Plaignant
M. Georges
Moncion
Mis en cause
CBFT-TV [SRC,
Montréal] et M. Léo Kalinda (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Pierre O’Neil
(directeur général des programmes, CBFT-TV [SRC, Montréal])
Résumé de la plainte
Le journaliste
Léo Kalinda réalise un reportage sur les réfugiés burundais à la suite des
massacres entre les populations hutu et tutsi survenus en août 1988, alors que
son appartenance à l’ethnie tutsi entache son impartialité. Ce reportage, diffusé
le 10 janvier 1989 à l’émission «Le Point» de la Société Radio-Canada, présente
un important déséquilibre des positions rapportées.
Faits
Le 10 janvier
1989, Radio-Canada diffuse à l’émission «Le Point» un reportage du journaliste
Léo Kalinda sur la situation des réfugiés burundais au Rwanda et sur les
conditions de leur rapatriement à la suite des massacres inter-ethniques entre
les populations hutu et tutsi en août 1988.
Le 16 janvier 1989,
le quotidien Le Devoir publie une lettre ouverte d’une ex-coopérante au
Burundi. Une partie de cette lettre intitulée «Le pays des mille massacres – La
vérité tutsi» concerne le reportage de Radio-Canada. Soulevant l’appartenance
du journaliste Léo Kalinda à l’ethnie tutsi, l’auteure:
– met en doute
la possibilité pour ce dernier de «charger son reportage d’objectivité» en
raison de son origine ethnique;
– doute qu’un
«Hutu interviewé par un Tutsi puisse exprimer son opinion profonde dans un pays
où il y a encore des massacres de Hutus par les Tutsis et où des Hutus sont
emprisonnés parce qu’ils se sont regroupés sans en aviser la Sûreté»;
– affirme,
malgré la difficulté, dit-elle, de différencier un Hutu d’un Tutsi, que tous
les cadres interviewés dans le reportage sont de l’ethnie tutsi.
Le 16 janvier
1989, après avoir pris connaissance de cette lettre ouverte et des éléments
qu’elle contient relativement au reportage de M. Kalinda, M. Georges Moncion
dépose une plainte au Conseil de presse.
Griefs du plaignant
M. Moncion se
demande, à la lumière des éléments mentionnés dans la lettre ouverte, et selon
que ceux-ci soient véridiques:
– si le
journaliste Léo Kalinda a fait part à Radio-Canada de son appartenance
ethnique, et s’il s’est placé, de par cette appartenance, dans une situation de
conflit d’intérêts. Il considère que l’origine ethnique de M. Kalinda devient
importante étant donné que les personnes interviewées dans le reportage
appartiennent, selon la lettre ouverte, à la même ethnie;
– si Radio-Canada
n’aurait pas dû dévoiler l’identité ethnique des personnes interviewées dans le
reportage afin que les téléspectateurs comprennent que la version d’une seule
ethnie leur était présentée;
– pourquoi des
représentants de l’ethnie hutu n’ont pas été invités à s’exprimer et à donner
leur version des affrontements entre Hutus et Tutsis;
– s’il faut
comprendre que Radio-Canada s’estime satisfait d’une version partielle de ces
affrontements, alors qu’il est possible d’imaginer, toujours selon la lettre
ouverte, que M. Kalinda pouvait être partie prenante dans la sélection des
invités pour expliquer ces conflits ethniques.
M. Moncion
considère s’être «trouvé privé d’informations nécessaires à la bonne
compréhension des événements d’actualité pour être en mesure de bien
interpréter les faits» qui lui étaient présentés. Il estime qu’il y a eu
manquement à l’éthique professionnelle et atteinte au droit du public à
l’information.
Commentaires du mis en cause
M. Pierre
O’Neil, directeur général des programmes (Information-Télévision)
En réponse à
cette plainte, M. Pierre O’Neil indique que le reportage de M. Kalinda n’avait
pas pour but de présenter une analyse exhaustive de la situation au Burundi,
mais plutôt de faire connaître la situation des réfugiés burundais au Rwanda et
d’examiner les conditions de leur rapatriement. Le reportage rappelle également
les massacres de l’été précédent et tente d’apporter quelques explications aux
flambées de violence périodiques au Burundi.
Eu égard à
l’appartenance ethnique de M. Kalinda, M. O’Neil signale:
– que
Radio-Canada était au courant de cette appartenance;
– qu’elle savait
également que M. Kalinda vit au Canada depuis plusieurs années et qu’il connaît
la politique journalistique de la Société;
– que M. Kalinda
avait assuré Radio-Canada qu’il était «dégagé de parti pris»;
– que sa
connaissance de la langue et de la région où fut tournée la majeure partie du
reportage [Rwanda, frontière du Burundi] constituait un atout;
– qu’en
télévision, le journaliste partage le contrôle sur le contenu d’un reportage
avec d’autres personnes;
– que la
divulgation de l’origine ethnique de M. Kalinda ou de tout autre journaliste de
Radio-Canada pourrait aller à l’encontre de la Charte canadienne des droits.
Concernant
l’origine ethnique des personnes interviewées dans le reportage, M. O’Neil
explique que celui-ci n’avait pas comme objectif, «au montage», d’établir un
équilibre «ethnique» des personnes interviewées, mais plutôt de retenir les
témoignages les plus pertinents.
Présentant la
répartition des personnes d’origine hutu et tutsi interviewées dans le
reportage, M. O’Neil remarque que les intervenants hutus ne lui ont pas semblé
plus «terrorisés que les Tutsis d’être interviewés par Léo Kalinda».
M. O’Neil
considère enfin qu’il «n’était pas plus pertinent dans ce reportage que dans
d’autres de faire état de l’origine ethnique des participants».
Analyse
M. Georges Moncion soulève deux aspects dans sa plainte:
– il met en doute l’impartialité du journaliste Léo Kalinda en raison de son appartenance à l’ethnie tutsi;
– il s’interroge également sur l’équilibre du reportage eu égard aux points de vue des ethnies tutsi et hutu qui y sont présentés concernant les affrontements inter-ethniques d’août 1988. M. Moncion met particulièrement en cause la sélection des personnes interviewées comme étant en faveur de l’ethnie tutsi.
Pour ces raisons, le plaignant considère avoit été privé d’informations nécessaires à la bonne compréhension des faits et des événements rapportés.
Tout professionnel de l’information possède plusieurs «appartenances». Il ne doit pas, toutefois, se laisser guider par celles-ci dans le traitement de l’information. Dans la nouvelle ou le reportage, il doit rapporter les faits et les situer dans leur contexte; et être soucieux de présenter les points de vue des personnes ou des groupes mis en cause de façon impartiale et équilibrée. Les médias, pour leur part, doivent prendre tous les moyens à leur disposition pour s’assurer que ces critères soient respectés.
Dans le cas présent, le Conseil déplore que le reportage diffusé par Radio-Canada sur la situation des réfugiés burundais renferme des faiblesses qui, croit-il, peuvent signifier que les Burundais d’origine hutu sont les principaux responsables des affrontements inter-ethniques d’août 1988:
– une explication plus complète du contexte historique et socio-politique dans lequel s’insère ce conflit, de même qu’une présentation plus étayée du statut et des conditions de vie de chacune des ethnies au sein de la société burundaise, auraient permis aux auditeurs de mieux saisir la signification réelle des événements de 1988 dans ce pays;
– un plus grand équilibre aurait dû être recherché eu égard aux points de vue respectifs des ethnies tutsi et hutu. Le visionnement du reportage permet de constater que le point de vue de l’ethnie hutu sur les affrontements est beaucoup moins représenté que celui de l’ethnie tutsi.
Le Conseil ne peut toutefois attribuer ces faiblesses à une attitude partiale de la part du journaliste Léo Kalinda. Il ne peut non plus les imputer à son appartenance ethnique. Une telle conclusion relèverait du procès d’intention, ce que le Conseil s’est toujours refusé de faire. Le Conseil regrette néanmoins que le document présenté par Radio-Canada n’ait pas respecté l’équilibre essentiel à la crédibilité d’un reportage.
Analyse de la décision
- C12A Manque d’équilibre
- C12D Manque de contexte
- C13A Partialité