Plaignant
M. Richard
Wagman
Mis en cause
La Presse
[Montréal]
Représentant du mis en cause
M. Claude Masson
(vice-président et éditeur adjoint, La Presse [Montréal])
Résumé de la plainte
Le 26 juillet
1988, La Presse publie une dépêche de l’Associated Press contenant l’expression
«enfants illégitimes», qui évoque l’humiliation, la honte et la marginalisation
des enfants nés hors du mariage, et n’a pas sa place dans un journal au service
d’une société moderne et pluraliste. Cette dépêche, intitulée «La
libéralisation des moeurs est plus significative en 80 que dans les années
soixante», rapporte des statistiques sur le mariage, le divorce, la
cohabitation et les naissances.
Griefs du plaignant
Le Conseil a
terminé l’étude de la plainte de monsieur Richard Wagman contre le quotidien La
Presse au sujet d’une dépêche de l’Associated Press publiée le 26 juillet 1988
sous le titre «La libéralisation des moeurs est plus significative en 80 que
dans les années soixante». Cette dépêche faisait état d’une analyse statistique
sur les phénomènes sociaux du mariage, du divorce, de la cohabitation et des
naissances.
Monsieur Wagman
déplorait l’utilisation dans le texte en question de l’expression «enfants illégitimes».
Il soutenait que cette expression «évoque l’humiliation, la honte et la
marginalisation des enfants nés hors du mariage» et «risque d’offenser
plusieurs personnes dans notre société».
Monsieur Wagman
considérait également que cette expression, ainsi que le message qu’elle
sous-tend, correspond aux valeurs sociales d’une partie «minoritaire» de la
population. Il estimait que les «dommages moraux que ce terme implique à une
couche importante de notre société, avec l’esprit d’intolérance qu’il suscite»,
justifiaient son remplacement par une autre expression.
Dans une lettre
ouverte qu’il adressait à La Presse monsieur Wagman disait que l’appellation
«enfants illégitimes» n’avait plus sa place «en cette fin du XXe siècle dans
une presse qui se veut responsable et au service d’une société moderne et
pluraliste».
Commentaires du mis en cause
M. Claude
Masson, vice-président et éditeur adjoint, La Presse
En réponse à
cette plainte, monsieur Claude Masson faisait d’abord remarquer que l’essentiel
de la lettre ouverte du plaignant avait été publié, le 5 août 1988, dans la
tribune libre du journal.
Monsieur Masson
se disait ensuite d’accord avec le plaignant «sur le fond de la question». Il
ajoutait qu’il n’y avait «aucune mauvaise foi ou aucun préjugé dans l’utilisation
qui est faite de l’expression « naissances illégitimes » ou
« enfants illégitimes »». Il invitait enfin le plaignant à faire des
suggestions à La Presse pour une meilleure expression.
Réplique du plaignant
En réplique à
ces commentaires, le plaignant se disait «en grande partie» satisfait de
l’ouverture de monsieur Masson relativement à cette question. Il précisait que
le but de sa démarche n’était pas de pointer un doigt accusateur à La Presse en
particulier, mais plutôt de souligner que les expressions «naissances
illégitimes» et «enfants illégitimes» étaient devenues «anachroniques»,
puisqu’elles ne correspondaient plus aux valeurs morales généralement acceptées
dans notre société moderne, mais qu’elles reflétaient plutôt des valeurs d’un
passé révolu.
Monsieur Wagman
suggérait enfin à La Presse, ainsi qu’à l’ensemble des médias écrits et
électroniques, l’utilisation de l’expression «enfants nés hors mariage» ou
«enfants issus d’unions libres».
Analyse
Le choix et l’utilisation des termes relèvent de la discrétion rédactionnelle des médias. Ceux-ci doivent cependant tenir compte des exigences du respect à l’égalité et à la non-discrimination des individus ou des groupes.
Les artisans de l’information doivent également tenir compte de l’évolution des mentalités dans le vocabulaire qu’ils emploient et le traitement journalistique qu’ils font des changements et des phénomènes sociaux dont ils rendent compte, afin d’éviter d’entretenir des préjugés et de fausses conceptions à l’égard de personnes ou de groupes de la société.
Enfin, les médias sont entièrement responsables de l’information qu’ils publient dans leurs pages ou diffusent sur leurs ondes, quelle qu’en soit la provenance.
Dans le cas présent, le Conseil déplore que La Presse ait reproduit les expressions «enfants illégitimes» et «naissances illégitimes» utilisées dans une dépêche de l’Associated Press qu’elle publiait le 26 juillet 1988.
Ces expressions véhiculent certaines valeurs qui ne sont pas nécessairement partagées par l’ensemble de la collectivité, dans une société pluraliste comme la nôtre. L’utilisation de telles expressions peut avoir comme effet de stigmatiser les personnes auxquelles on réfère de la sorte et de ce fait, les humilier ou les offenser.
Le Conseil invite donc les médias à rechercher et à utiliser les termes et les expressions les plus neutres possible, et non-discriminatoires, pour nommer ou identifier les personnes ou les groupes.
Analyse de la décision
- C18D Discrimination