Plaignant
M. Pierre
Bourgeois
Mis en cause
Le Journal de
Montréal et M. Michel Auger (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Jean-Serge
Sasseville (conseiller juridique, Quebecor)
Résumé de la plainte
Dans son article
«Recours collectif contre les banques : L’arroseur arrosé?», publié par Le
Journal de Montréal le 13 avril 1988, le journaliste Michel Augerson divulgue
le passé criminel du plaignant en traitant de sa demande de recours collectif
contre les banques, déposée en raison des frais cachés qu’elles imposent à
leurs clients.
Faits
Ce dossier a
connu plusieurs développements depuis le dépôt de la plainte de M. Bourgeois en
avril 1988. Un rappel de l’évolution de ce dossier s’impose avant la présentation
des points de vue respectifs des parties dans cette affaire.
Une première
décision sur la plainte est rendue le 7 novembre 1988. Suspendue quelques jours
plus tard (une information pouvant influer sur cette décision ayant échappé à l’attention
du Comité des cas), celle-ci est amendée le 2 décembre 1988. Cette décision
amendée est transmise aux parties qui décident toutes deux de porter le dossier
devant la Commission d’appel du Conseil de presse en raison de la procédure
suivie.
Après audition
des parties, la Commission d’appel recommande que le Comité des cas procède à
une nouvelle enquête et analyse de l’ensemble du dossier, selon la procédure
habituelle du traitement des plaintes. Cette recommandation se fonde sur le
fait que plusieurs questions soulevées par le plaignant n’ont pas reçu de
réponse dans la décision rendue en décembre 1988. De plus, les deux parties ont
des faits et des arguments nouveaux à soumettre.
Le conseil
d’administration du Conseil entérine cette recommandation le 30 mars 1989. Les
parties sont alors invitées à soumettre leur version des faits respective.
Ce processus est
interrompu le 5 septembre 1989. Le conseiller juridique de Quebecor, au nom du
Journal de Montréal et du journaliste Michel Auger, demande au Conseil de
presse de rejeter la plainte de M. Bourgeois, arguant que ce dernier n’a pas
respecté son engagement de ne pas saisir quelque organisme judiciaire,
quasi-judiciaire, comité de discipline ou tribunal administratif des mêmes
aspects du même cas.
Cette requête
s’appuyait sur le fait que M. Bourgeois avait déposé des plaintes auprès de
plusieurs organismes, tels que la Commission d’accès à l’information du Québec,
la Commission de police du Québec, la Commission des droits de la personne du
Québec, etc.
Le 10 octobre
1989, le Comité des cas juge cette requête non fondée. Le comité conclut que M.
Bourgeois n’a pas saisi d’autres organismes que le Conseil de presse des mêmes
aspects du même cas; et conséquemment, qu’il n’a pas manqué à l’engagement
moral qu’il avait alors pris à ce sujet.
Le Journal de
Montréal et le journaliste Michel Auger, par l’entremise du conseiller
juridique de Quebecor portent cette décision en appel le 6 novembre 1989. La
Commission d’appel, après audition des parties le 4 avril 1990, conclut
également que cette requête n’est pasfondée. La partie défenderesse en appelle
de cette décision auprès du conseil d’administration du Conseil de presse, qui
confirme, le 14 juin 1990, la décision de la Commission d’appel.
Les parties sont
à nouveau invitées à transmettre leurs points de vue respectifs dans ce
dossier, une étape qui sera complétée le 23 septembre 1991.
Griefs du plaignant
Tel que
mentionné plus haut, M. Pierre Bourgeois reproche au journaliste Michel Auger
et au Journal de Montréal d’avoir divulgué son passé criminel dans l’article du
13 avril 1988. Les arguments mis de l’avant par M. Bourgeois dans le présent
dossier sont les suivants:
1. la
divulgation de ses antécédents judiciaires n’était pas d’intérêt public puisqu’il
n’y avait aucun lien entre ses condamnations antérieures et les démarches qu’il
avait entreprises à l’encontre des institutions bancaires.
2. le journal et
le journaliste n’avaient pas le droit de dévoiler son casier judiciaire, cette
information étant devenue confidentielle par suite du pardon qui lui fut
octroyé en 1980 par le Gouverneur en conseil du Canada. M. Bourgeois s’appuie
également sur une décision de la Commission d’accès à l’information pour dire
que le journal n’avait pas le droit de publier cette information.
M. Bourgeois
soutient par ailleurs que cette information n’était pas accessible au public,
seulement aux corps policiers; et que son dossier judiciaire préalable à
l’octroi de son pardon en 1980 n’était pas non plus accessible via le système
informatique du palais de justice de Montréal;
3. concernant un
entretien téléphonique qui a eu lieu entre le plaignant et le journaliste la
veille de la publication de l’article litigieux, M. Bourgeois signale que cet
entretien n’a duré que de 2 à 3 minutes et que tout ce que le jounaliste a
voulu savoir concernait son passé criminel et non sa cause contre les banques
canadiennes.
4. cet article
lui a causé du tort, ainsi qu’à sa famille et a nui à sa démarche de recours
collectif contre les banques. M. Bourgeois estime d’ailleurs que la divulgation
de son passé criminel s’inscrivait dans une conspiration des banques, du
journal et des policiers pour l’arrêter dans ses démarches à l’encontre des
banques canadiennes.
Commentaires du mis en cause
Le Journal de
Montréal et le journaliste Michel Auger, par l’entremise du conseiller
juridique de Quebecor Inc., invoquent les arguments suivants concernant les
trois premiers points soulevés précédemment:
1. «dans le cadre
de l’exercice d’un recours collectif contre les institutions bancaires,
Monsieur Bourgeois a fait appel au grand public afin de recueillir les fonds
nécessaires à la formation d’une association vouée à la défense des clients
lésés par ces institutions. De fait, Monsieur Bourgeois a reçu certaines sommes
d’argent de consommateurs. Dans la mesure où l’argent du public est en cause,
il était d’intérêt public d’informer les lecteurs des antécédents judiciaires
du plaignant»;
2. le pardon
accordé au plaignant en 1980 a été révoqué et son casier judiciaire réactivé
par suite d’une condamnation pour recel en 1982;
3. le
journaliste Michel Auger «a communiqué avec Monsieur Bourgeois, le 12 avril
1988, soit la veille de la publication de l’article, afin d’obtenir des
explications. Pour toute réponse, Monsieur Bourgeois a menacé le journaliste
Michel Auger de le poursuivre s’il révélait ses antécédents. Au cours de cette
conversation téléphonique, le plaignant ne cessait de répéter qu’on ne pouvait
parler de son passé. Le journaliste Michel Auger a agi avec équité en tentant
d’obtenir la version de Monsieur Bourgeois concernant le lien possible qui
pourrait exister, et qui est établi dans l’article incriminé, entre le passé
criminel du plaignant et les différents recours qu’il voulait faire valoir, au
nom des consommateurs, contre les institutions bancaires».
Réplique du plaignant
Quant à
l’argument du journal qu’il était d’intérêt public d’informer les lecteurs de
son passé judiciaire du fait qu’il amassait et avait reçu des fonds du public
pour la formation d’une association vouée à la défense des clients lésés par
les banques (point 1), M. Bourgeois indique qu’il n’a jamais demandé de
l’argent du public.
Il écrit que «le
public canadien a voulu m’aider avec de l’argent. Pas à cause que je l’ai
demandé. C’est qu’il pensait que ma cause était bonne. Le public canadien m’a
promis 5 000 $ pour m’aider. La seule chose que j’ai reçu, c’est un chèque de
25 $ pour ma cause que mon avocat a retourné à la personne. Que le journal
prouve où j’ai demandé au public de m’envoyer de l’argent pour ma cause»;
En réplique aux
commentaires du journal concernant l’entretien téléphonique (point 3), M.
Bourgeois indique qu’il n’a jamais menacé le journaliste, mais qu’il a dit à ce
dernier que la Loi sur l’accès ne lui permettait pas de rapporter ses
antécédents judiciaires. Il souligne enfin que ses démarches auprès des
tribunaux, au moment de la publication de l’article, avaient trait à une
demande de recours collectif contre les banques canadiennes et non pas à des
actes criminels qu’il avait posés;
Analyse
La présente plainte renvoie à la question suivante: le journaliste Michel Auger et Le Journal de Montréal ont-ils manqué à l’éthique journalistique en rapportant le passé criminel de M. Pierre Bourgeois dans l’article «Recours collectif contre les banques. L’arroseur arrosé?», paru le 13 avril 1988?
Du point de vue de l’éthique journalistique, les médias et les journalistes doivent faire preuve de prudence et de discernement lorsqu’ils décident de publier le passé criminel d’une personne compte tenu des conséquences d’une telle publication sur la réputation et les chances de réhabilitation et de réinsertion sociale de cette personne.
Les médias et les journalistes devraient s’abstenir de faire allusion à des condamnations antérieures à moins que cette information ne soit pertinente à la nouvelle et d’un intérêt public certain. Le fait qu’une personne ait des antécédents judiciaires ne peut, à lui seul, en justifier la publication.
1. dans le cas présent, le Conseil considère qu’il n’aurait été ni pertinent ni d’intérêt public de mentionner les antécédents judiciaires du plaignant si ses démarches à l’encontre des banques canadiennes s’étaient limitées à sa demande de recours collectif relative aux frais de service «cachés» que ces dernières feraient payer à leurs clients. Une telle action ne pouvait en effet rapporter quelque bénéfice personnel au plaignant, sinon sa quote-part comme client lésé par une institution bancaire.
Le Conseil estime toutefois qu’il était justifié d’informer le public des condamnations antérieures du plaignant compte tenu que ce dernier était susceptible de recevoir des sommes d’argent du public pour la mise sur pied d’une association vouée à la défense de clients lésés par les banques et ce, qu’il ait sollicité ou non ces sommes d’argent. Le Conseil est d’avis que cette information était pertinente et d’intérêt public étant donné la nature des infractions pour lesquelles le plaignant a été condamné dans le passé et le fait que des fonds du public pouvaient ê tre mis en cause;
2. par ailleurs, le Conseil ne peut retenir l’argument du plaignant selon lequel le journaliste Michel Auger et Le Journal de Montréal n’avaient pas le droit de rapporter son passé criminel en raison du pardon qui lui a été octroyé en 1980.
D’une part, ce pardon a été révoqué à la suite d’une condamnation du plaignant en 1982, réactivant ainsi son casier judiciaire. D’autre part, la nature de l’infraction pour laquelle le plaignant a alors été condamné présente un lien avec ses activités relatives à la formation d’une association vouée à la défense de clients lésés par les banques, dans la mesure où, dans les deux cas, les biens d’autrui sont en cause;
3. en ce qui concerne l’entretien téléphonique entre le journaliste et le plaignant, la veille de la parution de l’article du 13 avril 1988, le Conseil fait les commentaires suivants.
Les journalistes sont tenus à des «efforts raisonnables» pour obtenir les commentaires, avant publication, des personnes mises en cause dans leurs reportages.
Dans le cas qui nous occupe, le Conseil prend note que le journaliste Michel Auger a communiqué avec le plaignant, le 12 avril 1988, la veille de la parution de l’article. Toutefois, le Conseil ne peut statuer sur cet aspect du litige étant placé devant des versions divergentes de la part des parties en ce qui concerne la teneur de l’entretien téléphonique;
4. le Conseil n’est pas non plus en mesure de statuer sur l’argument du plaignant selon lequel la divulgation de son passé criminel s’inscrivait dans une conspiration des banques, du journal et des policiers pour l’arrêter dans ses démarches à l’encontre des banques canadiennes.
Le Conseil rappelle toutefois aux médias et aux journalistes qu’ils doivent se montrer prudents et attentifs aux tentatives de manipulation de l’information. Le Conseil les invite à faire preuve d’une extrême vigilance pour éviter de devenir, même à leur insu, les complices des personnes ou des groupes qui ont intérêt à les exploiter pour leurs propres fins ou pour imposer leurs idées au détriment d’une information complète et impartiale.
En conclusion, le Conseil considère donc que le journaliste Michel Auger et Le Journal de Montréal n’ont pas manqué à l’éthique journalistique en rapportant les antécédents judiciaires du plaignant. Le Conseil déplore toutefois que l’article, en ne rappelant pas suffisamment les enjeux reliés au recours collectif inscrit par le plaignant, a pu discréditer ce dernier et nuire à la cause qu’il défendait.
Analyse de la décision
- C12C Absence d’une version des faits
- C12D Manque de contexte
- C13C Manque de distance critique
- C16A Divulgation des antécédents judiciaires