Plaignant
Le Courrier de
St-Hubert et Mme Odette Côté (ex-rédactrice en chef)
Représentant du plaignant
M. Serge Landry (directeur,
Le Courrier de St-Hubert) et M. Claude Dallaire (rédacteur en chef, Le Courrier
de Saint-Hubert)
Mis en cause
M. Guy
Desgroseillers (ex-maire, St-Hubert)
Représentant du mis en cause
M. Marc Talbot
(avocat, Lapointe, Schachter, Champagne 1/4 Talbot)
Résumé de la plainte
Le maire sortant
de la ville de St-Hubert s’attaque à l’impartialité et à la compétence de
l’ex-rédactrice en chef du Courrier de Saint-Hubert, Mme Odette Côté, dans un
dépliant électoral distribué peu avant les élections municipales de 1988. Ce
geste constitue un obstacle à la diffusion de l’information et des opinions,
ainsi qu’une entrave à l’exercice du métier de journaliste et à la liberté de
la presse. Il porte de plus atteinte à la réputation de la personne concernée.
Faits
Peu avant les élections
municipales du 6 novembre 1988 à la ville de Saint-Hubert, un dépliant
électoral de l’un des partis en lice, le Parti civique, est distribué aux
personnes résidantes de la ville. Le chef du Parti civique et maire sortant, M.
Guy Desgroseillers, y signe un texte dans lequel il tient les propos suivants à
l’endroit de Mme Odette Côté, alors journaliste et rédactrice en chef de
l’hebdomadaire Le Courrier de Saint-Hubert.
«Vous devez
savoir… que l’administration municipale que je dirige connaît un adversaire
acharné en la personne d’une journaliste du « Courrier Saint-Hubert »,
Madame Odette Côté, qui a maintes fois sali la réputation de votre serviteur et
de notre Ville, en offensant les milliers d’électeurs qui ont mis en nous leur
confiance.
Vous devez
savoir… que cette personne mérite la réprobation de toute notre population,
car elle n’a reçu aucun mandat pour insulter les serviteurs de l’administration
municipale; elle n’a aucune compétence pour condamner les décisions que nous
prenons dans l’intérêt de la collectivité; sa constante mauvaise foi est la
honte de notre Ville et le journal qu’elle représente donne régulièrement dans
le « jaunisme » en déformant les faits et en induisant le public en
erreur par des reportages malicieusement partisans et sans fondement.»
Griefs du plaignant
Le 31 octobre
1988, M. Serge Landry, directeur du Courrier Saint-Hubert, et Mme Odette Côté,
alors journaliste et rédactrice en chef de l’hebdomadaire, s’adressent au
Conseil de presse jugeant cet acte du maire comme étant: – «une entrave à la
diffusion des événements et des opinions»; – «une entrave au métier de
journaliste et à la liberté de presse»; – «une atteinte au droit fondamental
des personnes à la dignité et à la réputation».
M. Landry et Mme
Côté rappellent d’abord les faits, après avoir mentionné que le maire Guy
Desgroseillers sollicitait alors un deuxième mandat et que la campagne
électorale était relativement calme, mais que les dossiers chauds ressortaient
aux dernières assemblées publiques : – Odette Côté signait, le 2 octobre 1988,
un article intitulé «Défilé Saint-Jean-Baptiste : 10 000 $ pour payer des
salaires!», relatant les faits concernant le dossier du défilé qui fut discuté
en séance régulière du conseil municipal à la fin septembre. – Odette Côté
signait le même jour un éditorial intitulé «De maladresse en maladresse…»
[cet éditorial exprime une opinion quant aux réactions du maire Desgroseillers
concernant le dossier du défilé lors de l’assemblée tout juste mentionnée]. –
Le Courrier Saint-Hubert est saisi, dans la semaine du 9 octobre 1988, d’une
demande des organisateurs du Parti civique, afin d’utiliser l’espace
publicitaire [en première page] qu’un client commercial du journal leur avait
cédé gratuitement. – Le journal refuse après vérification auprès du Bureau du
directeur général des élections du Québec et en raison de sa politique voulant
ne favoriser aucun des partis en lice. – Le 11 octobre 1988, le journal et Mme
Odette Côté sont mis en demeure par les procureurs du maire Desgroseillers de
publier une rétractation dans la prochaine édition du journal relativement à
l’éditorial «De maladresse en maladresse…». – Le 25 octobre 1988, les
procureurs du journal et de Mme Côté informent les intéressés qu’aucune
rétractation ne sera faite. – Quelques jours plus tard, le dépliant électoral
contenant les propos litigieux est distribué aux personnes résidantes de la
ville de Saint-Hubert.
Les plaignants
indiquent ensuite que M. Desgroseillers a fait de nombreuses sorties contre les
journalistes au cours de son mandat de quatre ans, «le plus souvent en pleine
assemblées publiques», et que les propos tenus dans le dépliant électoral ont
eu pour effet «d’ajouter à la pression» et d’entraver l’exercice du métier de
journaliste et la liberté de la presse.
Ils expliquent
que ces «menaces» ont provoqué une certaine crainte de la part de la direction
du média qui ne voulait pas «se mettre à dos le «possible» futur maire de
Saint-Hubert pour un autre quatre ans», d’autant plus que ce dernier aurait
déjà laissé sous-entendre la possibilité de diffuser ailleurs les avis publics
de la municipalité, l’un des revenus du journal.
M. Landry et Mme
Côté considèrent que le maire Guy Desgroseillers nuisait «énormément» au
travail de la journaliste «en s’attaquant directement» à la crédibilité de
cette dernière. Expliquant que le journaliste doit se «bâtir un réseau
d’informations» pour obtenir des informations sérieuses et valables, ils
ajoutent que «c’est sur sa réputation, sa crédibilité dans le public et auprès de
ces personnes» que celui-ci peut réussir à «jouer pleinement son rôle».
Les plaignants
sont d’avis que le maire Desgroseillers, en «tentant de « jeter le
discrédit » sur la journaliste de ce média local», posait des jalons ayant
pour conséquence d’entraver l’accès aux sources d’information et la recherche
des faits.
Ils rappellent
enfin que les journalistes doivent exercer leur métier dans le «respect du
droit fondamental des personnes à la dignité et à la réputation» et que ceux-ci
ont droit aux mêmes égards que toute autre personne dans cette société.
Commentaires du mis en cause
Me Marc Talbot
pour le maire Guy Desgroseillers
En réponse à
cette plainte, M. Talbot considère que les propos tenus par M. Guy
Desgroseillers étaient «tout à fait justifiés», non seulement eu égard à
l’article intitulé «De maladresse en maladresse…», mais surtout en ce qui
concerne l’ex-rédactrice en chef qui aurait «démontré un acharnement constant
et indu» envers le maire Desgroseillers au cours des quatre années de son
mandat.
M. Talbot
renvoie, au soutien de ce commentaire, à huit articles publiés au cours de ce
mandat. Il estime que Mme Côté a dépassé, dans ces articles, les limites du
permissible. Il considère que «l’immunité qu’on peut prétendre accorder à un
journaliste permet la discussion des actes publics des personnages politiques,
mais ne les autorise sûrement pas à faire des énonciations qui s’avèrent
inexactes». Il ajoute que «ce que le bon ordre social refuse au particulier est
également interdit aux gens de la presse».
Réplique du plaignant
Mme Odette Côté,
ex-journaliste et rédactrice en chef, M. Claude Dallaire, rédacteur en chef
actuel, M. Serge Landry, directeur:
En réplique, les
plaignants apportent des précisions afin de remettre dans leur contexte les
commentaires de M. Talbot relativement aux huit articles qu’il a soumis afin de
démontrer «l’acharnement» de la journaliste à l’égard du politicien
Desgroseillers.
Ils font
observer que le journal et la journaliste n’ont, en aucun temps, outrepassé leur
devoir d’informer le public en se basant sur les faits et les événements. Ils
soulignent le fait que l’ex-maire Guy Desgroseillers occupait une fonction
politique et qu’il était, en tant qu’élu du peuple, «responsable de ses faits
et gestes devant la population».
Ils ajoutent que
le journal et la journaliste n’ont en aucun temps attaqué l’individu et ne se
sont acharnés sur sa personnalité publique.
Analyse
Les plaintes reçues et étudiées par le Conseil de presse concernent, en règle générale, la conduite des médias. Le cas qui nous est soumis ici revêt donc un caractère singulier, puisqu’il ne met en cause ni un éditeur ni un journaliste, mais un individu, M. Guy Desgroseillers, en sa qualité d’ex-maire de Saint-Hubert. La conduite de ce dernier n’intéresse le Conseil de presse que dans la mesure où elle affecte la liberté de la presse et le droit du public à l’information.
La plainte comporte trois griefs à propos de la conduite de M. Desgroseillers: – «entrave à la diffusion des événements et des opinions»; – «entrave au métier de journaliste et à la liberté de la presse»; – «atteinte au droit fondamental des personnes à la dignité et à la réputation».
Seuls les deux premiers griefs ont été étudiés, le troisième se situant en dehors du champ de compétence du Conseil de presse.
Après étude, le Conseil considère que les éléments soumis à son attention relativement à ces deux griefs ne permettent pas de déterminer si la conduite de M. Desgroseillers a effectivement entravé la liberté de la journaliste et du journal dans l’exercice de leurs fonctions et prérogatives respectives.
Le Conseil rappelle toutefois que la presse a pour rôle de critiquer et de surveiller l’administration publique, et que pour ce faire, elle doit être libre de rapporter et de commenter les événements sans entraves, menaces ou représailles.
Analyse de la décision
- C06C Appel au boycottage/représailles
- C24D Hors mandat