire à de tels
écarts», et de fournir des données exactes sur le nombre de plaintes reçues à
ce sujet.
Monsieur Granger
signalait que la Corporation n’avait reçu que six plaintes portant sur des
contacts sexuels entre thérapeute et cliente au cours de l’année 1985-1986,
c’est-à-dire dix pour cent de l’ensemble des plaintes qui lui avaient été
soumis, contrairement au vingt pour cent qui étaient rapportés dans l’article.
Il faisait remarquer qu’il s’agissait d’un phénomène très marginal chez les
psychologues, compte tenu que la Corporation regroupait 3 800 membres.
Il signalait de
plus qu’en vertu du Code de déontologie de la profession, un psychologue
s’expose à des sentences très sévères s’il est reconnu coupable, par le Comité
de discipline, d’avoir eu des relations sexuelles avec sa cliente. Présentant
des exemples à cet effet, monsieur Granger invitait donc la journaliste
Micheline Lachance à lire attentivement les rapports annuels de la Corporation
avant de parler de «conspiration du silence».
Le président de
la Corporation considérait que cet article, qui revêtait un «caractère de
sensationnalisme et de vulgarité, avait «gravement entaché la réputation et la
crédibilité des psychologues qui exercent de façon honnête et professionnelle».
Il estimait que le «ton sensationnel» qui avait été utilisé pour décrire cette
réalité laissait croire que ces actes étaient monnaie courante et que les
« thérapies érotiques » étaient un «mode d’intervention bien connu et
accepté de tous».
Monsieur Granger
s’en prenait enfin au fait que le magazine n’avait publié qu’un abrégé de la
lettre qu’il avait fait parvenir au directeur pour rectification. Il
considérait de plus que cet abrégé passait «encore plus inaperçu» en inscrivant
comme signataire un «Luc Granger de Ville Mont-Royal», plutôt que d’indiquer
qu’il était président de la Corporation professionnelle des psychologues du Québec.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, le directeur de L’Actualité, monsieur Jean Paré, expliquait que
l’article en question «résumait, en gros, deux enquêtes effectuées par des
chercheurs sérieux, membres de la Corporation, sur un problème qui semblait
réel, et les faisait commenter par des professionnels et des responsables de
l’enseignement universitaire de la psychologie». Il considérait que cet article
était «exempt de sensationnalisme ou de jaunisme».
Monsieur Paré
indiquait que tous les chiffres dont l’article faisait état avaient été
«vérifiés et revérifiés par des gens qui savent de quoi il retourne». Référant
à la donnée contestée par le président de la Corporation à l’effet que vingt
pour cent des plaintes reçues par cet organisme portaient sur des contacts
sexuels entre thérapeute et patiente, le directeur de L’Actualité signalait que
cette information avait été obtenu du syndic (1985) de la Corporation des
psychologues et qu’elle se trouvait de plus dans les documents de la Corporation.
Au grief du
plaignant concernant le fait que la journaliste n’avait pas communiqué avec la
Corporation pour obtenir des informations de sources compétentes, monsieur Paré
indiquait que ceci n’avait pas été fait, car le président de la Corporation
avait «refusé sa collaboration aux auteurs de recherches» mentionnées dans
l’article. Monsieur Paré ajoutait à cela que l’article ne contestait pas la
Corporation, mais «tous les gens qui sont «en situation de thérapie», qu’il
s’agisse de professionnels ou de charlatans».
Quant à la
lettre du plaignant, monsieur Paré faisait d’abord remarquer que celle-ci ne
contestait aucunement les faits rapportés ou les autorités citées et qu’elle
lui apparaissait plutôt «comme une simple expression d’opinion ou d’humeur». Il
signalait ensuite que cette lettre avait été traitée comme toutes les autres
lettres du courrier des lecteurs eu égard aux conditions concernant la
pertinence et la longueur, et même «plutôt mieux que les autres», car elle
avait été «moins abrégée».
Enfin, en
réponse au grief du plaignant à l’effet que la signature apparaissant au bas de
la lettre publiée indiquait «Luc Granger de Ville Mont-Royal» plutôt que
président de la Corporation professionnelle des psychologues du Québec,
monsieur Paré signalait que la fonction de monsieur Granger avait été
clairement mentionnée au début de la lettre.
Réplique du plaignant
Répliquant à ces
commentaires, monsieur Granger disait d’abord que le ton et le contenu de la
lettre de commentaires de monsieur Paré constituaient un exemple ce qui était
reproché à l’article, c’est-à-dire «un ensemble de demi-vérités et de procès
d’intention sans aucun souci d’objectivité et de vérification des faits».
Monsieur Granger
indiquait ensuite que les chiffres qui avaient été supposément «vérifiés et
revérifiés», ne l’avaient pas été auprès des responsables en poste à la
Corporation. Il considérait que le fait de prendre la parole d’un syndic qui
n’occupait plus cette fonction depuis trois ans, ne lui apparaissait pas une
vérification suffisante pour un article publié en 1987. Il ajoutait qu’il
aurait été très simple de téléphoner à la syndic en poste actuellement.
Le président de
la Corporation estimait que le directeur de L’Actualité «interprétait» la réalité
lorsqu’il mentionnait son refus de collaborer aux recherches mentionnées dans
l’article. Monsieur Granger expliquait que ce que la Corporation avait refusé
de faire était de «défrayer une partie des coûts de la thèse de doctorat de
l’un des deux chercheurs et cela, non parce que le sujet ne
« plaisait » pas», mais simplement parce que la Corporation n’était pas
un «organisme subventionnaire de recherche universitaire». Il remarquait qu’un
simple appel à la Corporation aurait permis encore une fois de clarifier les
faits.
Il en allait de
même concernant la mention, dans l’article, de l’existence d’une complaisance
des corporations professionnelles à l’égard des abus sexuels de certains
praticiens. Monsieur Granger indiquait qu’une vérification auprès de la
Corporation aurait permis de constater que ces pratiques, «loin d’être
tolérées, étaient punies par de lourdes amendes et des suspensions de permis».
Monsieur Granger
disait enfin ne pas reprocher au magazine d’avoir parlé du phénomène dont il
était question, mais plutôt de «l’avoir fait de façon négligente en ne prenant
pas la peine de vérifier les informations données et en ne faisant pas toutes
les distinctions requises entre les professionnels (dans le cas desquels il
existe des mécanismes de contrôle et des recours) et les charlatans de tout
acabit contre lesquels les recours sont très difficiles».
Analyse
Le choix et le traitement d’un sujet particulier relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes, lesquels ont le devoir de livrer une information conforme aux faits. Ils doivent, pour ce faire, prendre tous les moyens appropriés à leur disposition pour vérifier l’authenticité des informations qu’ils portent à l’attention du public.
En ce qui concerne le courrier des lecteurs, le Conseil a toujours reconnu la prérogative de l’éditeur de publier ou non une lettre ouverte. Il considère toutefois que la publication de telles lettres peut constituer un moyen adéquat et recommandable de rectifier certaines erreurs et de permettre aux personnes, groupes ou associations de faire connaître leurs griefs concernant le contenu de l’information diffusée à leur sujet ou la façon dont elle fut traitée.
Enfin, les médias peuvent abréger les lettres ouvertes qu’ils publient, mais ils ne doivent pas, ce faisant, changer le sens des propos de l’auteur ou en diminuer la portée de façon significative.
Dans le cas présent, le Conseil est d’avis que la journaliste n’a pas outrepassé la latitude qui était sienne en traitant, comme elle l’a fait, le sujet des relations entre thérapeute et cliente. Après étude, le Conseil ne voit pas en quoi l’article soumis à son attention revêt un caractère sensationnaliste et vulgaire. Il estime plutôt que l’article présente de façon claire un phénomène réel sans toutefois le généraliser à l’ensemble des professionnels de ce secteur d’activités ou le rattacher spécifiquement à la Corporation.
Le Conseil considère de plus, contrairement au plaignant, que la journaliste a bien fait ressortir la complexité du phénomène. D’une part, elle cite diverses enquêtes et présente des statistiques démontrant l’ambiguïté de la profession face au phénomène en question et, d’autre part, elle interviewe, entre autres, une psychologue qui effectue des recherches sur l’impact de ces abus sur les victimes. La journaliste a de plus indiqué que des organismes comme les corporations professionnelles ont des mécanismes d’enquête et des pouvoirs de sanctions pour des abus de la sorte.
Le Conseil déplore cependant les coupures effectuées à la lettre ouverte du plaignant lors de sa parution, car celles-ci diminuent la portée du point de vue qui y était exprimé.
Il déplore également que le titre professionnel du plaignant n’ait pas été indiqué au bas de la lettre ouverte qu’il signait, compte tenu qu’il agissait en tant que président de la Corporation professionnelle des psychologues du Québec et non à titre personnel.
Le Conseil s’interroge enfin sur l’opportunité, pour les médias, d’accorder un traitement particulier à la réplique de personnes, groupes ou associations nommés dans les articles qu’ils publient, et invite les médias à réfléchir sur la question.
Analyse de la décision
- C09A Refus d’un droit de réponse
- C09B Droit de réponse insatisfaisant
- C13A Partialité