Plaignant
M. Jean Denis;
Mme Joanne Brulotte
Mis en cause
CKAC-AM
[Télémédia, Montréal], Télémédia et M. André Hains (animateur)
Représentant du mis en cause
M. Jacques
Millette (directeur de l’information, CKAC-AM [Télémédia, Montréal] et le
réseau Télémédia)
Résumé de la plainte
L’animateur
André Hains de CKAC fait preuve d’un comportement inacceptable et d’une
attitude irresponsable au cours d’une entrevue avec le Premier ministre Robert
Bourassa, diffusée dans le cadre de l’émission «L’informateur» du 16 août 1990.
En parlant de l’opportunité d’une intervention de l’armée lors de la crise
amérindienne de l’été 1990, l’animateur demande à son invité: «A chaque semaine
y a 10-12 morts […] sur les routes du Québec. Quand bien même y aurait dans
un coup de force 3 ou 4 morts l’autre côté, est-ce que c’est plus grave?» De
tels propos constituent une incitation à la violence.
Faits
La plainte
concerne une entrevue de l’animateur André Hains avec le premier ministre
Robert Bourassa au sujet de la crise amérindienne de l’été 1990 et de
l’opportunité d’une intervention de l’armée. Cette entrevue a été diffusée sur
les ondes de CKAC et du réseau Télémédia, le 16 août 1990, à l’émission
L’informateur.
Enregistrement
de l’entrevue:
Sur la bobine
d’enregistrement, l’auditeur entend très bien les propos de l’animateur
rapportés par les plaignants. On entend également M. Robert Bourassa rétorquer
à l’animateur que ces propos sont totalement irresponsables vis-à-vis la
population et qu’en les tenant en ondes, il assume une responsabilité très
grave. M. Bourassa s’est dit très étonné de tels propos.
Dans une mise au
point diffusée plus tard au cours de l’émission, M. Hains rappelle, comme il
l’a fait à plusieurs reprises au cours de l’été, qu’il est contre toute forme
de violence, et partant, qu’il ne peut accepter non plus la violence que les
Warriors imposent à la population.
Griefs du plaignant
Les plaignants
reprochent à M. Hains d’avoir tenu les propos suivants sur les ondes: «M.
Bourassa. A chaque semaine y a 10-12 morts, les grandes fins de semaine de
trois jours, y a 10-12 morts sur les routes du Québec. Quand bien même y aurait
dans un coup de force (une intervention de l’armée) 3 ou 4 morts l’autre côté,
est-ce que c’est plus grave? Un mort c’est un mort finalement».
Le premier
plaignant, M. Jean Denis, voit dans ces propos un comportement inacceptable de
la part d’un journaliste, de telles paroles étant une incitation à un règlement
violent du conflit alors en cours.
Mme Joanne
Brulotte, pour sa part, estime que ce «genre de discours démontre une attitude
irresponsable pour un professionnel des ondes radiophoniques et ne doit pas
être toléré».
Commentaires du mis en cause
En réponse à ces
plaintes, M. Jacques Millette, alors directeur de l’information de CKAC et du
réseau Télémédia, dit comprendre que certains auditeurs n’aient pas été
d’accord avec la façon dont M. Hains a mené cette entrevue, mais qu’il faut
analyser les propos de M. Hains en tenant compte du contexte qui prévalait à ce
moment particulier, soit une situation de crise: manifestations, violence,
exaspération de citoyens pris en otage par des gens armés et masqués, tel
climat incitant les citoyens à réclamer l’intervention de l’armée.
M. Millette continue
en disant que ce que l’on reproche à l’animateur doit être interprété dans le
contexte suivant: «devant des Warriors armés jusqu’aux dents, masqués et
déterminés à aller jusqu’au bout, il faut peut-être se résigner à subir ou
utiliser la violence pour mettre fin à une situation hors-la-loi et ainsi
libérer les citoyens pris en otage avec les conséquences qui en découlent…».
M. Millette
reconnaît que la comparaison choisie par l’animateur les pertes de vie
résultant d’accidents de la route et celles pouvant survenir à la suite d’une
intervention de l’armée était peut-être malhabile. Il ajoute que ladite
comparaison n’avait pour but que d’exprimer la fatalité. L’animateur a tenté
d’exprimer lors de cette entrevue que personne ne souhaitait un bain de sang,
mais les Warriors, par leurs gestes et leurs propos, semblaient vouloir imposer
un dénouement violent qui ne pouvait que se terminer par la mort d’autres
personnes.
Analyse
Les animateurs d’émissions d’affaires publiques jouissent d’une grande latitude dans la conduite de leur émission et dans l’expression de leurs points de vue, laquelle leur permet également d’adopter un style polémiste. Cette latitude ne les soustrait cependant pas à leurs responsabilités de professionnels de l’information.
Dans le présent cas, les propos tenus par l’animateur André Hains reflètent l’opinion exprimée par plusieurs personnes du public à la même époque. Selon M. Jacques Millette, alors directeur de l’information de CKAC et du réseau Télémédia, les propos de M. Hains doivent être interprétés dans le contexte suivant: «devant des Warriors armés jusqu’aux dents masqués et déterminés à aller jusqu’au bout, il faut peut-être se résigner à subir ou utiliser la violence pour mettre fin à une situation hors-la-loi et ainsi libérer les citoyens pris en otages avec les conséquences qui en découlent…». C’est la question que l’animateur posait au premier ministre.
Le Conseil estime qu’il était légitime de la part de l’animateur André Hains de soutenir le point de vue d’une intervention de l’armée dans le contexte de cette crise et de confronter le premier ministre Robert Bourassa sur cette question.
Toutefois, le Conseil déplore la comparaison utilisée par M. Hains pour faire valoir son point de vue. Il était malhabile, voire outrancier, selon le Conseil, de banaliser la mort de personnes en mettant sur le même pied les pertes de vie résultant d’accidents de la route et celles pouvant survenir à la suite d’une intervention de l’armée.
Plus tard dans son émission, M. Hains se prononçait contre toute forme de violence. Toutefois, ses propos à cet égard, tel qu’argumentés, peuvent laisser entendre qu’il était contre la violence faite aux Blancs et moins contre la violence à l’encontre des Warriors.
Le Conseil déplore que M. Hains ait fait preuve d’une grave imprudence dans ses propos si l’on tient compte du contexte de crise qui prévalait à ce moment.
Le Conseil rappelle que les professionnels de l’information, et spécialement ceux de la presse électronique, parce qu’ils travaillent souvent en direct, doivent faire preuve de prudence lorsqu’ils traitent des situations de crise et de sujets portant à controverse. Cette exigence découle des responsabilités qui leur incombent en tant que citoyens et informateurs publics.
Analyse de la décision
- C01A Expression d’opinion
- C15I Propos irresponsable