Plaignant
M. Arthur
Benarroch (conseiller municipal, Verdun)
Mis en cause
Le Magazine
Ile-des-Soeurs [Verdun] et Mme Donna Flint (rédactrice en chef)
Résumé de la plainte
Le 30 mars 1988,
la rédactrice en chef du Magazine lle-des-Soeurs, Mme Donna Flint, fait
paraître l’article «Pour Arthur Benarroch : Les actions comptent plus que les
mots», sans avoir consulté le plaignant. Le 6 avril 1988, elle cherche à ternir
la réputation du plaignant dans une chronique titrée «Les potins : Ce qui
compte, c’est le temps».
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Arthur Benarroch, conseiller
municipal de la ville de Verdun, contre le Magazine Ile-des-Soeurs et sa
rédactrice en chef, madame Donna Flint, concernant un article paru le 30 mars
1988, et une chronique publiée le 6 avril 1988.
L’article
intitulé «Pour Arthur Benarroch : Les actions comptent plus que les mots»,
rapportait que le plaignant n’avait pas utilisé les procédures habituelles de
la municipalité pour répondre aux demandes de deux résidents concernant
l’aménagement de sentiers piétonniers dans un parc de la ville.
Quant à la
chronique, identifiée «Les potins», elle portait le commentaire suivant sur les
voyages que le conseiller municipal Arthur Benarroch faisait pour la boutique
de vêtements dont il est propriétaire: «C’est étonnant de savoir comment il
trouve le temps d’effectuer tous ces voyages d’achat à l’étranger avec son
horaire chargé comme conseiller municipal».
Monsieur
Benarroch considérait cette affirmation comme une attaque dont le «but évident»
était de ternir sa réputation et son «honorabilité».
Dans le cas de
l’article du 30 mars, monsieur Benarroch indiquait que le reproche que lui
adressait le journal s’appuyait sur le «fait que la rédactrice [madame Donna
Flint] estime qu’un conseiller municipal doit soumettre au maire toutes les
questions qui lui sont posées par les résidents», ce qui n’avait pas été fait
dans les circonstances.
Monsieur
Benarroch expliquait que, selon les pratiques courantes, seuls les sujets qui
ne «trouvent pas de réponse ou qui doivent faire l’objet de discussion ou de
débat sont abordés en «caucus» ave le maire et les membres du conseil»
municipal. Il signalait que le cas soulevé dans l’article ne nécessitait pas un
tel débat.
Le plaignant
considérait de plus, que la journaliste avait manqué d’éthique professionnelle
en omettant d’obtenir sa version des faits avant d’écrire son article, d’autant
plus qu’elle avait interviewé les résidents concernés, le maire, le greffier,
ainsi que le directeur général adjoint de la municipalité.
Admettant qu’il
avait dit à cette journaliste qu’il refuserait d’apporter sa collaboration au
journal à la suite de la parution, un mois auparavant, d’articles «tendancieux»
à son égard, monsieur Benarroch estimait toutefois qu’un média devrait donner
le droit de se défendre à une personne qui était attaquée publiquement.
Commentaires du mis en cause
En réponse à
cette plainte, la rédactrice en chef du Magazine Ile-des-Soeurs, madame Donna
Flint, répliquait d’abord à l’affirmation du plaignant à l’effet que l’article
du 30 mars s’appuyait sur le fait qu’elle estimait qu’un «conseiller municipal
doit soumettre au maire toutes les questions qui lui sont posées par les
résidents». Madame Flint faisait remarquer que ce n’était pas elle, mais
monsieur Benarroch qui avait dit à l’un des résidents de lui remettre sa lettre
aussitôt que possible afin que cette question du sentier piétonnier puisse être
mise à l’ordre du jour de la prochaine réunion du conseil. Elle ajoutait que
son article décrivait par ailleurs la procédure habituelle concernant les
demandes semblables de la part de citoyens, telle que l’indiquaient, dans
l’article, le maire de la ville de Verdun et le greffier municipal.
Au grief de
monsieur Benarroch à l’effet qu’un média devrait donner le droit de se défendre
à une personne qui était attaquée publiquement, madame Flint disait que son
associé avait téléphoné à la résidence du plaignant, avant la publication de
l’article, et qu’une voix féminine avait répondu que ce dernier était absent
pour plusieurs jours. Elle ajoutait que le Magazine avait téléphoné à monsieur
Benarroch, malgré le fait que l’hebdomadaire Journal de l’Ile-des-Soeurs ait rapporté,
dans un article du 17 mars 1988, que monsieur Benarroch «refuse d’être
interviewé à l’avenir par le Magazine [Ile-des-Soeurs]».
Note: En guise
d’explication à ce sujet, madame Flint présentait une série d’articles parus
dans le Magazine Ile-des-Soeurs et dans cet autre hebdomadaire de
l’Ile-des-Soeurs, le Journal de l’Ile-des-Soeurs, au sujet de l’opinion de
diverses personnes concernant un projet de développement de condominiums du
Groupe immobilier Saint-Jacques. Elle indiquait que certains articles du
Journal de l’Ile-des-Soeurs contenaient des «attaques» contre le projet que
plusieurs propriétaires de condominiums considéraient non fondées. Madame Flint
disait alors avoir écrit un article présentant, selon ces propriétaires, le
pour et le contre du projet domiciliaire. Elle expliquait enfin qu’à la suite
de la parution de cet article, monsieur Benarroch avait refusé d’être
interviewé par le Magazine Ile-des-Soeurs, car il estimait que cet article
minait sa crédibilité.
Madame Flint
répliquait ensuite au grief du plaignant concernant le commentaire contenu dans
la chronique «Les potins», commentaire que monsieur Benarroch qualifiait
«d’attaque». Selon madame Flint, son commentaire était plutôt favorable au
plaignant face à sa capacité évidente d’assumer la somme de travail qu’imposent
ses fonctions de conseiller municipal et ses activités d’homme d’affaires. Elle
nous référait, en réponse à ce grief, à deux articles publiés dans le Journal
de l’Ile-des-Soeurs dans lesquels était rapporté que le travail de monsieur
Benarroch dans un dossier municipal avait eu des répercussions considérables
sur son commerce et sa famille, et qu’il était dans l’obligation de quitter le
comité de direction d’une association de résidents en raison du temps qu’exige
son travail à l’Hôtel de ville.
Réplique du plaignant
En réponse à la
rédactrice en chef du Magazine Ile-des-Soeurs, monsieur Benarroch faisait
d’abord remarquer que les commentaires de madame Flint concernant le projet
domiciliaire du Groupe immobilier Saint-Jacques n’avaient aucun rapport avec
l’objet de sa plainte.
Monsieur
Benarroch était d’avis que madame Flint avait «voulu faire une tempête dans un
verre d’eau» concernant l’affaire des sentiers piétonniers, d’autant plus que
le directeur général adjoint de la ville avait déclaré à cette dernière «avant
qu’elle ne fasse son article, [qu’il] avait agi dans cette affaire conformément
aux procédures habituelles». Monsieur Benarroch indiquait que malgré cela,
madame Flint s’était «obstinée» à écrire un article sans rapporter les
commentaires du directeur général adjoint et ceci «dans le but évident de lui
causer du tort, bien que sachant pertinemment [qu’il] n’avait commis aucune
faute». Il ajoutait que madame Flint avait soulevé cette tempête possiblement
parce qu’elle n’avait pas dû trouver de son goût une lettre ouverte qu’il avait
écrite à la suite de l’article qu’elle signait concernant l’opinion de
propriétaires de condos sur le projet domiciliaire Saint-Jacques, lettre qui
fut publiée dans le Magazine Ile-des-Soeurs.
Monsieur
Benarroch qualifiait par ailleurs de «mensonge» l’affirmation de madame Flint à
l’effet que le Magazine avait téléphoné chez lui pour l’interviewé et qu’une
«femme aurait répondu qu’il était en voyage». Il indiquait d’une part qu’il n’y
avait pas de femme chez lui, puisqu’il vivait avec ses deux enfants. Il
soutenait d’autre part que la «vérité» était que le Magazine ne voulait pas
l’interviewer, «car s’il l’avait fait, il n’aurait tout simplement rien eu à
écrire qui puisse [le] compromettre dans une affaire montée de toutes pièces
par celui-ci».
Quant au
commentaire contenu dans la chronique «Les potins», monsieur Benarroch estimait
que le Magazine avait «voulu intentionnellement jeter le discrédit» sur lui et
que ce commentaire n’était pas un compliment, mais bien une attaque personnelle
compte tenu de «l’animosité permanente du Magazine» à son égard.
Ä l’appui de
cette dernière remarque, monsieur Benarroch disait que les gens vivaient dans
une «atmosphère un peu particulière» à l’Ile-des-Soeurs compte tenu que le
Magazine Ile-des-Soeurs «tire sa source de revenus des promoteurs», dont ceux
du projet domiciliaire Saint-Jacques, et que le maire de la ville «favorise la
construction à outrance». Monsieur Benarroch expliquait qu’il arrivait souvent
au maire d’alimenter le Magazine contre lui, ce qui lui paraissait chose
courant en politique, mais que cela faisait bien l’affaire du Magazine.
Analyse
Les médias et les journalistes doivent respecter les distinctions qui s’imposent entre les genres journalistiques et prendre soin de ne pas confondre commentaire et reportage afin d’éviter que le public ne se méprenne sur la nature de l’information qu’il reçoit.
En matière d’information, le choix et le traitement d’un sujet ou d’un événement relèvent du jugement rédactionnel des médias et des journalistes, lesquels doivent exercer ce jugement en fonction du degré d’intérêt public d’une nouvelle.
Ces décisions ne sauraient cependant être dictées par des considérations étrangères au droit du public à une information juste et honnête, et ne pas être influencées par des inimitiés, des préjugés ou un parti pris à l’égard de personnes ou de groupes susceptibles d’être impliqués dans des événements d’intérêt public.
La chronique se distingue pour sa part de l’information en ce qu’elle constitue un genre journalistique qui permet à leurs auteurs une grande latitude dans l’expression de leurs jugements, opinions et points de vue. Cette latitude ne saurait cependant être absolue car ces derniers doivent mesurer la portée de leurs écrits de façon à éviter de jeter gratuitement le discrédit sur les personnes ou les groupes concernés.
Enfin, il est important que les professionnels de l’information tentent d’obtenir la version des faits des personnes ou des groupes mis en cause dans leurs écrits, une telle démarche leur permettant de tenir compte de tous les éléments d’information disponibles et, par conséquent, de mieux informer le public.
Dans le cas présent, l’article à l’origine de cette plainte tient tout autant du texte d’opinion que du reportage. Par conséquent, il eut été important de l’identifier comme tel, et le Conseil blâme le journal et la rédactrice en chef pour n’avoir pas su faire les distinctions qui s’imposent à cet égard.
Le Conseil estime par ailleurs que la rédactrice en chef du Magazine Ile-des-Soeurs n’a pas outrepassé la latitude qui était sienne en traitant, comme elle l’a fait, le sujet abordé dans la chronique intitulée «Les potins». Le Conseil considère que l’opinion exprimée dans celle-ci ne constitue en rien une attaque à l’endroit du plaignant, ni ne jette de discrédit sur ce dernier.
Enfin, après étude du dossier, le Conseil n’est pas en mesure d’établir avec certitude si les défendeurs ont tenté ou non d’obtenir la version des faits du plaignant avant de publier l’article. Si, de fait, cette démarche a été effectuée, il déplore que celle-ci n’ait pas été soulignée dans l’article. Le Conseil rappelle l’importance pour les professionnels de l’information d’effectuer de telles démarches, surtout lorsque la réputation d’une personne est mise en cause.
Analyse de la décision
- C12C Absence d’une version des faits
- C17A Diffamation
- C20A Identification/confusion des genres