Plaignant
M. Jean Lapierre
(attaché de presse de M. Marcel Massé, ministre)
Mis en cause
Le Devoir
[Montréal] et M. Bernard Plante (journaliste)
Résumé de la plainte
Dans son article
«Cher Kingston! Il en coûtera 60 % de plus pour former des officiers en Ontario
plutôt qu’à St-Jean», paru à la «une» du Devoir le 4 juin 1994, le journaliste
Bernard Plante rapporte incorrectement une conversation téléphonique que le plaignant
a eue avec lui. De plus, le journaliste attribue au plaignant des paroles qu’il
n’a jamais prononcées.
Faits
La plainte
concerne un article de M. Bernard Plante, paru à la une du quotidien Le Devoir
le 4 juin 1994, sous le titre: «Cher, Kingston! Il en coûtera 60 % de plus pour
former des officiers en Ontario plutôt qu’à St-Jean».
L’article traite
des coûts que pourrait représenter la fermeture du Collège militaire royal
(CMR) de Saint-Jean-sur-Richelieu. Il y est, entre autres, question des coûts
se rattachant à une réfection du Collège militaire de Kingston pour accueillir
les élèves du Collège de Saint-Jean, ainsi que des coûts de formation des
officiers, lesquels seraient plus élevés au collège de Kingston qu’à celui de
Saint-Jean.
Griefs du plaignant
M. Jean
Lapierre, attaché de presse de M. Marcel Massé, ministre des Affaires
intergouvernementales, reproche au journaliste Bernard Plante d’avoir rapporté
de façon erronée une conversation téléphonique qu’il a eue avec ce dernier le 3
juin 1994, et de lui avoir attribué dans son article des paroles qu’il n’a
jamais prononcées. A cet égard, M. Lapierre indique qu’il est faux de
rapporter:
– que le cabinet
du ministre Marcel Massé «admet que la formation d’un élève-officier au Collège
militaire de Kingston en Ontario coûte 60 % plus cher que de former un
élève-officier au Collège militaire royal (CMR) de Saint-Jean-sur-Richelieu»;
– qu’il (M.
Lapierre) a confirmé l’information selon laquelle «Selon les chiffres obtenus
par le DEVOIR, le coût réel par étudiant et par année à Saint-Jean s’élève à
plus de 52 000 $. A Kingston, la facture grimpe à près de 83 000 $. L’attaché
de presse du ministre Marcel Massé, Jean Lapierre, confirme l’information en
expliquant…» (M. Lapierre remarque ici que M. Plante n’a pas indiqué les
sources de ces statistiques ni dans son article ni lors de leur conversation);
– que «La
différence n’en est pas moins de 60 % et, manifestement, cet écart embarrasse
le cabinet de Marcel Massé…»;
M. Lapierre
indique qu’il était également abusif d’écrire que «ni le cabinet du ministre
Massé, ni celui du ministre de la Défense, David Collenette, ne sont en mesure
de démentir que les coûts d’aménagement et de réfection du Collège de Kingston,
nécessaires pour accueillir la clientèle du CMR de Saint-Jean, pourraient
atteindre les 75 millions de dollars.» Il précise que M. Plante ne lui a jamais
posé de question sur cette affaire de 75 millions de dollars lors de leur
conversation téléphonique.
M. Lapierre
estime que M. Plante a fait une utilisation très libérale de ses propos sans
jamais les citer, faisant mauvais usage de la paraphrase alors qu’il possédait
un enregistrement de leur conversation.
M. Lapierre
s’interroge sur la façon de faire de M. Plante qui lui aurait par ailleurs
signifié au début de leur entretien téléphonique qu’il ne cherchait qu’à mieux
s’informer et qu’il n’était pas question que ses propos soient cités. Il estime
qu’il n’a pas été traité avec équité et que ses propos et les informations
qu’il a livrées au journaliste n’ont pas été rapportés de façon responsable.
Commentaires du mis en cause
M. Bernard
Plante, alors journaliste au Devoir, indique d’abord n’avoir jamais dit à M.
Lapierre que la conversation téléphonique qu’ils ont eu le 3 juin 1994 était
«off the record».
Pour ce qui est
des informations qu’il a rapportées, M. Plante indique que M. Lapierre n’a
jamais nié que les coûts d’aménagement et de réfection du Collège militaire de
Kingston pour accueillir la clientèle du Collège de Saint-Jean pourraient
atteindre entre 60 et 75 millions de dollars. Et contrairement à ce que M.
Lapierre affirme dans sa plainte, il (M. Plante) a bel et bien évoqué ces
chiffres lors de leur conversation.
M. Lapierre n’a pas
non plus nié les chiffres qu’il a rapportés dans le passage suivant de
l’article: «Selon les chiffres obtenus par le DEVOIR, le coût réel par étudiant
et par année à Saint-Jean s’élève à plus de 52 000 $. A Kingston, la facture
grimpe à près de 83 000 $.» Il les a plutôt commentés à deux reprises. De deux
choses l’une: ou bien M. Lapierre connaissait ces chiffres, ou bien il a été
très imprudent.
Il indique par
ailleurs que M. Lapierre a raison de dire qu’il n’a jamais indiqué ses sources
statistiques, ni dans l’article ni lors de leurs conversations téléphoniques.
Il s’agissait là de ne pas brûler ses sources d’information. Ayant à cette
époque la certitude que ces chiffres avaient déjà été portés à l’attention du
ministre Marcel Massé et à celle d’autres membres du gouvernement fédéral, M.
Plante explique qu’il cherchait ce matin du 3 juin 1994 à obtenir une
confirmation qui puisse lui permettre de publier.
Pour sa part, M.
Bernard Descôteaux, rédacteur en chef du Devoir, indique qu’il a une entière confiance
dans le professionnalisme de M. Plante et qu’il adhère à ses explications dans
le présent dossier.
Quoique les
entretiens que M. Plante a eus avec M. Lapierre ont été visiblement «marqués au
coin du quiproquo», M. Descôteaux souligne que les procédures habituelles ont
été suivies. M. Plante a eu mandat du Devoir de vérifier certaines
informations, ce qu’il a fait. Il a parlé à M. Lapierre et à d’autres
personnes, il a obtenu des informations et les a publiées, sans inventer quoi
que ce soit.
M. Descôteaux
ajoute que le quiproquo qui s’en est suivi peut s’expliquer, mais qu’il est
difficile de savoir exactement et de trancher: «Peut-être que monsieur Lapierre
n’a pas bien saisi le sens de l’entrevue accordée à monsieur Plante? Notre
article l’a peut-être mis dans l’eau bouillante? Monsieur Plante n’a peut-être
pas été suffisamment explicite quant au fait qu’il était « on
record »?».
Il ajoute que
des différends de cette nature ne peuvent être tranchés et que la meilleure
façon de les régler est de publier la réplique de la personne qui se sent
lésée. A ce titre, il trouve curieux que M. Lapierre ait attendu plus d’un mois
après la parution de l’article avant de s’adresser au Devoir. Il indique par
ailleurs que Le Devoir n’a pas publié la lettre de M. Lapierre. D’une part, Le
Devoir a jugé que la version des faits de M. Plante était crédible et digne de
foi. D’autre part, publier la lettre de M. Lapierre aurait indirectement donné
tort au journaliste qui, de l’avis du Devoir, avait raison, M. Lapierre «cherchant
visiblement à se tirer d’un mauvais pas».
Analyse
Dans le cas présent, le Conseil de presse ne peut trancher sur les informations qui ont été attribuées à M. Jean Lapierre dans l’article en litige puisqu’il se trouve en présence de versions contradictoires concernant la teneur de l’entretien téléphonique du 3 juin 1994 entre le plaignant et le journaliste Bernard Plante.
Le Conseil ne peut non plus déterminer si les données statistiques rapportées dans l’article constituent des erreurs de faits puisqu’il s’agit ici d’informations privilégiées obtenues de sources confidentielles. Le Conseil ne peut donc statuer sur cet aspect.
Dans ces circonstances, le Conseil ne peut présumer de la mauvaise foi du journaliste ni établir si ce dernier a manqué à l’éthique journalistique dans sa façon de recueillir et de rapporter les informations qu’il a obtenues de M. Lapierre.
Analyse de la décision
- C11A Erreur
- C11D Propos/texte mal cités/attribués