Plaignant
L’Association
progressiste-conservatrice du Témiscamingue
Représentant du plaignant
M. Marc Grimard (président,
Association progressiste-conservatrice du Témiscamingue)
Mis en cause
CFEM-TV [TVA,
Rouyn-Noranda] et M. Jean-Marie Gilbert (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Robert
Langdeau (directeur de l’information, CFEM-TV [TVA, Rouyn-Noranda])
Résumé de la plainte
Le journaliste
Jean-Marie Gilbert de la station CFEM discute avec le candidat néo-démocrate
Rémi Trudel des modalités d’un débat télévisé, alors qu’il fait partie de ceux qui
poseront des questions aux participants lors de ce débat. L’échange entre le
journaliste et M. Trudel ressemble davantage à une séance de «coaching» qu’à
une discussion impartiale sur les détails de l’émission.
Faits
Le 3 novembre
1988, un débat télévisé mettant en présence les différents candidats aux
élections fédérales de la circonscription de Témiscamingue, doit être
enregistré en soirée dans les studios de Radio Nord pour être diffusé le 6
novembre.
Ce même jour, en
matinée, le journaliste Jean-Marie Gilbert de Radio Nord, l’un de ceux devant
questionner les candidats lors du débat, a une conversation avec le candidat
néo-démocrate Rémi Trudel lors d’une conférence de presse donnée par ce
dernier.
La conversation
porte sur certaines modalités du débat et sur les contraintes qu’impose une
telle production télévisuelle, notamment le temps alloué pour discuter des
thèmes et l’importance de faire des réponses courtes, claires et directes.
Le journaliste
Pierre Tremblay, de la station radiophonique CJMM-MF, est témoin de cette
conversation, en est choqué et en informe les autres formations politiques,
dont l’Association progressiste-conservatrice de la circonscription de
Témiscamingue. Il déclare sous serment, dans un affidavit signé le 3 novembre
1988, que cette conversation «semblait favoriser [la] performance» du candidat
NPD en lui «prodiguant des conseils pour la tenue du débat».
Le candidat
progressiste-conservateur, monsieur Gabriel Desjardins, décide, à la suite de
ces informations, de ne pas participer au débat télévisé. Celui-ci a lieu et
met en présence les candidats Laurent Guertin [Libéral] et Rémi Trudel [NPD]
devant les journalistes François Dallaire de Télévision Quatre Saisons,
Jean-Marie Gilbert de Radio Nord [mis en cause ici] et Louise Payette de La
Frontière.
Griefs du plaignant
L’Association
progressiste-conservatrice, par l’entremise de son président, monsieur Marc
Grimard, s’adresse au Conseil de presse le 4 novembre 1988. Monsieur Grimard
considère la situation décrite plus haut «pour le moins non-orthodoxe» et
estime que le journaliste Jean-Marie Gilbert a manqué d’éthique professionnelle
et qu’il a causé un préjudice irréparable.
Il remarque, sur
la base des informations rapportées par monsieur Pierre Tremblay, que
«l’échange privé» entre le journaliste Jean-Marie Gilbert et le candidat Rémi
Trudel «ressemblait davantage, et par le contenu et par le ton, à une séance de
«coaching» qu’à de l’information impartiale sur les modalités du débat».
Monsieur Grimard
dit qu’il est apparu illogique, face à cette «apparence de collusion ou tout au
moins ce traitement inéquitable» accordé par l’un des journalistes devant faire
partie de l’émission à l’un des candidats participants, de prendre part à un
débat pouvant être biaisé. Il ajoute que l’Association a jugé bon de se
retirer, à son «grand regret, d’une tribune d’importance majeure» dans la
campagne électorale, d’un débat qui «mené dans les règles de l’art et de la
justice», aurait été une «occasion en or de faire valoir [leur] programme électoral
à la population».
Commentaires du mis en cause
M. Jean-Marie
Gilbert, journaliste
En réponse à
cette plainte, le journaliste Jean-Marie Gilbert dit avoir effectivement donné,
le 3 novembre 1988, des informations techniques sur le débat télévisé au
candidat néo-démocrate Rémi Trudel. Il affirme n’avoir donné cependant que des
informations techniques sur les modalités du débat et sur les contraintes
techniques d’une émission télévisée du genre.
Monsieur Gilbert
«nie formellement avoir manqué à l’éthique, avoir donné des informations
favorisant le candidat, lui avoir donné un traitement préférentiel ou avoir eu
des propos portant préjudice à quelque candidat que ce soit».
Il indique qu’il
n’a été aucunement «question du genre de questions, de l’orientation des questions,
de l’approche journalistique des sujets et du contenu des questions» ni de ce
qu’il «convenait de dire ou de ne pas dire, ni la manière dont il fallait
répondre pour en tirer profit».
Il ajoute qu’en
somme, il s’est agit de «clarifier les contraintes techniques et de
fonctionnement qu’un tel genre d’émission télévisée impose aux participants,
pour que les règles du jeu soient respectées et que l’émission soit présentable
et digeste».
Quant au fait
que monsieur Pierre Tremblay, un journaliste d’une station concurrente, ait été
«choqué dans son éthique journalistique», monsieur Gilbert dit n’avoir «rien à
dire sur les susceptibilités éthiques de ce confrère, sinon qu’il ne semble
guère comprendre qu’il est normal, en télévision, de mettre [les] invités à
l’aise sur le type d’émission qu’on produit avec eux».
Monsieur Gilbert
ajoute que l’information qu’il a donnée au candidat néo-démocrate n’était pas
exclusive, puisqu’il avait donné des informations semblables au candidat progressiste-conservateur
dès la décision de tenir un débat en début de campagne.
Monsieur Gilbert
dit comprendre les intérêts politiques des politiciens, mais est dépassé par
les intérêts journalistiques d’un collègue qui «se plaint, dans un affidavit, devant
les partisans du Parti progressiste-conservateur, sous la bannière du chef, et
à une conférence de presse convoquée à cette fin par le candidat de
l’Association progressiste-conservatrice plaignante».
M. Robert
Langdeau, ex-directeur de l’information
Monsieur Robert
Langdeau précise d’abord que la direction du Service de l’information de Radio
Nord, consciente du rôle important que le Service a à jouer afin de «mieux
informer la population régionale», a fait connaître ses intentions aux
candidats dès le déclenchement de la campagne électorale. Elle voulait ainsi
«éviter d’être à la remorque» d’une demande d’émission d’un candidat, de même
que de «faciliter la tâche à toutes les organisations politiques qui doivent
planifier leur style de campagne et l’horaire de leur candidat». Une lettre
avait donc été envoyée, le 7 octobre 1988, à tous les candidats des
circonscriptions d’Abitibi et de Témiscamingue afin de leur expliquer ce que le
Service de l’information voulait réaliser à la radio et à la télévision au
cours de la campagne.
Monsieur
Langdeau indique qu’une deuxième lettre a été envoyée, le 29 octobre 1988, aux
candidats de la circonscription de Témiscamingue les invitant à participer à un
débat télévisé, et une troisième, le 31 octobre, les informant de la liste des
thèmes qui seraient abordés lors de ce débat.
Monsieur
Langdeau se dit ensuite d’avis que les motifs invoqués par le candidat
progressiste-conservateur pour ne pas participer au débat télévisé étaient
«beaucoup plus un «prétexte» pour ne pas se présenter audit débat, d’autant
plus qu’il n’avait fait connaître sa participation à celui-ci que le 1er
novembre à 14 heures».
Quant aux
informations données par le journaliste Jean-Marie Gilbert au candidat
néo-démocrate Rémi Trudel, monsieur Langdeau affirme que celles-ci n’étaient
que des détails très techniques, souvent donnés aux participants d’une émission
et qui ne peuvent avantager un candidat.
Il ajoute que
les trois candidats de la circonscription de Témiscamingue ont reçu les mêmes explications
en studio de la part du directeur de l’information avant l’enregistrement de
l’émission.
Il fait
remarquer que toutes les questions posées aux candidats lors du débat ont été
élaborées par les journalistes impliqués, dans un local de Radio Nord, juste
avant l’enregistrement de l’émission. Il est clair, par conséquent, de dire
monsieur Langdeau, que la discussion entre le journaliste Jean-Marie Gilbert et
le candidat Rémi Trudel n’était que technique.
Il trouve par
ailleurs «déplorable» que le journaliste Pierre Tremblay ait dénoncé, dans un
affidavit, l’attitude du journaliste Jean-Marie Gilbert et ait fait avorter,
«par inexpérience, mauvaise connaissance des techniques utilisées en
télévision, différentes de celles employées à la radio», un débat qui «aurait
permis à la population de l’Abitibi-Témiscamingue d’être mieux renseignée sur
les enjeux entourant la campagne électorale dans le comté».
Réplique du plaignant
En réplique aux
commentaires de Radio Nord, le président de l’Association
progressiste-conservatrice, monsieur Marc Grimard, déplore que le journaliste
Jean-Marie Gilbert n’ait pas confirmé ou infirmé avoir tenu les propos que le
journaliste Pierre Tremblay de CJMM-MF avait rapportés en consignés dans un
affidavit.
Il considère
«inutile» les commentaires du journalistes Jean-Marie Gilbert et de l’ancien
directeur du Service de l’information de Radio Nord, monsieur Robert Langdeau,
sur la nature technique desdits propos, puisque l’Association
progressiste-conservatrice ne les a jamais accusés de donner des informations
techniques, dont elle reconnaît d’ailleurs l’utilité.
Monsieur Grimard
ajoute que la conversation litigieuse ne constitue qu’un «élément de preuve
primaire et circonstancielle, établissant, par aveu,» la tenue d’une telle
conversation où un des candidats et un journaliste devant les questionner lors
d’un débat, se sont retrouvés seuls à discuter dudit débat.
La question en
litige, de l’avis de monsieur Grimard, est à savoir s’il y avait lieu pour le
candidat conservateur de douter de l’impartialité du journaliste Jean-Marie
Gilbert et si, à la lumière des propos rapportés dans l’affidavit, un tel doute
s’avérait raisonnable et de «nature à choquer l’opinion publique à l’égard de
la confrérie journalistique».
Monsieur Grimard
est d’avis qu’il y avait effectivement matière à un doute raisonnable de la
part du candidat conservateur et de son entourage, puisque le journaliste en
cause aurait le choix, lors du débat, de poser des questions différentes d’un
candidat à un autre. Le risque de «désagréables surprises» devenait trop
important.
Par ailleurs, au
commentaire de monsieur Robert Langdeau selon lequel les motifs invoqués par le
candidat progressiste-conservateur relativement à la conversation litigieuse
étaient un «prétexte» pour ne pas se présenter au débat, monsieur Grimard
réplique qu’il «aurait été beaucoup plus facile d’asseoir les candidats à une
même table, de déterminer les règles communes» et de faire une nouvelle
indiquant, le cas échéant, le refus d’un candidat de participer au débat. Il
précise que le candidat Desjardins n’avait fait connaître sa participation que
le 1er novembre 1988 en raison du manque d’information et après avoir reçu une
lettre de Radio Nord, datée du 31 octobre 1988, donnant un peu plus
d’information que les lettres reçues précédemment.
Commentaires des tiers
Le Conseil a
invité, aux fins d’informations complémentaires, monsieur Luc Adam, journaliste
à l’hebdomadaire La Frontière [monsieur Adam a, selon le journaliste Pierre
Tremblay de CJMM-MF, corroboré ses dires relativement à la conversation
litigieuse], monsieur Pierre Tremblay, et monsieur Rémi Trudel, candidat NPD, à
lui faire part de leurs commentaires sur la plainte de l’Association
progressiste-conservatrice. Seul monsieur Pierre Tremblay a donné suite à notre
invitation.
Monsieur
Tremblay maintient la description de la conversation entre le journaliste
Jean-Marie Gilbert et le candidat Rémi Trudel, telle qu’elle est consignée dans
l’affidavit qu’il signait le 3 novembre 1988.
Monsieur
Tremblay explique qu’il lui semblait primordial, compte tenu de l’impact d’un
débat télévisé en campagne électorale, que l’impartialité des journalistes invités
à participer à un tel débat ne fasse aucun doute.
Il ajoute qu’il
s’est «senti dans l’obligation morale», compte tenu des règles fondamentales de
l’éthique journalistique ainsi que de l’information à sa disposition, de porter
les propos et l’attitude du journaliste Jean-Marie Gilbert à l’attention des
autres candidats invités au débat.
Monsieur
Tremblay trouvait regrettable que cet incident ait eu un tel impact, mais il
lui semblait «plus regrettable encore de ne pouvoir fournir une certaine équité
à tous les candidats lors d’une pareille tribune».
Analyse
Les médias et les journalistes doivent respecter les règles d’impartialité et d’équité à l’égard des candidats qu’ils invitent à participer à un débat télévisé en campagne électorale, de même qu’envers leurs options politiques respectives.
Dans le cas qui nous intéresse ici, le Conseil considère, sur la base des faits établis et qui n’ont pas été contestés, qu’il n’y a pas eu manquement à ces règles. En effet, les informations données au candidat néo-démocrate Rémi Trudel par le journaliste Jean-Marie Gilbert sur les modalités du débat télévisé, sont de nature technique et ne présentent pas d’éléments susceptibles de favoriser un candidat au détriment d’un autre.
Aucun blâme n’est donc retenu contre les défendeurs.
Analyse de la décision
- C13A Partialité
Tiers
M. Pierre
Tremblay (journaliste, CJMM-FM [Radiomutuel, Rouyn-Noranda])