Plaignant
Commission de
protection des droits de la jeunesse [CPDJ]
Représentant du plaignant
M. Claude Bussières
(secrétaire, Commission de protection des droits de la jeunesse [CPDJ])
Mis en cause
Photo Police
[Saint-Léonard] et M. Normand Maltais (journaliste)
Représentant du mis en cause
M. Roger Drouin
(chef de pupitre, Photo Police [Saint-Léonard])
Résumé de la plainte
Dans son édition
du 30 mars 1990, Photo Police publie en première page une photographie
permettant d’identifier un adolescent victime de meurtre. De plus, le
journaliste Normand Maltais mentionne le nom, l’adresse et l’identité des
parents de la victime dans l’article «Le corps trouvé à 3 kilomètres de la
moto!». Finalement, la manchette «Une affaire de drogue : Jonathan, 16 ans,
égorgé» relie ce meurtre à une affaire de drogue, alors que le journaliste
parle plutôt d’une hypothèse dans son article.
Faits
Dans son édition
du 30 mars au 5 avril 1990, le journal Photo Police titre à la une: «Une
affaire de drogue: Jonathan, 16 ans, égorgé». Cette manchette se superpose à la
photo pleine page du cadavre du jeune mineur, facilement identifiable.
En pages 2 et 3,
le journal publie d’autres photos du drame, ainsi qu’un court article traitant
des circonstances entourant la découverte du corps de la victime. L’article
mentionne également le nom, l’âge et l’adresse de l’adolescent et rapporte à la
toute fin qu’il y a une possibilité que le meurtre soit le résultat d’une
petite dette de drogue.
Griefs du plaignant
Le 24 avril
1990, la Commission de protection des droits de la jeunesse (CDPJ) porte
plainte au Conseil de presse contre Photo Police. La Commission demande au
Conseil d’examiner la pertinence de publier à la une, et ceci pleine grandeur,
la photo d’un adolescent victime de meurtre; et demande une position au sujet
de «l’exploitation commerciale qui est faite de cette photo où le visage de
l’adolescent est tout à fait reconnaissable».
Commentaires du mis en cause
Dans sa réponse,
M. Roger Drouin, alors chef de pupitre de Photo Police, fait valoir les points
suivants: – le texte de la plainte fournit des arguments favorables légalement
à la publication de la photo et de l’identité de la victime. La Commission
écrit qu’«Au moment de sa mort, cet adolescent n’était pas sous le couvert de
la Loi sur la protection de la jeunesse ni sous le couvert de la Loi sur les
jeunes contrevenants et ainsi, rien ne s’oppose au strict plan légal à ce que
sa photo soit publiée si ses proches y consentent»; – Photo Police a jugé, au
moment de la publication, qu’il pouvait en toute conscience professionnelle se
conformer au vieux principe journalistique commandant de donner l’information
la plus précise et complète concernant un événement, d’autant plus si celui-ci
fait la «une»; – la pertinence de publier à la une, pleine grandeur, la photo
d’un adolescent victime de meurtre relève d’une simple question de morale qui
pourrait être débattue sans fin; – la photo litigieuse aurait-elle fait l’objet
d’une plainte si elle avait été publiée en moyenne ou petite grandeur?
Réplique du plaignant
En réplique, la
Commission de protection des droits de la jeunesse rappelle l’objet de sa
plainte: la publication, à la une, d’une photo permettant d’identifier
clairement l’adolescent; la publication de son nom, de son adresse et de
l’identité de ses parents dans l’article; la manchette de la une reliant ce
drame à une affaire de drogue qui, à la lecture de l’article, paraît être une
hypothèse.
La Commission
considère abusif qu’un drame humain soit exploité d’une façon qui n’a rien à
voir avec l’intérêt public et elle estime, au strict plan de l’éthique
journalistique, que les normes de la vie privée ont été largement dépassées.
Au soutien de sa
plainte, la Commission renvoie à des décisions antérieures du Conseil de presse
et attire l’attention sur des changements apportés à la Loi concernant les
coroners, notamment l’interdit de publier la photo d’un cadavre lorsque
celle-ci a été réalisée par et pour le compte du coroner. La Commission précise
que cette disposition a pour but d’éviter l’exploitation du drame humain.
Analyse
La liberté de la presse et le droit du public à l’information seraient compromis si les médias devaient s’interdire d’informer la population sur les drames. Dans le cas de sujets aussi délicats, les professionnels de l’information doivent prendre les plus grandes précautions pour éviter d’exploiter le malheur d’autrui. Ils doivent traiter ces événements dramatiques avec rigueur et discernement et manifester de la déférence et de l’humanité à l’endroit des personnes touchées par ceux-ci, quel que soit le genre journalistique choisi.
Dans ce contexte, la publication de photos et la mention d’informations permettant l’identification des victimes et/ou de leurs proches doivent être l’objet d’une décision basée d’abord et avant tout sur leur caractère d’intérêt public.
Dans le cas présent, le Conseil considère que Photo Police a traité l’affaire dans une optique inspirée par la recherche du sensationnalisme, accentuant davantage les aspects morbides et spectaculaires de celle-ci.
Le Conseil reproche notamment aux défendeurs: – d’avoir publié, à la une et à l’intérieur du journal, des photos permettant d’identifier la victime mise en cause, d’autant plus qu’il s’agit d’une personne mineure; – d’avoir relié ce meurtre en manchette, en titre et dans l’article à une affaire de drogue qui demeure hypothétique; – d’avoir publié l’adresse de la victime.
Le Conseil ne peut que déplorer de telles pratiques qui n’ajoutent rien à l’information et qui n’ont strictement rien à voir avec une information d’intérêt public.
Analyse de la décision
- C16B Divulgation de l’identité/photo
- C16C Publication de l’adresse/téléphone
- C16F Images de violence physique
- C17F Rapprochement tendancieux